Si vous avez un peu suivi le tennis ces dernières années, son nom vous dit certainement quelque chose. Numéro 1 mondial junior à 18 ans et sparring-partner de Roger Federer à Roland-Garros en 2008, Jonathan Eysseric était prédit a un bel avenir chez les grands. Oui mais voilà, la transition vers le monde professionnel ne s’est pas déroulée comme prévue. Entre mauvais choix, blessures et malchance, le voilà à 25 ans, 274ème mondial et dans l’anonymat des tournois challengers. Immersion de l’autre côté de la barrière, loin de ceux qui sont dans la lumière et qui se battent pour vivre de leur passion.
Le chemin vers la gloire n’est pas toujours simple, surtout en France. Jonathan Eysseric en sait quelque chose. Tout semble pourtant lui sourire quand une blessure vient interrompre son ascension fulgurante et le replonge dans un quasi anonymat en fin d’année 2008. Le rêve tourne alors au cauchemar. Déboussolé, le jeune homme ne parvient plus à jouer son tennis. S’en suit dès lors une vaste période de doute, d’introspection et de travail sur soi. Aujourd’hui, cette mauvaise passe fait désormais partie du passé et le français affiche une sérénité retrouvée. Plus mature, plus posé et surtout bien plus réaliste sur son parcours, à 25 ans. L’occasion de se pencher sur un parcours malheureusement trop souvent emprunté chez les aspirants champions.
Un cador chez les juniors
Fils d’un professeur d’EPS et de tennis et d’une éducatrice sportive, Jonathan Eysseric avait de fortes chances de s’initier au sport. Son choix se porte sur le tennis alors qu’il n’a que six ans. Né à Paris, il passe les neuf premières années de sa vie dans la capitale avant d’ensuite suivre toute la famille, (une fratrie composée de trois garçons) à Grasse, l’année de ses 10 ans. Un court passage dans le Sud, avant de revenir à Paris, seul cette fois : après plusieurs années d’entraînement soutenu par son paternel, il intègre à 15 ans le Team Lagardère, toute nouvelle couveuse à champions dans l’univers du tennis français, crée pour concurrencer les structures fédérales nationales de la FFT pour offrir une alternative privée à la formation publique des jeunes champions – en feront notamment parti dans les années suivantes Richard Gasquet, Michaël Llodra, Julien Benneteau, Nicolas Mahut ou encore Alizé Cornet, avec qui Eysseric, est ami depuis ses 9 ans – « Si je suis monté à Paris, c’est notamment pour avoir l’opportunité de m’entraîner contre des joueurs de leur calibre, sinon je serais resté dans le sud. Ce sont des joueurs qui ont un sacré niveau et ça ne pouvait que me faire progresser. J’y suis resté jusqu’à mes 18-19 ans », raconte l’intéressé, « c’était les belles années »…
Jonathan débarque en 2006 sur le circuit mondial junior avec près de 2 ans d’avance, à 16 ans à peine, Dès sa première saison, il se fait remarquer à Flushing Meadows où il atteint les ¼ de finale d’un US Open où on retrouve notamment dans sa génération certains talents aujourd’hui sur le circuit : le slovaque Martin Klizan, (n°35 à l’atp) l’américain Donal Young (n°49 atp) mais aussi et surtout le japonais Kei Nishikori (aujourd’hui n°5 mondial) . En janvier 2007, il obtient sa plus belle performance chez les juniors, avec une finale sur la Road Arena de Melbourne lors de l’Open d’Australie, perdue face au local Brydan Klein (6-2, 4-6, 6-1), dont la carrière ressemblera beaucoup à celle du français (il stagne aujourd’hui à la 195ème place à l’atp et n’est jamais allé plus haut que 179ème). De la même génération que lui, le français croise également régulièrement la route du Bulgare Grigor Dimitrov (actuel n°11) ou du fantasque Australien Bernard Tomic (n°38) eux-aussi très vite adoubés par la presse spécialisée. A l’issue du tournois australien, Eysseric continue de surfer sur la vague du succès, et s’il ne brille pas en Grand Chelem (deux 3ème tour à Roland et Wimbledon) il finit néanmoins la saison sur un bilan extraordinaire pour un junior : 76 victoires pour 26 (en plus un 62-18 en double), ce qui font de lui le n°1 mondial de sa catégorie d’âge à l’issue de sa victoire lors des Championnats d’Europe juniors (avec une année d’avance s’il vous plaît).
Considéré dès lors comme le nouveau prodige du tennis tricolore, dans la lignée de ses prédécesseurs Gasquet et Monfils, tout est donc bien qui commence très bien et la firme Adidas signe même avec le jeune prodige un contrat juteux de trois ans. Invité au Challenger de Besançon, en 2007, Eysseric remporte son premier match chez les pros contre le Slovaque Mertinak, alors 164e mondial. John lui est 1243e, et ses performances lui ouvrent les portes du grand tableau de Roland-Garros en 2007 et 2008, sans même devoir passer par les qualifications ! « J’ai eu des invitations pour le tableau final, précise-t-il. La première fois, je perds contre Olivier Patience en quatre manches. La seconde, je pousse Andy Murray au cinquième set ». L’Écossais, tête de série n° 10 à l’époque, sera salement amoché mais s’en sortira à l’expérience (6-2, 1-6, 4-6, 6-2, 6-0). Eysseric en met plein la vue aux spectateurs du Suzanne Lenglen qui en sont alors persuadés : ils ont assisté à la naissance d’un grand champion. Belle gueule, gaucher, gros calibre en coup droit, capable de prendre la balle très tôt en revers, 1m80 – 80 kg et de jolis cuissots : tout pour plaire. D’ailleurs, « à dix-sept ans, John faisait tout péter, aime à se souvenir Didier son père. Il n’avait peur de rien. Quand il s’entraînait avec Roger Federer – il avait été choisi comme sparring-partner par le suisse qui voulait s’entraîner contre un gaucher pour s’habituer au jeu de Nadal – et que l’autre voulait arrêter, John refusait : « Attends, t’échappe pas, je vais te débreaker direct. ». Plus jeune, Jonathan avait même dit : « Nadal, dans deux ans, je le tape ! ». L’insouciance de la jeunesse. Eysseric s’installe parmi les 300 meilleurs mondiaux alors qu’il entre tout juste dans la majorité – il est n° 279 mondial en octobre 2008 -. Il ne le sait pas encore mais ce match contre Murray à Roland reste encore sept ans plus tard son seul fait d’arme chez les grands : depuis, il n’a plus joué sur le grand circuit…
Le dur apprentissage du circuit ATP
Etre un champion dans les catégories de jeune ne donne en aucun cas la garantie de faire carrière chez les seniors, quel que soit le sport d’ailleurs. Dans certains même comme le football, on ne compte plus les joueurs brillants dans les sélections nationales de jeunes (U13, U15, U17) et qui au final ne parviendront même pas à devenir professionnels. Si en football comme dans tous les sports collectifs, le talent individuel ne suffit pas toujours pour réussir – le meilleur des joueur du monde ne pourra se construire un palmarès qu’à la condition de figurer dans une équipe qui gagne -, en tennis la donne est différente : les joueurs sont seuls, avec toutes les composantes que cela implique.
Si ce n’est que du temps que Jonathan Eysseric a perdu, c’est un moindre mal. On écrira qu’il a mûri plus lentement que les autres, et ça ira. Mais ces dernières années, sur le circuit, quand on prenait des nouvelles du joueur, elles étaient rarement bonnes. S’il est vrai qu’en tennis l’opinion publique et les médias sont souvent très impatients et attendent des miracles de la part des enfants prodiges qu’ils ont porté aux nus, pour Eysseric l’inquiétude est vite devenue légitime.
Pas de résultats, pire que ça une « régression évidente » en terme de niveau de jeu, de classement, et le moral au fond des chaussettes, la faute à une vilaine blessure à un poignet contractée à la fin de l’année 2008 et qui l’a forcé à passer sur le billard : 6 mois d’arrêt et l’impression de repartir de zéro « Il est paumé », disait l’un. « Le gosse a trop de pression. Il doit assurer financièrement pour toute sa famille » – en référence au fait que ses parents ont laissé tomber leurs carrières respectives pour entourer le gamin au quotidien – disait l’autre. « Il est cramé. Il n’a plus envie », disait l’un et l’autre..
L’intéressé lui, nie en bloc ses rumeurs : « quand j’étais junior, mes jeunes frères étaient déscolarisés pour que toute la famille me suive. Maman leur donnait les cours du CNED et papa était mon coach. Mais jamais je n’ai senti de pression financière. Alors, il vient d’où le problème, Jonathan ?
Didier son papa a son idée sur la question : « les gens n’ont pas suivi ma philosophie. Ils ont donné à manger à John en fonction de son âge, pas de son niveau. Ce n’est pas parce qu’il était jeune qu’il fallait à tout prix qu’il en « chie » dans les petits tournois. On l’a bridé. Quand je pense qu’il ne perdait que 6-4 ou 7-5 les sets d’entraînement contre Federer) en 2007. Qu’est-ce qu’il jouait grave ! » Le fiston, lui, privilégie une autre thèse. « La confiance s’est envolée. Jouer sans sentir la balle, je ne savais pas ce que ça voulait dire. Et là, je me suis mis à jouer comme une merde. Désolé, y a pas d’autre mot. Contre Istomin à Marseille en 2009, j’ai touché le fond. Je ne savais plus taper un coup droit. Mon père avait les larmes aux yeux. Ça fait mal d’en arriver là ».
Mauvais choix, blessure et crise d’identité
2008-2009, une année charnière. Alors que c’est l’année de ses 19 ans – âge auquel Rafael Nadal gagnait son 1er Roland Garros, âge aussi auquel Richard Gasquet était 16ème mondial – année où il aurait dû entrer de plein pieds dans le monde pro’, les coaches changent, la chienlit s’installe. Son père, qui l’a formé mais qui n’est plus son entraîneur, déprime. « J’ai fait une petite dépression. J’avais l’impression qu’on m’avait volé mon fils. » Pendant ce temps, les coaches de Jonathan pointent les problèmes : « Pas assez bosseur », « Il a cru que ce serait facile ». On reproche au jeune homme d’abuser du Nutella et du Coca-Cola, de faire comme tous les jeunes de son âge en somme. Oui mais voilà, quand on a la prétention de faire du sport de haut niveau son métier, on ne peut pas vivre comme ses copains. On ne peut pas se permettre d’écarts de diététique pendant que les autres se serrent la ceinture, on ne peut pas se permettre d’arriver les yeux cernés à l’entrainement pendant que les autres se sont couchés à 21h. Le degré de performance en tennis est fait d’une multitude de détails, qui assemblés les uns avec les autres finissent par faire de grandes différences chez des joueurs qui ont pourtant sensiblement le même niveau technique, à quelques exceptions près – pour cette génération, on peut prendre l’exemple du « Big four » Djokovic – Nadal – Federer – Murray qui vient d’une autre planète que les autres joueurs..
Pour trouver d’autres raisons plus profondes aux difficultés de Jonathan Eysseric, il suffit de demander à l’intéressé lui-même : « On m’a dit : “Tiens, on te donne Champion comme coach. C’est lui qui a sorti Mathieu et Monfils.” Sous-entendu : tu ne peux pas te planter. Inconsciemment, j’ai merdé. Quand Federer veut s’entraîner avec toi à Roland-Garros pour se préparer au coup droit de Nadal (en 2007), tu t’y crois un peu. » La suffisance de la jeunesse. Mais il ne convient pas de lui jeter la pierre, car à 17, 18, 19 ans, on n’est encore qu’un gamin, et si on n’est pas bien cadré, conseillé, surveillé, on peut vite partir en vrille. Au fil des mois et à force de plonger au classement, Jonathan Eysseric, lui, s’y croit de moins en moins. « Je ne suis pas la star de mon année (né en 1990). Guillaume Rufin – 81ème mondial fin 2013, il revient d’une grave blessure et pointe aujourd’hui au 317ème rang atp – a déboulé, et ça m’a remis en place. » Puis après lui, d’autres français plus jeunes que lui arrivent lancés de chez les juniors, et leur adaptation sur le circuit pro est plus prometteuse : Pierre-Hugues Herbert né en 1991 (145ème atp), et dernièrement la génération 94 emmenée par Lucas Pouille (94ème) ; Matias Bourgue (204ème) ou le corse Laurent Lokoli (233ème). Jonathan encaisse le coup : « Oui, c’est dur. Je vois des mecs de mon âge que je battais facilement avant me doubler au classement. Mais petit à petit, tu t’y fais, tu essaies de trouver les solutions. La confiance, ça ne revient pas comme ça. Quand tu n’as rien vécu de difficile, que tu as toujours eu une progression constante… Tout allait très vite, j’avais des invitations un peu partout, je gagnais de l’argent. ».
En guise de soutien, ces entraîneurs successifs acceptent de dresser le bilan de Jonathan lors de ces deux années post-n°1 mondial junior, et le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils ne l’épargnent pas :
OLIVIER SOULÈS (octobre 2007-juillet 2008) : «il a perdu 1 an et demi dans sa progression, mais je suis sûr que John sera un jour dans le top 100. Ce mec a quelque chose de spécial dans le bras. Je me suis régalé à le coacher. J’ai l’impression qu’il est revenu dans le droit chemin. Il avait besoin de redevenir humble. Faut dire que quand il était très jeune les agents et les sponsors lui déroulaient le tapis rouge. Après son match en cinq sets à Roland-Garros contre Murray, je lui avais demandé de jouer à fond le tournoi junior. Mais il n’avait plus envie de ça et le match contre Dimitrov, il ne l’a pas joué. Il avait oublié certaines valeurs. » 1-0
THIERRY CHAMPION (août 2008-mars 2009) «C’est un gosse attachant mais je pense qu’il n’a pas encore tout compris à son métier. Le talent, il l’a. Mais il n’a pas fait les bons choix. Changer quatre fois de coach en trois ans quand on a entre seize et dix-neuf ans, ce n’est pas bon. John est l’exemple typique du jeune Français qui ne prend pas les bons risques et qui privilégie son confort. John voulait un jour un appart à Paris, un autre une bagnole, etc. Comment voulez-vous qu’après le jeune ait la dalle sur le terrain. Mais John n’est pas fini. C’est à lui, maintenant, de savoir ce qu’il veut. » 2-0
JÉRÔME PRIGENT (depuis novembre 2009) «Je suis fier du chemin qu’a pris John depuis quelques semaines. Il s’est approprié son projet. Il n’avait pas bien quantifié la somme de travail à fournir chez les pros. À Chartres, en décembre dernier, je me suis barré pendant son match. C’était la première fois que je le coachais et je ne cautionnais pas son attitude. Ça aussi, il l’a corrigé. Comme tous les gosses, il s’est cherché. Mais ça va, il n’a pas agressé de petite vieille. Laissons-lui du temps. » 3-0
En guise de coup de pieds au cul, Eysseric quitte le Team Lagardère à la fin de l’année 2009 et trouve refuge à la Fédération française avec Jérôme Prigent. Redevenu prof de gym à Fréjus, Didier le papa a retrouvé le moral. « John a de l’orgueil : il veut prouver qu’il peut réussir sans moi. Et j’y crois. Avec Jérôme, il a pour projet de finir l’année autour de la 250e place et d’être dans le top 30 à vingt-trois ans. Dans deux ans, quand on repensera à tout ça, on en rigolera. » Sauf qu’une nouvelle fois, tout ne va pas sourire au natif de Saint-Germain en Laye avec une vilaine blessure. « Je jouais très bien à cette époque-là, mais je me suis blessé au poignet en 2009. Ce n’était pas soigné, j’avais mal, j’ai fait une infiltration et je n’aurais pas dû. J’attendais beaucoup de cette année, c’était ma première vraie blessure et je l’ai mal gérée. Je ne savais plus trop quoi faire ».
La traversée du désert
Le bastion fédéral ne porte pas plus ses fruits pour Jonathan Eysseric qui végète dans les bas-fonds du classement atp. Après des débuts encourageants lors de sa collaboration avec Prigent qui le voit passer de la 530ème à la 310ème place fin 2010, John claque encore la porte et retourne chez lui, dans le Sud, proche des siens. « Je voulais revenir ici, parce que le Sud me manquait. Ce n’est pas par facilité, parce que je suis tout le temps au taquet. J’ai mis un peu de temps à retrouver mes repères. J’adore Paris, mais peut-être qu’il y avait trop d’à-côtés, j’avais du mal à me cadrer, j’aimais bien aller voir mes amis. Les deux premières années, j’avais mon appartement, mais après je dormais au CNE (Centre national d’entraînement). Je ne sortais quasiment jamais de Roland, je descendais trois marches et j’étais sur le court. » Dans le Sud, il s’entraîne à Sophia-Antipolis, avec BFS Training (société de préparation physique avec évaluations) où trois préparateurs le suivent. Si cela permet de le cadrer, au niveau du tennis, il n’a plus de coach attitré et est alors en autogestion : « je m’entraîne assez souvent avec les joueurs de Monaco et Guillaume Couillard me donne un petit coup de main. J’avais peut-être besoin de voir autre chose » déclare-t-il à l’époque. Les mois passent et le destin de Jonathan Eysseric ne bascule pas : l’année 2012 est même pire que les saisons précédentes : il descend à la 411ème place et ne voit pas le bout du tunnel. Il rebascule alors dans l’anonymat le plus complet : pour le grand public, Jonathan Eysseric le tennisman n’existe plus.
Pourtant, alors que plus personne ne croit en lui, il enchaîne les bons résultats sur les tournois challengers et atteint le meilleur classement de sa carrière avec une 202ème place mondiale. D’ailleurs, c’est à cette époque-là que le jeune homme gagne en lucidité sur sa situation et semble enfin gagner en maturité dans ses déclarations : « depuis que j’ai commencé à toucher un peu au haut niveau, j’ai les mêmes objectifs. Progresser, arriver dans les 100 premiers mondiaux. On va dire que c’est toujours la même chanson depuis mes 18 ans, mais ça n’avance pas forcément… J’ai connu pas mal de galères. Maintenant, je pense avoir gagné de l’expérience. Je vais avoir 23 ans, ce n’est pas trop tard, mais il ne faut plus traîner ». Et pour la première fois, il accepte de regarder dans le rétroviseur pour juger sa très (trop) précoce médiatisation : « C’est sûr que j’étais assez précoce, les gens m’ont connu assez tôt. Maintenant, on me voit comme un grand espoir qui n’en est presque plus un, alors que je suis encore jeune. Tout ça a dû me faire du tort inconsciemment. Au fond de moi, j’ai peut-être pensé que j’étais arrivé, alors que j’étais encore à des années-lumière du circuit pro. J’ai peut-être manqué de sérieux, je me suis un peu relâché. Ça ne pardonne pas. » Mea-culpa.
Autre aveux de la part du français, le fait d’avoir à un moment donné, lâché mentalement : « quand la tête n’y est plus… Le cerveau peut être un allié, mais il peut aussi être ton pire ennemi. Quand tu veux faire quelque chose et que tu n’y crois pas à fond, tu es mort. Je ne savais même plus taper un coup droit. J’ai dû retrouver cet instinct, c’est revenu en gagnant des matches. J’ai essayé d’aller voir des gens pour m’aider, mais je ne savais pas trop comment forcer le destin sur le court. Puis avec un peu de recul, en grandissant, tu te dis qu’il y a des choses plus graves dans la vie. Plus jeune, je voulais absolument gagner, même en retenant les coups et en jouant mal. Sur la durée, ça ne fonctionne pas. »
Certains mecs du top 100 ne sont pas forcément meilleurs que moi
Il faut être réaliste, les joueurs comme Jonathan ne gagnent pas des milles et des cents, à des années lumières de ce que peuvent empocher les membres du top 20 mondial par exemple. Eysseric l’avoue, il a souvent du mal à joindre les deux bouts à cette période, car les résultats ne sont pas là, les caisses sont vides. « Fin novembre 2012, la Fédé a recommencé à m’aider financièrement, ça m’a fait du bien. J’ai un ami très proche qui me soutient aussi. Quand tu joues à ce niveau-là, il faut faire attention à tout. Sur les tournois, mes préparateurs sont là, deux de mes meilleurs amis qui font du tennis me suivent aussi à l’étranger. C’est important parce que sur certains Futures, c’est compliqué. Des fois, il n’y a pas un spectateur, tu es tout seul. Le but, c’est de vite sortir de là, de gagner des places au classement. » Le classement atp, sorte d’obsession pour les joueurs, surtout pour ceux qui comme Eysseric galèrent. Quand on lui demande ce qui lui manque par rapport aux joueurs classés dans le top 100, sa réponse est éloquente « Sur le match contre (Albert) Ramos à Monte Carlo, il ne me manque rien, franchement. Je mène 3-0 au troisième set, je peux tuer le match, mais j’ai un peu de mal physiquement. Ensuite, sur une année, je pense qu’il faut beaucoup de constance, quel que soit le lieu où l’adversaire. Je sais que j’ai le talent et les coups pour réussir ». Réussir, sous-entendu aussi gagner un peu d’argent, car sinon la vie de tennisman professionnel pourrait très vite s’arrêter pour lui ; car jouer au tennis, même au niveau des Futures et des Challengers, coûte de l’argent : entre les frais de déplacement et ceux pour les hôtels, la facture grimpe rapidement, et les quelques billets empochées lors du tournoi s’évaporent vitesse grand V. Difficile donc, voire impossible, de (se) payer un entraîneur individuel à l’année.
Manque de bol, l’année 2013 sera –encore une fois – une année poissarde pour Eysseric : alors qu’il est désormais âgé de 23 ans il décroche en cours de saison les deux meilleurs classements de sa carrière en simple (202e) et en double (199e), ce qui lui permet notamment d’accéder directement au tableau final de tous les Challengers. Mais après ses beaux coups d’éclats, son poignet va se réveiller et stopper son élan. Retour à la case départ, 318ème place mondiale, les qualifs des challengers, etc. : la spirale infernale ne semble pas vouloir s’arrêter. Cependant, des signes montrent que le français a gagné en maturité avec toutes ses péripéties, et quand il analyse ces jeunes années, son discours a des allures de conseil pour les générations à venir : “c’est vrai que la presse ne m’a pas épargné alors qu‘elle m’avait autant encensé les années précédant 2009, mais c’est la vie d’un sportif il doit vivre avec. Après c’est sûr que les jeunes sont souvent beaucoup projetés en avant mais c’est normal, il faut de nouvelles gueules et surtout il faut trouver la perle rare comme Rafa, Roger, etc. … Oui je regrette qu’ils ne nous laissent pas un peu plus de temps car je n’ai que 20 ans et si on regarde bien Roger a gagné son premier grand chelem à 23 ans. Je n’ai rien à dire aux personnes qui me descendent, je fais confiance à mes proches et aux gens que j’aime, je bosse dans mon coin maintenant et c’est peut être ça qui me permettra de commencer à regagner de bons matchs et remonter au classement”. L’obsession du classement, toujours.
Bon, et je fais quoi maintenant ?
Début 2014, Jonathan le sait, à 24 ans, ce n’est plus un espoir et s’il veut s’en sortir il doit provoquer le destin, tenter de reprendre sa destinée en main. Alors qu’il a longtemps été une tête de mule pour ses entraîneurs successifs et qu’il a préféré pendant de longs mois se passer d’un entraîneur pour la partie « tennis », le parisien change son fusils d’épaule : « je me suis rendu compte que j’étais bien meilleur quand j’étais encadré que lorsque j’évoluais tout seul sur le circuit, tout simplement. Les six premiers mois de ma saison, lorsque j’ai eu la chance d’avoir mon coach en plus d’un préparateur physique ont été très bons. Là, mon entraîneur a quitté sa structure, donc si je veux que ça continue, il faut que je prenne son salaire et ses frais à ma charge. » Pour un joueur comme Eysseric, faire une année complète sans se soucier de ce que l’on va rentrer ou pas sur les tournois, c’est 80 000 euros, en faisant attention et avec un entraîneur qui ne te coûte pas cher. Si on prend sa saison 2014, Eysseric avoue être positif d’environ 20 000 euros (soit 1666 €/mois), mais avec la moitié du temps où était seul sur les tournois, sans entraineur à rémunérer…
Comment faire alors, pour réussir à se payer un entraîneur à l’année ?
Jonathan va alors avoir une idée : encouragé par ses coaches eux-mêmes – Fabien Lefaucheux aidé par le préparateur physique Didier Lanne -, il a l’idée de faire un appel au don sur internet, via le site pour pouvoir se “payer un coach durant toute la saison 2015″. Sur la toile, il explique son initiative de la façon suivante : “J’ai terminé l’année 2014 dans les 250 premiers mondiaux. C’est mon meilleur classement mais je suis persuadé que j’aurais pu faire mieux”. La deuxième partie de saison, pour des raisons financières, je n’ai pas pu prendre en charge les déplacements de mon entraîneur. Je me suis retrouvé seul sur les tournois et je suis persuadé qu’accompagné sur cette fin d’année j’aurais sans nul doute terminé la saison solidement installé dans les 200 premiers joueurs mondiaux.». Classé 248eme à l’ATP au moment de son appel, il espère réunir une cagnotte proche de 50.000 euros. De quoi démarrer l’année 2015 plus sereinement et “jouer un maximum de tournois” pour se rapprocher ainsi de son objectif : intégrer le top 100. S’il a réuni quelques centaines d’euros en 48h, le joueur fait une belle promesse à tous ses futurs souscripteurs: « De s’arracher sur le terrain, de jouer aussi bien qu’il le peut ainsi que de rencontrer et échanger avec les donateurs sur et en dehors du terrain pendant mes semaines d’entraînement avec mon entraîneur. Pour des entreprises, on peut aller jusqu’au deal avec des badges sur les matches à l’année ou d’autres événements. Tout est possible. »
En tout cas, en termes de « buzz », le français a réussi son pari, car son initiative fait beaucoup parler, à la fois dans les médias que dans le petit monde de la balle jaune “Ce qui est sûr, c’est que cela fait beaucoup parler. Ce n’était pas du tout mon but, c’est pour ça aussi que j’étais un peu réticent. Mais il ne faut pas se voiler la face, aujourd’hui quand tu es 200eme mondial tu ne peux pas être pleinement dans ton projet avec ton coach à temps plein sans faire d’énormes sacrifices financiers. C’est un peu difficile à vivre quand tu vois les retomber que peuvent avoir des footballeurs ou golfeurs au même niveau… Mais c’est la loi du sport. C’est sûr que beaucoup de joueurs se battent pour que les “prize money” (primes) augmentent et que sur le circuit secondaire on puisse avoir des revenus corrects.”
Pour pouvoir vivre de son sport, et rendre les gens fiers de lui. Enfin.
Et maintenant ?
A ce jour, aucun montant n’a filtré sur les fonds qu’a réussi à rassembler Jonathan Eysseric – le dernier chiffre fait état de 6000 euros récoltés le premier mois – mais le principal n’est pas là. Par son coup de communication, le français a réussi à refaire parler de lui, autrement que dans la négation. A l’heure du bilan de ce début d’année 2015, hasard ou coïncidence, Jonathan Eysseric ne peut être que satisfait : il vient notamment de remporter le 16e Open Espace Anjou, le tournoi Futures d’Angers en battant Mathias Bourgue en deux sets (6-3 7-6) tout en s’attribuant le titre en double associé à Tom Jomby. « Depuis le début de saison, je ne joue pas très bien. Je m’accroche, mais je ne fais pas forcément ce que j’ai envie sur le court. Là, j’essaie surtout de retrouver l’envie de m’arracher sur chaque point ». Grâce à ce succès, il a empoche la balle de cristal et le chèque de 1500 € attribué au vainqueur. De quoi redonner de l’espoir à un joueur qui doute beaucoup sur la suite de sa carrière. Dans la lignée de cette victoire, il va réaliser la meilleure performance de sa carrière, la semaine dernière lors du Challenger de Bordeaux : il se hisse en demi-finale, mais ce qui impressionne c’est le CV de ses « victimes » sur le court : Norbert Gombos, 111eme et surtout l’Ukrainien Sergiy Stakhovsky 67ème mondial et tête de série n°1 en Gironde. Comme quoi le talent ne disparait jamais…
Alors que Roland Garros 2015 s’est terminé il y a maintenant 3 semaines, Jonathan Eysseric, 25 ans, ex-numéro 1 mondial et aujourd’hui 273ème à l’atp n’a pas fait partie des qualifs’. Pas invité par les organisateurs (son classement n’était pas suffisant pour y accéder de facto et il avait besoin d’une wild-card), le joueur de s’en fait pas une montagne, il en a vu d’autres. S’il sait désormais qu’il ne sera jamais n°1 mondial et ne remportera jamais de Grand Chelem, il a désormais repris son destin en main, et si la chance veut enfin lui sourire, on pourrait enfin reparler de lui pour ses performances. C’est tout le mal qu’on lui souhaite. Good luck, John !
Crédits photo à la une: Sporti