Coureur cycliste professionnel jusqu’en août 2015, fondateur et coureur de l’équipe Cross Team by G4, consultant sur Eurosport, père de famille… Steve Chainel a plusieurs casquettes. Au Stade est donc parti à sa rencontre, et vous livre son récit à cœur ouvert, en toute simplicité.
Pour commencer l’interview, pourrais-tu te présenter brièvement à nos lecteurs ?
Je m’appelle Steve Chainel, j’ai 32 ans, bientôt 33 ans. Je suis Vosgien pure souche, et je pratique le cyclisme depuis l’âge de six ans. Je suis passé professionnel à l’âge de 23 ans au sein de l’équipe Auber 93. En tout, j’ai évolué neuf années chez les professionnels au sein de cinq équipes différentes: Auber 93, Bouygues Telecom, FDJ, AG2R la Mondiale, et enfin Cofidis. Par ailleurs, je suis consultant pour Eurosport depuis le mois de mars, et je suis aussi fondateur et coureur du Cross Team by G4, une équipe de cyclo-cross créée par moi-même et mon épouse ayant pour ambition le développement du cyclo-cross en France. Et je suis également Papa de deux enfants.
En août 2015, tu romps soudainement ton contrat avec l’équipe Cofidis. Pourquoi ?
2015 fut une saison très difficile pour moi. J’avais été engagé pour épauler Nacer Bouhanni, qui était à l’époque, quelqu’un avec qui je partageais la totalité de mes entrainements. Et ensuite, après avoir juste enchainé le Tour du Qatar et le Tour d’Oman, Nacer n’a plus voulu entendre parler de moi en tant que coéquipier. Sachant que j’étais chez Cofidis dans un rôle totalement dévoué à Nacer Bouhanni, ça s’est mal passé avec la direction, et avec Nacer également. Pour moi il était hors de question de continuer à aller sur les courses en ayant la boule au ventre, et en étant le boulet de service. j’avais donc choisi de rompre mon contrat d’un commun accord. J’ai besoin d’être bien dans ma tête pour bien rouler.
Lorsqu’on est coureur professionnel retraité, on doit digérer notre déception. Notamment quand on va pointer à Pôle Emploi.
Peu avant ton départ, Jacques Decrion (manager de la team Cofidis) a déclaré « Chainel, il m’a déçu » en insistant sur le fait que tu n’as « pas rempli ton rôle de coéquipier ». Ces affirmations étaient-elles fondées ?
Oui et non. Non dans la mesure que si c’était pour me demander des choses qui étaient totalement en inéquation avec ce que j’étais capable de faire. Et oui dans la mesure où aux Tour du Qatar et d’Oman, je n’étais pas en superbe forme. Je sais que j’étais un petit peu juste à ce moment-là. Mais est-ce que c’était une raison pour autant, après seulement deux courses, de m’éjecter comme ça, surtout que Nacer est arrivé avec quatre personnes, toutes dévouées à sa cause (il n’en reste plus qu’une sur les autres actuellement, ndlr). Je pense que c’était aussi à l’entraineur de l’époque de calmer les ardeurs de Nacer qui souhaitait tout péter d’entrée. Dans tous les cas, j’ai fait mon maximum malgré tout, et je suis désolé si je l’ai déçu.
Désormais tu cours dans ta discipline de prédilection, le cyclo-cross, pour le compte de ta propre équipe: la Cross Team by G4. Quelles sont les ambitions de ta jeune équipe à court et moyen termes ?
Déjà, ce qu’il faut savoir, c’est que durant mes neuf années en tant que cycliste professionnel, j’ai toujours eu un vrai attachement au cyclo-cross. C’est d’ailleurs grâce à cette discipline que je suis passé professionnel sur route. D’ailleurs je tiens à rappeler que quand je me classe quatrième des championnats du monde Élite en 2006, le seul qui me tend la main, c’est Stéphane Javalet de l’équipe Auber 93, qui a toujours eu envie de développer le cyclo-cross. Et puis, le cyclo-cross est une discipline qui possède encore les vraies valeurs du sport, ce n’est pas un business. C’est une discipline qui a su rester très spectaculaire et familiale à la fois. J’ai toujours adoré cette discipline. Quand ça s’est mal passé pour moi en professionnel, j’ai dit à Lucie (Chainel-Lefèvre, son épouse, ndlr) ‘pourquoi ne pas tenter une aventure dans le cyclo-cross‘. Il faut alors se bouger et trouver rapidement toutes sortes de partenaires. Et finalement, ça s’est fait rapidement et nous sommes désormais très contents de pouvoir évoluer dans notre discipline en étant purement et simplement amateurs, mais avec des partenaires qui nous suivent et qui adhérent à notre projet.
Tu as été trois fois classé deuxième des championnats de France de cyclo-cross durant ta carrière (en 2009, 2010 et 2011), et cette année, tu termines 18e de la course. Une grosse déception j’imagine pour ton retour en cyclo-cross ?
Carrément ! J’ai passé un mois de janvier ca-tas-tro-phique (il insiste sur le terme). A l’époque, Lucie et moi avions dû gérer tout l’aspect management de l’équipe, c’est-à-dire l’hébergement, les contrats partenaires etc. Et tout ça avait bouffé mon énergie, d’autant plus que lorsqu’on est coureur professionnel retraité, on doit digérer notre déception. Notamment quand on va pointer à Pôle Emploi. C’est très compliqué. Mais cette période très décevante me sert actuellement car cet hiver, ce n’est pas moi qui vais manager le Cross Team by G4, c’est Geoffroy Lequatre (ancien coureur professionnel qui a créé la marque de vêtements G4, sponsor du Cross Team by G4) qui va nous donner un gros coup de main. Une deuxième personne s’occupera aussi de tout ce qui concerne les relations partenaires, relations coureurs, relations presse etc. Si on veut faire du haut-niveau, on doit être concentrés à 100% sur la discipline.
Est-ce que cette contre-performance aux championnats de France, a remis en cause la poursuite de ton projet avec le Cross Team by G4 ?
Absolument pas. Je ne suis pas quelqu’un qui me dit ‘si je fais un bon championnat de France je continue et si inversement j’arrête tout‘. L’objectif du Cross Team by G4 est de développer le cyclo-cross, et de faire monter cette équipe, pourquoi pas, en Continental, avec un programme sur route adapté aux exigences du cyclo-cross avec quelques courses de préparation, et ensuite d’arriver en étant très performant et aller chercher des titres de champions du monde. Aujourd’hui, quand on voit que des coureurs comme Clément Venturini (coureur professionnel chez l’équipe Cofidis, ndlr), Arnaud Jouffroy (Champion du monde de cyclo-cross juniors en 2008, ndlr) comme beaucoup d’autres champions du monde juniors ou espoirs, se sont perdus en route et qui n’ont pas réussi à percer dans leur discipline de prédilection et de cœur, je me dis qu’il y a un problème. On se dit qu’il faudrait s’inspirer de nos amis belges, qui lorsqu’ils ont des champions du monde juniors ou espoirs, ils les maintiennent en cyclo-cross et arrivent à les faire vivre du cyclo-cross.
Après un court passage sur L’Équipe 21, tu travailles désormais pour Eurosport, en tant que commentateur notamment. Comment en es-tu arrivé là ?
Le hasard ! (rires) J’ai toujours eu de très bonnes relations avec les médias en général, j’ai toujours été disponible et j’ai toujours joué le jeu. Pour moi ça faisait partie du métier. Après je suis quelqu’un qui possède un peu de bagou et qui aime bien raconter des anecdotes. Je suis un pur passionné de cyclisme, et c’est Patrick Chassé qui m’a tendu la main pour commenter les courses que j’affectionnais le plus, à savoir les courses pavés. J’ai pris un pied fantastique à faire ça sur L’Équipe 21. Et Guillaume di Grazia, avec qui j’avais déjà eu l’occasion de réaliser quelques petites interventions lorsque j’étais coureur, m’a tout de suite téléphoné. On s’est rencontrés et il m’a proposé d’intégrer la troupe des Rois de la Pédale avec Jacky Durand, David Moncoutié, Richard Virenque et Marion Rousse. Il m’a proposé un contrat avec un nombre de courses à suivre assez important. Je n’ai pas mis longtemps avant de signer avec eux un contrat d’exclusivité jusqu’au mois de mars 2017.
Vous avez désormais, toi et ta compagne Lucie (double championne de France de cyclo-cross), le statut amateur avec la Cross Team by G4. Ce n’est pas un peu short financièrement parlant, étant donné que vous êtes tous les deux bénévoles ?
Si, aujourd’hui je suis au chômage. Lucie, par contre, a fait le choix de s’occuper de nos deux enfants durant toute ma carrière professionnelle, car quand on est coureur cycliste, et qu’on a une femme à la maison, c’est toujours un gage de sérénité. On a bien vécu pendant neuf ans, et aujourd’hui je suis au chômage, donc je touche des indemnités de Pôle Emploi, même si en parallèle, j’ai monté une société qui me permet d’être pigiste pour Eurosport. Mais oui financièrement parlant ce n’est pas simple, mais on fait ce qu’on aime. Et pour nous, vivre de sa passion, ce n’a pas de prix. On s’éclate, mais c’est aussi grâce à l’aide de la famille et des amis.
Tu rappelles souvent, quand tu es à l’antenne sur Eurosport, ton attachement à Julian Alaphilippe. Que penses-tu de la saison actuelle de ton protégé ?
Ça fait maintenant un petit moment que Julian est un de mes meilleurs amis ! (rires) Je le connais depuis qu’il est en équipe de France juniors, et c’est un gamin qui a toujours été très polis et qui, un peu comme moi, est très énergique et hyperactif. Pour en revenir à sa saison, celle-ci est tout simplement exceptionnelle. Ce n’est pas si surprenant en fait. D’ailleurs, quand Julian était encore chez les espoirs, je l’ai souvent conseillé à mes managers, et on m’a toujours opposé un refus en me disant ‘non il est trop tendre‘. Après, c’est vrai qu’avec son sourire à toutes épreuves, on pourrait croire que c’est quelqu’un de très décontracté, un ‘petit branleur‘ entre guillemets. Mais dans les faits, il est très professionnel, et il a un moteur de dingue. Et encore aujourd’hui il a une marge de progression énorme et je l’ai déjà dit à l’antenne, c’est pour moi le nouveau Valverde. Il va gagner des classiques, des étapes du Tour, et peut-être même rentrer dans les cinq d’un grand Tour. Il ne se pose aucune limite.
Il semble à l’aise sur tous types de terrains (courses à étapes, classiques ardennaises…). Ne penses-tu pas qu’il serait préférable qu’il se spécialise ?
Non, pour l’instant il est très jeune, il découvre toutes les courses. Il a bien raison de tout tester, et en plus il a une formation Etixx-Quick Step qui lui fait confiance et qui ne le met pas non plus sur tous les terrains et sur n’importe quoi. Aujourd’hui, Julian est un garçon qui peut jouer au Peter Sagan en faisait à la fois du cyclo-cross, du VTT, des étapes de montagne, et même des sprints massifs. Je pense qu’il faut qu’il découvre un maximum de choses, et ensuite c’est lui qui va finalement se spécialiser de la meilleure des manières possibles, en allant vers ce qu’il lui plaît le plus.
La préparation du Tour 2016 a été tronquée par des publications de reportages accablant sur le dopage dans le cyclisme, notamment par la rédaction de France 2 (Stade 2 puis Cash Investigation). Que penses-tu de ces enquêtes ?
Pour être franc, je n’en pense pas grand-chose. Ce sont des enquêtes journalistiques très bonnes, étant donné que le métier de journaliste est difficile et qu’il faut trouver de bons sujets. Maintenant, ce qui est un peu énervant, c’est que cela sorte quinze jours avant le début du Tour de France. En regardant ces reportages, on n’apprend rien de nouveau. Oui il y a des tricheurs, il y aura toujours des tricheurs, mais le peloton s’est très assaini. Maintenant il est possible de faire le podium d’un grand Tour à la flotte. Jean-Christophe Péraud l’a fait, Thibault Pinot l’a fait. Je pense que les grandes instances internationales font très bien leur boulot. Après, pour être franc, j’ai quand même été surpris par le reportage de Stade 2 sur les moteurs. Quand on voit que certains mecs font une course sur un scooter, ils prennent les gens pour des cons. C’est navrant, mais je pense qu’on va dans le bon sens. Ce qui est dommage encore une fois, c’est qu’on tape uniquement sur le vélo alors que d’autres sports sont très touchés par le phénomène.
Durant toutes ces années passées en tant que coureur professionnel, as-tu déjà été approché par des personnes mal attentionnées ?
Non, jamais. Quand on entend dire que ‘c’est facile aujourd’hui de se doper’, je ne suis pas trop d’accord. On m’a jamais, en neuf années de carrière, proposé un produit pour me faire avancer plus vite. Je suis passé pro en 2006, et le peloton français était, honnêtement, déjà très assaini. D’autres équipes d’autres pays peut être un peu moins, mais on a toujours des échos comme quoi Bernard Sainz (accablé par des affaires de dopage et épinglé par le reportage de Cash Investigation, ndlr) est toujours là dans le peloton, et que Fuentes (médecin espagnol impliqué dans l’affaire de dopage Puerto en 2006, ndlr) fait encore acte avec certains coureurs. J’ai fait huitième de Gand-Wevelgem, j’ai fait deux TOP 15 à Paris-Roubaix, et je peux me regarder droit dans une glace et dire à tout le monde que ces performances-là j’ai été les chercher avec l’entrainement.
Quand on voit que certains mecs font une course sur un scooter, ils prennent les gens pour des cons.
Pourtant, un coureur comme Lloyd Mondory* qui a été ton coéquipier pendant deux saisons (2013-2014) au sein de l’équipe AG2R La Mondiale, a été dopé durant plusieurs années à l’EPO…
C’est vrai. Malheureusement 100% du peloton français n’est pas blanc, il y aura toujours des brebis galeuses. Je vais être cash et dur avec Lloyd: il ne m’a jamais fait mal aux jambes, et ça me fait mal qu’un mec comme lui se fasse prendre à l’EPO. Car si un mec comme ça se fait rattraper par la patrouille, c’est triste. Car, à la limite, s’il avait gagné un Tour des Flandres ou un Paris-Roubaix, on aurait envie de dire qu’il nous a bien eu mais qu’il avait au moins un potentiel. Nous on était vraiment surpris chez AG2R, car Vincent Lavenu (manager de l’équipe AG2R La Mondiale, ndlr) nous a toujours prévenu qu’en cas de moindre problème de dopage, il nous foutait dehors.
Donc tu n’avais jamais eu de suspicions à son égard ?
Jamais. Lloyd était quelqu’un de très professionnel, il faisait attention à ce qu’il mangeait, etc. Après, je ne dors pas avec lui, je ne sais pas ce qu’il fait quand il ferme sa porte le soir avant d’aller se coucher, je ne vis pas avec lui… Donc c’était difficile de le dépister. Autant pour certains autres coureurs étrangers j’ai de fortes suspicions, mais pour lui, je n’en ai jamais eu.
Avec ton œil d’expert, quel est ton pronostic pour ce Tour de France 2016 qui se déroule actuellement ?
Pour moi c’est Chris Froome qui va aller au bout. C’est vraiment l’homme à battre. Il n’est pas à l’abri d’un jour sans, mais avec son équipe exceptionnelle, je ne vois pas comment il pourrait être déstabilisé. Il ne laisse rien au hasard au niveau de sa préparation comme de son repérage d’avant compétition. C’est vraiment LE favoris.
Propos recueillis par Nicolas Tanner @Nicolas_Tanner
*Lloyd Mondory a été suspendu quatre ans de toutes courses cyclistes, à cause d’un contrôle positif à l’EPO en 2015.
Photo à la une: EKZ Cross Tour