A la fin des années 80, le foot italien est engoncé dans ses certitudes et son catenaccio. Un homme va tout changer avec une approche novatrice et différente de ce que le Calcio avait vu jusque là: Arrigo Sacchi. Retour sur la carrière du « Mage de Fusignano » qui changea à tout jamais le football transalpin.
Arrigo Sacchi, le mage et le cavaliere
1987: Silvio Berlusconi n’est pas encore « Le Caïman », politique relatée par Nanni Moretti, mais c’est déjà un businessman accompli et très audacieux. Il vient de racheter le Milan AC un an auparavant, le club se trouvant quasiment en dépôt de bilan après le scandale du Totonero au début des années 1980. Comme dans ses affaires, Berlusconi est audacieux, il décide donc de laisser les clés à un jeune entraineur quasi inconnu qui vient d’éliminer son Milan de la coupe d’Italie. Son nom: Arrigo Sacchi.
Celui-ci n’a pas été joueur professionnel mais il a des idées, beaucoup d’idées. Et novatrices tant qu’à faire. Il les impose dans les équipes de jeunes qu’il entraîne (Cesena et Fiorentina entre autres). Puis c’est à Parme en Division 3 italienne qu’il officie, avec une montée dès sa première saison. Le « mage de Fusignano » Sacchi vient de faire son premier tour.
Avec Sacchi, c’est l’heure de la révolution, la vraie
Silvio Berlusconi est déjà un homme ambitieux, il veut que son Milan soit à son image: flamboyant et spectaculaire. Et pour cela, il ne s’est pas trompé avec Sacchi. Mais celui-ci a besoin de temps pour mettre ses idées en application. Ses principes ? Un 4-4-2 en zone où tout le monde défend y compris les deux attaquants. Impensable dans un pays où la défense à trois, le marquage individuel et le libero décroché demeurent un tryptique immuable.
Le pressing est constant et surtout très haut, Arrigo Sacchi veut littéralement étouffer l’équipe adverse. Sa ligne défensive à plat lui permet de piéger les adversaires avec la règle du hors-jeu. Précurseur, là aussi. N’ayant pas été joueur professionnel, il accorde plus d’importance au schéma qu’a l’individu et aux egos. La révolution de Sacchi sera collective avant tout.
Je ne savais pas que pour devenir un jockey, il fallait un jour avoir été cheval. »
La réplique fétiche d’Arrigo Sacchi, reprise des années plus tard par José Mourinho et d’autres.
Mais les efforts tant physiques que techniques demandés par Sacchi passent mal auprès des joueurs – il obligera son groupe à s’entraîner deux fois par jour, là où la norme était de quatre fois par semaine à l’époque. Les résultats n’arrivent pas et certaines critiques sur cet entraineur sans expérience du haut niveau remontent à la surface. Mais le boss du Milan est sûr de son choix. Lors d’un match à Verone, il glisse à ses joueurs: « Entre Sacchi et vous, je choisis Sacchi. » Dès lors, le vestiaire sait à quoi s’en tenir et les résultats arrivent.
Des trophées et des Hollandais
Son Milan devient implacable et la razzia peut commencer. Arrigo Sacchi remporte le Scudetto dès sa première saison avant d’enchainer deux Coupes d’Europe des clubs champions en 1989 et 1990. Le grand Milan est en marche. Le collectif est parfaitement huilé et la partition est jouée à la perfection. Son chef d’œuvre ? Avril 1989, demi-finale de la Ligue des champions contre le Real Madrid. Le Milan AC obtient le 1-1 à Santiago Bernabeu en muselant totalement les locaux.
Je n’avais jamais vu une équipe venir imposer son jeu, nous attaquer, nous prendre le ballon et le terrain comme l’a fait Milan ce jour là, nous étions sous le choc ».
Emilio Butragueño, attaquant du Real Madrid, au sujet du Milan AC de Sacchi
Mais le vrai choc a lieu au match retour. Les Rossoneri détruisent littéralement les Madrilènes à San Siro, 5-0. Les Merengue n’arrivent pas à ressortir un ballon et sont étouffés par le pressing haut et constant de la bande à Sacchi. En finale, les Roumains du Steaua Bucarest subiront également la foudre, défaits 4-0. Suivront deux Supercoupes d’Europe, deux Coupes Intercontinentales, une coupe d’Italie et une Supercoupe d’Italie.
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Mais si Arrigo Sacchi a toujours insisté sur l’aspect collectif et schématique de sa réforme, toute révolution a besoin de grands hommes. Et son Milan AC possède de sacrés joueurs en son sein. La bande des Italiens avec le capitaine historique Franco Baresi, Paolo Maldini, Costacurta, Ancelotti, Donadoni. Et puis, évidemment les trois Bataves: Ruud Gullit, Frank Rijkaard et bien sûr, Marco Van Basten. Malgré la rigueur tactique demandée par Arrigo Sacchi, Gullit obtiendra le ballon d’Or en 1987 et Van Basten raflera les deux suivants en 88 et 89. Comme quoi, il était toujours possible d’exprimer son talent dans les schémas du maestro.
Nazionale et fin de la magie
Gavé de titres en quatre ans avec ses immortels milanais, Arrigo Sacchi prend logiquement en charge la sélection nationale. Ses résultats sont mitigés, l’Italie échoue à se qualifier pour l’Euro 1992 mais elle atteint la finale de la Coupe du monde deux ans plus tard, malgré un jeu poussif et avec une certaine réussite. De plus les problèmes relationnels entre Sacchi et la star de l’équipe Roberto Baggio plombent le collectif.
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Lors de l’Euro 96, la Nazionale se fait éliminer dès le premier tour: direction la sortie pour Sacchi. Il retournera au Milan AC pour une saison sans relief, puis il s’essaiera à l’Atlético Madrid avant de finir à Parme, là où Silvio Berlusconi l’avait débauché 14 ans plus tôt. Mais le « mage de Fusignano » n’a plus de tours dans son sac et son chef d’œuvre est bien derrière lui.
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Mais il suffit d’écouter les entraineurs majeurs actuels, de Guardiola à Simeone en passant par Marcelo Bielsa pour mesurer l’impact de Arrigo Sacchi sur le football mondial. Comme le mentionnait, admiratif, Claudio Ranieri lors du sacre de son équipe Leicester en 2016: « Arrigo Sacchi est arrivé et il a tout changé. C’est lui qui a permis au football italien de prendre un nouveau virage et de s’ouvrir à un jeu offensif ». Si la magie a disparue, les idées et les préceptes d’Arrigo Sacchi resteront encore longtemps dans les mémoires.