TENNIS – Depuis 1983 et la victoire de Yannick Noah à Roland-Garros, plus aucun tennisman français n’est parvenu à glaner un tournoi du Grand Chelem. Un constat d’échec cuisant émerge dès lors pour un pays qui compte près d’un million de licenciés et qui a assisté à l’éclosion de multiples générations dorées ces dernières décennies. Ainsi, il convient de saisir et interroger les tenants et les aboutissants d’un pareil paradoxe. Dossier.
Trois petites sempiternelles mélodies reviennent constamment à l’oreille des passionnés de sport français: aucun coureur français n’a gagné le Tour de France depuis Bernard Hinault en 1985; aucun club français n’a triomphé en Ligue des champions depuis l’OM en 1993; aucun tennisman français n’a remporté de tournoi du Grand Chelem depuis Yannick Noah à Roland-Garros en 1983. C’est bien cette dernière affirmation qu’il convient d’interroger aujourd’hui.
Paradoxalement, le tennis hexagonal dispose d’atouts considérables: le taux de pratiquants (le nombre de licenciés rapporté au nombre d’habitants) est l’un des plus importants du monde; la fédération nationale (FFT) semble bien structurée; les clubs amateurs français revêtent des finances plutôt confortables; la France dispose d’un nombre conséquent de joueurs classés dans le Top 100 mondial. Alors, qu’est-ce qui fait réellement défaut ? Autopsie de quatre décennies désenchantées pour le tennis français.
Tennis français: une disette en Grand Chelem depuis Yannick Noah
On se souvient tous de Yannick Noah tombant à genoux sur la terre battue de Roland-Garros, puis se jetant en larmes dans les bras de son père. Ces images vibrantes, diffusées annuellement aux prémices de l’été, devinrent le symbole d’un exploit plus jamais réédité. Certes, les Français sont efficaces par équipes avec 4 victoires en Coupe Davis depuis le début de l’ère Open en 1968 (sacre en 1991, 1996, 2001 et 2017). En double tennis aussi, les Frenchies brillent fréquemment, Nicolas Mahut s’étant même payé le luxe de remporter les quatre tournois du Grand Chelem au cours de sa carrière.
De même, les dames sont assez prolixes avec des victoires en Grand Chelem dans les années 2000 pour Marion Bartoli, Amélie Mauresmo ou Marie Pierce. Quid du simple messieurs pour le tennis français ? Depuis le sacre de Noah, 147 Grands Chelems ont été disputés: 5 finales jouées par un Français, toutes perdues et 21 défaites en demi-finales. Un bilan famélique. Et ce n’est pas la médaille de bronze glanée au courage par Arnaud Di Pasquale aux JO de Sydney ou les neuf victoires en Masters 1000 (Master Series compris) qui feront oublier ce fiasco collectif.
Tennis français: de trop rares éclats en Grand Chelem
Avant Yannick Noah, Patrick Proisy, en 1972, fut le premier Français à accéder à la finale d’un tournoi majeur, à l’Open d’Australie. Henri Leconte parvint comme son ami chanteur jusqu’à la finale des Internationaux de France en 1988. Mais il s’inclina sèchement face à un Mats Wilander revanchard. Cédric Pioline échoua, lui, par deux fois dans les années 1990 à l’US Open (1993) et à Wimbledon (1997). À chaque tentative, il dut malheureusement affronter le grand Pete Sampras.
Nouvelle décennie, nouveaux espoirs déçus. Arnaud Clément perd en 2001 en Australie dans un match déséquilibré face à Andre Agassi. À Melbourne, il est imité sept ans plus tard par Jo-Wilfried Tsonga contre Novak Djokovic. Lors de ce match, le Français réussit à pousser le Serbe au tie-break du quatrième set. C’est l’unique set arraché par un tricolore dans l’une des cinq finales depuis 1983. Voilà 12 ans qu’aucun de nos compatriotes n’a accédé à une finale en Grand Chelem.
En finir avec le blocage mental
Dans toutes les disciplines, la différence entre un joueur très doué et un grand champion tient à un seul facteur: le mental. Le tennis n’échappe pas à cette règle, d’autant plus que cet aspect psychologique est particulièrement essentiel dans les sports individuels. Quand on parle de mental en tennis, on entend savoir encaisser la pression et jouer son meilleur jeu dans les moments les plus décisifs d’un match: c’est aussi ne rien lâcher lorsque l’on est menés au score.
Demandez donc à Roger Federer: combien de fois a-t-il été en difficulté, proche de la défaite avant d’élever son niveau de jeu sur quelques balles cruciales ? Des centaines de fois. On a bien là l’une des caractéristiques majeures des grands champions, sans oublier un autre aspect essentiel d’un « bon » mental: concrétiser la victoire quand elle est à portée de main. On se souvient par exemple avec amertume, il y a quelques années, de Tsonga manquant 4 balles de match contre Djokovic sur le court Philippe-Chatrier.
Cesser de négliger le physique
Les attaquants sont à la peine de nos jours. Les cours de tennis ont considérablement ralenti le jeu et, même à Wimbledon, les serveurs-volleyeurs se font rares. Ainsi, les échanges de fond de court ont la part belle, les matchs sont plus longs et demandent une endurance accrue. Pour l’emporter dans un majeur en tennis, il est nécessaire de gagner sept confrontations et d’avaler puis digérer une vingtaine d’heures de combat. Les joueurs du Top 5 sont d’ailleurs ceux qui sont les meilleurs aux quatrièmes et cinquièmes sets. Pourquoi ? Parce que, outre leur solidité mentale, ils ont acquis un physique hors norme. Là où un Gaël Monfils craque, un Djokovic n’a aucune baisse de régime et achève ses adversaires.
On le déplore avec tristesse: il est vrai que les Bleus sont régulièrement blessés sur ce circuit. Cela est sans doute dû (outre la malchance) à une préparation physique défaillante en amont. Cette étape déterminante, l’avant-saison, doit être maintenue tout au long de l’année pour préserver son corps sur le long terme et atténuer la fatigue au fil des matchs. On se rappelle les préparations physiques hors du commun d’Agassi durant l’hiver. Il n’a d’ailleurs pratiquement jamais été blessé de sa carrière…
La part de responsabilité des médias vis-à-vis du tennis français
Quand il s’agit de mettre la pression sur les joueurs, le monde journalistique a tendance à s’en donner à cœur joie. Le présent article n’a d’ailleurs pas vocation à pointer du doigt individuellement certains tennismen français, loin s’en faut, mais plutôt d’interroger les nombreuses conditions qui ont engendré une telle situation de disette pour le tennis français depuis près de quarante ans. En ce sens, les médias ont aussi leur part de responsabilité. Il est vrai que les abonnés de Tennis Magazine doivent sans doute avoir en mémoire la Une du mensuel de février 1996: « Richard G., 9 ans, le champion que la France attend ?«
Force est de constater que les médias sportifs français se prêtent régulièrement à un triple-jeu: d’abord ils font naître une grande espérance chez les lecteurs avec des papiers dithyrambiques sur des possibles chances d’exploits français; puis font monter la pression pour les joueurs sur qui de grandes espérances ont été placées; enfin, lorsque lesdits protagonistes ont échoué, ils les clouent au pilori. Pour ainsi dire: les médias créent une attente puis l’instrumentalisent. Un traitement médiatique davantage tempéré et raisonné, notamment auprès des plus jeunes espoirs, permettrait peut-être d’arranger certaines choses.
La FFT doit revoir sa copie pour le bien du tennis tricolore
Une fédération de tennis de près d’un million de licenciés sans résultats probants en Grand Chelem doit se remettre en question. À titre comparatif, seulement 53 000 pratiquants officiels en Suisse: et les Helvètes arrivent à sortir de leurs rangs Roger Federer et Stan Wawrinka ces dernières années. D’ailleurs, pratiquement tous les meilleurs joueurs français actuels ont fait partie des meilleurs dans les catégories de jeunes, y compris en Grand Chelem. Étrange que le cap que constitue le passage professionnalisé en senior soit si ardu. On comprend dès lors qu’une faille se glisse au niveau institutionnel.
La Fédération française de tennis (FFT) revêt un excellent système de formation, mais il semble très formaté. Des entraîneurs surdiplômés enseignent tous les mêmes préceptes classiques de jeu: ce qui leur ai inculqué en catégories de jeunes, c’est l’excellence dans la conformité, ils ne développent pas le talent singulier empirique à l’échec. On a là l’une des explications du très grand nombre de joueurs classés dans le Top 100 mondial sans jamais prétendre au Top 10 de manière pérenne.
Le philosophe français Charles Pépin met en exergue la comparaison entre Richard Gasquet et Rafael Nadal pour expliciter ce constat: « Richard Gasquet a été en finale du Championnat du monde des Petits As à l’âge de 13 ans face à Nadal et il a très facilement gagné contre lui… On voit alors dans les yeux de Nadal une curiosité, il est en train d’apprendre de sa défaite et il en apprend plus en une défaite que Gasquet en quinze victoires ». Le Français, premier joueur mondial chez les jeunes de l’âge de 8 à 14 ans, s’il a atteint une honorable 7e place à l’ATP et des demi-finales en Grand Chelem, n’a en effet jamais franchi le dernier palier.
Que peut-on espérer désormais pour le tennis français ?
La Grande-Bretagne a attendu 76 ans et Andy Murray avant de soulever à nouveau un trophée majeur en simple masculin. À l’heure où la Coupe Davis ancienne formule a disparu, nous n’aurons bientôt plus les moyens de chanter cocorico. Devra-t-on encore entendre longtemps le rituel « il n’y a plus de joueurs français engagés en deuxième semaine à Roland-Garros » ? Qui pour reprendre le flambeau ? Excepté Lucas Pouille, demi-finaliste à l’Open d’Australie l’an dernier, on voit difficilement qui pourrait figurer dans un tournoi du Grand Chelem dans les années à venir.
La génération tricolore dorée mais déchue (les « quatre mousquetaires »: Tsonga, Monfils, Simon, Gasquet) est désormais une génération vieillissante sur le déclin et a sans doute laissé passer sa chance. Certains jeunes, notamment Corentin Moutet (20 ans) et Ugo Humbert (21 ans), semblent les meilleurs espoirs de victoire pour le tennis français en Grand Chelem, tant leur marge de progression est importante. D’autres joueurs aussi prometteurs pourraient suivre ces prochaines années si l’on stoppe la « câlinothérapie » fédérale. À coup sûr, de nouveaux « mousquetaires » prendront la relève; et la malédiction des Français en Grand Chelem sera vaincue. C’est inéluctable. Mais quand ?
Crédits photo à la Une: François GOGLINS