Jo-Wilfried Tsonga, Gaël Monfils, Richard Gasquet et Gilles Simon: à eux quatre, ils représentent une génération dorée du tennis français. Pour autant, pas l’un d’entre eux n’a été en mesure d’empocher un titre Majeur sur le circuit. Alors qu’au crépuscule de leur carrière ces quatre tricolores n’ont toujours pas inscrit leur nom sur un tournoi Majeur, il est légitime de se demander si nous – suiveurs du jeu, passionnés, journalistes ou simples supporters – n’avons pas été trop durs avec cette génération. Il semble bien que cela soit le cas.
Il y a quelques semaines de cela, le présent article aurait été titré: « avons-nous été trop durs avec les Nouveaux Mousquetaires ? » Et puis, la semaine dernière, dans un live unique en son genre diffusé sur sa chaîne Twitch, Gaël Monfils a reconnu: « On va le dire, ça nous fait vraiment chier qu’on nous appelle les Quatre Mousquetaires ». Dans ce live intitulé « Table Ronde », la Monf a invité Jo-Wilfried Tsonga, Gilles Simon et Richard Gasquet à revenir sur les temps forts de leur carrière et leurs expériences en Coupe Davis, dans un format novateur et sans concessions. C’était la première fois qu’ils se confiaient autant, tous ensemble, au même moment.
Table ronde demain à 18h30 sur ma chaîne Twitch 🙌🏾
J’aurais la chance d’être accompagné de @GillesSimon84, @tsonga7 & @richardgasquet1 pour débattre sur le Tennis passé, actuel et futur ! 🎾https://t.co/xI0T5bUeDS pic.twitter.com/ERk15gIoeD
— Gael Monfils (@Gael_Monfils) October 28, 2020
Tsonga, Monfils, Simon, Gasquet, patrons français d’une génération tennistique en or née entre 1984 et 1986, se sont livrés comme rarement dans ce live. Beaucoup de choses ont été dites et répétées durant ces deux heures trente d’échanges, au cours desquelles s’est joint ensuite Benoit Paire. Cette génération dorée a souvent souffert de l’attente placée en elle, comme les successeurs forcés de Yannick Noah pour gagner un tournoi du Grand Chelem notamment.
Vivre avec le fardeau de gagner Roland-Garros
Ce n’est un secret pour personne: le digne héritier de Yannick Noah en Grand Chelem se fait toujours attendre. Depuis ce 5 juin 1983 et sa victoire contre Mats Wilander, la France du tennis cherche toujours son successeur. Alors, lorsqu’en 2005, un jeune tricolore surdoué s’offre Roger Federer en demi-finales du Masters 1000 de Monte-Carlo, on se dit que le tennis français a peut-être enfin trouvé son nouveau héros. Ce surdoué, c’est Richard Gasquet, alors âgé de 18 ans.
Il sera ensuite suivi par trois autres joueurs qui ont marqué le tennis tricolore ces années-là: Gaël Monfils, Jo-Wilfried Tsonga et Gilles Simon. 15 ans plus tard, aucun de ces quatre-là n’a récupéré la flamme qu’a laissé Yannick Noah. Une déception ? Peut-être. Un échec ? Il ne faudrait peut-être pas aller jusque-là. Cette pression permanente en Grand Chelem et plus particulièrement au moment des Internationaux de France, a pesé sur ce quatuor, indéniablement. Mais les critiques étaient-elles toujours justifiées ? Pas sûr lorsque l’on considère la période durant laquelle ils ont joué…
Faire carrière à l’ère du « Big 3 »
Dans une autre époque, Monfils and co auraient peut-être eu plus de chances de triompher en Majeur. Nous ne le saurons évidemment jamais et toutes ces spéculations restent bien sûr hypothétiques. Mais cet argument n’est pas à mettre de côté. Les années 2005-2020, puisque c’est de cela dont nous parlons avec ces quatre joueurs, ont été marquées par la superpuissance du trio « Federer-Nadal-Djokovic ». Depuis Roland-Garros 2005, sur les 62 tournois du Grand Chelem disputés, le « Big 3 » en a raflé 53.
Longtemps pourtant, et malgré un palmarès finalement moins clinquant, Andy Murray faisait partie de l’élargi « Big Four », tant sa constance et son niveau étaient à la hauteur des trois premiers. Le Britannique a finalement gagné trois tournois majeurs. Alors oui, il reste sept tournois du Grand Chelem dans lesquels ces quatre monstres n’ont pas brillé. C’est donc sur ces sept tournois que notre quatuor français aurait pu (aurait dû ?) saisir sa chance. Stan Wawrinka l’a fait, en triomphant à Melbourne, à Paris et à New York, non sans terrasser à chaque fois Djokovic, mais aussi Nadal en Australie. Alors pourquoi pas nos Français ?
De l’occasion de saisir les rares opportunités de briller
Les miettes laissées par le « Big 3 » ont été rares depuis 2005 et le premier triomphe de Nadal à Roland-Garros. Mais il y en a eu. A l’US Open en 2014, Marin Cilic a su tirer son épingle du jeu. Gaël Monfils s’en souvient. Cette année là, en quarts de finale, le Parisien s’incline contre Roger Federer dans un match qu’il n’aurait jamais du perdre (deux sets d’avance et deux balles de match manquées). Personne ne sait encore une fois ce qu’il aurait donné contre Cilic en demi-finale, mais le tableau cette année-là s’était ouvert comme rarement et aucun des membres du « Big Four » n’aurait pu alors se mettre en travers de la route de Monfils. Opportunité manquée.
Pour ce qui est de Roland-Garros, dans son live Twitch, Monfils a rappelé une terrible vérité: l’hégémonie quasi sans partage de Rafael Nadal. « Roger (Federer) et Djoko, des légendes du tennis, ils ne l’ont gagné qu’une fois. C’est complètement fou. Nous, on est loin d’être Roger et il ne l’a gagné qu’une fois (…). Mais c’est vrai que la seule fois où il a eu vraiment l’occasion de le faire en 2009, il l’a saisie. ». Difficile de lui donner tort sur ce point. Pour le reste, si l’on regarde de plus près les 10 demies finales jouées au total par ces « Nouveaux Mousquetaires » (bien que le terme ne leur plaise pas), les opportunités de victoire ont là aussi souvent été minimes. Richard Gasquet a toujours cédé contre le futur vainqueur du tournoi (Federer à Wimbledon en 2007, Djokovic à Wimbledon en 2015 et Nadal à l’US Open en 2013).
Sur ces cinq demi-finales, Tsonga a perdu trois fois contre le futur vainqueur de l’épreuve. En 2012, il est défait par Andy Murray à Wimbledon, qui perdra contre Federer en finale… Et en 2013 à Roland Garros, il est absent en demi-finale contre David Ferrer. On pourra donc lui reprocher de ne pas avoir saisi cette occasion en or d’atteindre la finale. Mais d’avoir gagné le tournoi ? Plus difficile puisque c’est Rafael Nadal, le maître des lieux, qui se serait dressé alors sur sa route. Là encore, pas une mince affaire… Enfin, Monfils a pu nourrir des regrets sur sa demie à l’US Open en 2016 contre un Novak Djokovic loin d’être impérial, dans un match très décousu. Le Serbe s’inclinera d’ailleurs deux jours plus tard contre Wawrinka. Pour ce qui est de sa demie finale à Roland Garros en 2008, la Monf a cédé face à Federer, qui sera lui-même humilié en finale contre un Nadal au sommet de son art à l’époque.
Quel héritage dans l’histoire ?
Finalement, à l’heure de faire le bilan de leur carrière, ni Monfils, ni Tsonga, ni Gasquet, ni Simon ne sont parvenus à reprendre le flambeau de Yannick Noah en Grand Chelem. Ils l’ont parfois touché du doigt (Tsonga en finale de l’Open d’Australie 2008), s’en souvent approchés (cinq demi-finales pour Tsonga, deux pour Monfils, trois pour Gasquet), mais jamais n’ont triomphé.
Pourtant, cette génération a marqué son époque. Ils ont tous battu les meilleurs, ont tous été membres du Top 10, ont triomphé en Coupe Davis, mais jamais en Majeur. Auraient-ils briller davantage dans une époque sans Federer, Djokovic et Nadal ? C’est certain. Mais leurs carrières respectives restent louables, sinon impressionnantes. Et ce quatuor, plus proche de la retraite que de la victoire dans un Majeur, pourrait bien elle aussi avoir du mal à trouver de dignes successeurs. « La chance qu’ils ont (les jeunes comme Humbert, Moutet ou Gaston), c’est qu’ils n’auront pas les trois meilleurs joueurs de tous les temps face à eux », souligne Gilles Simon. Feront-ils mieux ? L’avenir le dira.
Crédits photo à la une: Tatiana