C’est l’affaire qui fait trembler le foot français: Mediapro n’a pas assuré le paiement de 172 millions d’euros en date du 5 octobre dans le cadre du contrat qui le lie à la LFP pour la diffusion de la Ligue 1 Uber Eats. Pire, en plus de demander un délai supplémentaire pour verser les fonds, Mediapro a également demandé à renégocier le montant des droits TV du championnat à la baisse pour la saison 2020-2021. Mais malgré l’absence du respect de ses obligations contractuelles, sa chaîne Telefoot continue de diffuser le championnat plus d’un mois après l’échéance manquée. Dossier.
Mediapro, une absence de garanties financières
C’est le principal reproche qui est adressé à la LFP et aux clubs de Ligue 1 Uber Eats. Appâtés par la somme vertigineuse de 820 millions d’euros proposée par Mediapro, les dirigeants du football français ont fermé les yeux sur la situation financière du groupe sino-espagnol, n’exigeant aucune garantie financière lors de l’attribution des droits TV pour la Ligue 1 et la Ligue 2. Alors que Mediapro se trouve aujourd’hui dans l’incapacité de respecter ses engagements, le retour de bâton pourrait être terrible pour tous les clubs et la pérennité de certaines équipes dont le budget repose essentiellement sur le versement de ces droits pourrait être remise en cause.
En effet, aucune garantie financière n’a été demandée à Mediapro lors de l’attribution des droits contrairement à l’Italie où l’offre de Mediapro a finalement été refusée en raison de l’incapacité du groupe sino-espagnol à fournir des garanties financières suffisantes. Si de nombreux dirigeants se sont offusqués de ce reproche estimant qu’il était impossible de demander des garanties bancaires pour un tel montant, il semble également impossible que la Ligue ait attribué ce contrat sans s’être assuré au préalable de la solvabilité du groupe. De toute évidence, la preuve de la solidité financière du diffuseur aurait dû être un élément essentiel dans le choix de la LFP pour choisir le groupe télévisé qui allait remporter l’appel d’offres.
Une société en difficulté
Pourtant, les signes de la difficulté financière de la chaîne sont apparus depuis plusieurs mois. Notamment la baisse de la notation de Mediapro par l’agence de cotation Moody’s. En avril, cette dernière avait dégradé la note de la holding possédant Mediapro (Joye Media) en la considérant comme une société à risque. Aujourd’hui, Moody’s évalue Mediapro comme une société extrêmement proche du défaut de paiement autrement dit incapable d’assurer ses créances. Mais malgré toutes ces difficultés, Mediapro continue de diffuser la Ligue 1 Uber Eats grâce à quelques mécanismes juridiques.
Mediapro sous la protection du tribunal du commerce
Début octobre, la LFP a refusé les demandes de Mediapro et a mis en demeure le groupe sino-espagnol de respecter ses obligations contractuelles sous peine de rompre le contrat unilatéralement. Mediapro avait alors 30 jours pour assurer le paiement des droits au risque de perdre le droit de diffuser le championnat de France. Pourtant, ce délai est aujourd’hui dépassé et Mediapro continue de diffuser la Ligue 1 Uber Eats sans être inquiété. La raison ? Une procédure judiciaire initiée par le diffuseur qui protège les sociétés en difficulté.
Concrètement, Mediapro s’est placée sous la protection du tribunal du commerce de Nanterre. Cette procédure permet aux sociétés en difficultés financières d’obtenir la nomination d’un mandataire chargé de renégocier les délais de paiement ou de trouver d’autres solutions financières ou juridiques avec les créanciers de cette société. Ces nouvelles conditions ne pourront être imposées à la LFP mais cette procédure empêche la Ligue de récupérer les droits malgré le défaut de paiement et le délai de 30 jours dépassé. En effet, ce mandat interdit la rupture du contrat le temps de la procédure. Or cette procédure est valable pour une durée de trois mois et renouvelable plusieurs fois, plaçant ainsi Mediapro en situation de force et devrait forcer la LFP à solliciter un nouveau prêt en décembre.
Impuissante, la LFP a tenté de se retourner sans succès contre l’actionnaire principal issu d’un fond d’investissement chinois. Elle a toutefois pu obtenir la saisie des avoirs de Mediapro en France. Il s’agit des sommes versées par les abonnés de sa chaîne Telefoot et par les distributeurs de la chaîne mais ces sommes sont évidemment loin de couvrir les 172 millions d’euros initialement attendus le 5 octobre.
Les clubs français pris en otage
Face au refus du gouvernement d’agir, la LFP n’a pas eu d’autre choix que de contracter un nouveau prêt de 120 millions d’euros auprès d’une banque étrangère. Mais si ce prêt devrait permettre aux clubs de subvenir à leurs besoins immédiats, celui-ci n’assure en aucun cas la pérennité du championnat de France et des 34 000 emplois qu’il génère. Toutefois, refuser de négocier avec Mediapro pourrait pousser le groupe sino-espagnol à se placer en procédure de sauvegarde ou en redressement judiciaire entraînant ainsi le gel des créances.
Les exigences de Mediapro
Pourtant, les clubs français ne peuvent pas tout accepter ni tout céder à Mediapro alors que le groupe télévisuel demande ni plus ni moins une baisse de 25% du montant des droits TV pour la saison 2020-2021. Mediapro propose également un rallongement du contrat de 2 saisons, soit jusqu’en 2026 (contre 2024 actuellement) contre 820 millions par saison supplémentaire – mais cette proposition est contraire à la loi. Il est aujourd’hui difficile d’imaginer que la LFP accepte de baisser le montant de ses droits à moins que cela constitue la moins mauvaise solution. Cependant, cela pourrait pousser les autres diffuseurs à faire une demande similaire par souci d’équité.
Finalement, si Mediapro devait se retrouver en défaut de paiement définitivement, la LFP devrait procéder à un appel d’offre dans les 2 mois. Les offres reçues seraient alors probablement très inférieures à la somme proposée par Mediapro mettant ainsi les clubs en difficulté. Jean-Michel Aulas a également évoqué l’idée de la mise en place d’un système de match à la carte (pay-per-view) mais ce projet semble complexe alors même qu’il vient d’être abandonné en Angleterre.
Crédits photo à la Une: ESADE Press Room