Le Qatar doit accueillir la prochaine Coupe du monde en fin d’année 2022. Si la FIFA y trouvera sûrement son intérêt sur le plan financier, le journal britannique The Guardian révèle que plus de 6500 ouvriers venus du sous-continent indien seraient décédés sur les chantiers de la future compétition. Une raison suffisante pour imaginer un boycott du Mondial-2022 ? Décryptage.
Un contexte pesant et sous-jacent depuis plus de 10 ans
Depuis décembre 2010 et l’attribution de la Coupe du monde 2022 au Qatar, les polémiques et scandales sont légion dans le monde du ballon rond. Il y a en premier lieu, la situation géographique et climatique du Qatar. Si l’on excepte le coté purement lucratif de la chose, quel intérêt de jouer dans un pays ou les températures oscillent entre 35 et 50°C ? Le petit état du Golfe Persique a donc décidé de climatiser une partie des stades où se disputeront les rencontres. Une véritable hérésie et un non-sens total à l’heure où le monde sportif prend conscience du changement climatique, et donc d’organiser des compétitions plus écologiques et plus vertes. De plus, rappelons que le Mondial-2022 est censé se dérouler durant les mois de novembre et décembre. Soit en pleine saison des championnats européens, notamment celle de la Ligue des champions. Ce qui chamboulerait de facto toutes les compétitions du Vieux-Continent.
Mais c’est l’attribution même qui avait déjà crée la polémique il y a plus de 10 ans désormais. Dès le lendemain, les médias britanniques, notamment le Sunday Times et la BBC, dénonçaient une corruption à grande échelle qui gangrènerait l’instance mondiale depuis de longues années. Quelques jours plus tard, c’est l’icône absolue du football français, Zinédine Zidane qui est accusé d’avoir perçu un chèque de 15 millions de dollars pour soutenir la candidature du Qatar. En 2011, Mohamed Bin Hammam, président qatari de la Confédération asiatique est banni à vie de toute activité lié au football par la FIFA pour avoir été reconnu coupable de fraude et d’achats de voix. Les remous liés à cette attribution continueront jusqu’à aujourd’hui avec notamment la mise en examen de Michel Platini, alors président de l’instance européenne l’UEFA au moment de l’affaire.
Un boycott du Mondial-2022 est-il sérieusement envisageable ?
Peut-on réellement imaginer un boycott de la plus grande compétition sportive au monde, un Mondial de football ? Le débat a été relancé par de nombreux clubs norvégiens, dénonçant les multiples violations des droits humains. « Le fait que la corruption, l’esclavage moderne et un nombre élevé de morts soient à la base de la chose la plus importante que nous ayons, la Coupe du monde, n’est absolument pas acceptable », a souligné Tromsoe IL, premier club à réclamer un boycott. Fin mars, ce sont les joueurs de l’équipe nationale de la Norvège ainsi que ceux des Pays-Bas qui sont entrés sur le terrain arborant un tee-shirt « Droits humains sur et en dehors du terrain ». Le monde du football norvégien devrait examiner la question lors d’un congrès exceptionnel le 20 juin. Si la réaction des clubs scandinaves et de la sélection batave est louable et a le mérite d’ouvrir le débat, il en faudra clairement plus pour faire bouger les lignes.
Oui si il y avait une bataille pour le boycott, moi j’y participerais, mais je n’ai pas beaucoup d’illusions. C’est une honte ce qui se fait là, 6500 personnes sont mortes sur les chantiers. C’est affreux. »
En France, Jean-Luc Mélenchon contribue à politiser l’affaire du Mondial-2022.
Reste que pour l’instant, le leader de la France Insoumise est bien seul à s’alarmer de la situation sur les chantiers qataris. Xavier Bertrand, futur candidat à l’élection présidentielle a préféré botter en touche: « Et si on laissait le sport en dehors des enjeux de politique et de géopolitique ? Ça serait bien mieux quand même ». Même son de cloche du côté des acteurs du jeu. Pour la star allemande Joshua Kimmich, le boycott « arrive 10 ans trop tard », son compère du milieu de terrain de la sélection germanique Toni Kroos, lui emboite le pas: « Un boycott ne changerait probablement pas grand chose à la situation des travailleurs sur place ». Difficile de blâmer des joueurs et sélectionneurs dont la Coupe du monde est souvent l’aboutissement et l’apothéose de leur carrière sportive.
Avec le mouvement #BoycottQatar, la route vers 2022 ne sera pas un long fleuve tranquille pour le Qatar
En l’état actuel des choses, remettre en cause l’organisation pure et simple du Mondial-2022 est hautement improbable. Beaucoup d’Etats et de fédérations ne souhaitent pas franchir le rubicon. Pourtant en se tournant vers le passé, des boycotts sportifs ont été utilisés à maintes reprises avec plus ou moins de succès. Rappelons ici le cas de l’Afrique du Sud dans le contexte d’apartheid. Décrétées sous l’égide de l’ONU, les multiples sanctions étaient globalement respectées et ont précipitées (avec bien d’autres éléments) la chute du régime de Pretoria. Rappelons-nous également des années de guerre froide avec le boycott d’une cinquantaine d’athlètes lors des Jeux-Olympiques de Moscou (1980) et de Los Angeles (1984).
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Mais dans le cas du Qatar, ni une logique de blocs, ni l’ONU ou toute autre instance de la communauté internationale ne se risqueront à lancer un boycott. D’autre part, en quoi une Coupe du monde de football au Qatar est-elle plus discutable que celle organisée dans la Russie de Vladimir Poutine en 2018 ? De même, en pleine crise des Ouïghours, certains appellent au boycott des Jeux-Olympiques de Pékin en février prochain. Ainsi, de quelle vertu doit se parer un Etat afin de pouvoir organiser un évènement sportif ? Si ces nombreuses questions restent pour l’instant sans réponse, il est important de noter qu’elles ont le mérite d’être désormais posées. Il reste un peu plus d’une année au monde du football pour y répondre.