FOOTBALL – Marseille n’aura donc pas eu le temps de sécher ses larmes suite au décès de Michel Hidalgo, à 87 ans, la semaine passée. Infecté par le Covid-19, Pape Diouf s’est éteint hier à l’âge de 68 ans à Dakar au Sénégal. Ce sont donc deux amoureux de la ville phocéenne et de l’OM qui nous ont quittés dans cette étrange période de notre vie.
La nouvelle avait émue bien au-delà de l’Afrique. L’onde de choc s’était répandue en France, où les amoureux du ballon rond ne pouvaient oublier cette figure. L’annonce de la contamination de Pape Diouf par le coronavirus à Dakar, au Sénégal, sur sa terre natale, n’était pas passée inaperçue. L’état de santé de ce dernier, placé sous assistance respiratoire, s’est malheureusement trop vite dégradé, ne laissant pas le temps au personnel médical soignant sénégalais d’organiser son rapatriement à Nice, où il devait être pris en charge.
C’est bien plus qu’un ancien président de l’OM que le monde du football français a perdu hier. Pape Diouf incarnait à lui seul un modèle de réussite et d’intégration. Arrivé de Dakar pour devenir militaire dans le Sud de la France, Pape Diouf ne suivra jamais l’exemple de son père, tirailleur sénégalais ayant participé à la Libération en 1944 et qui avait vaillamment servi la France depuis l’Afrique, entreprenant une autre carrière qui le mènera à vivre de sa passion, le ballon rond.
Pape Diouf, bien plus qu’un président de club de foot
Pape Diouf était un personnage aux multiples facettes. Il était un homme de convictions politiques, de gauche, n’hésitant jamais à égratigner le sort réservé aux minorités ethniques en France et plus largement en Europe. Un homme que les partis politiques français, des socialistes aux écologistes, se sont arrachés, mais qui a toujours préféré suivre son propre instinct, sa propre voie. Diplômé de Sciences Po Aix-en-Provence, Pape Diouf était ainsi un homme de lettres, extrêmement cultivé. Journaliste sportif sur la Canebière, il a grimpé la hiérarchie dans tous les périodiques où il est passé. À La Marseillaise comme dans l’éphémère journal Sport. Son amour pour l’OM s’est construit à cette époque, au point même qu’il n’en manquait aucun match. Ce n’est donc pas un hasard, ni même un coup de pouce du destin, qui le poussa un peu plus loin dans les arcanes du monde du ballon rond. Toujours affable, mais jamais crédule, Pape Diouf s’est fait énormément d’amis à Marseille et dans le monde footballistique alors qu’il suivait l’évolution de l’OM, une plume à la main.
Des bonnes relations qui le propulseront dans un milieu sulfureux, celui d’agent de joueur. Un milieu dans lequel il parviendra, comme toujours, à tirer son épingle du jeu, défendant les intérêts, avec passion, honnêteté et force, de certains des plus grands acteurs du monde du football (Drogba, Nasri, Desailly, Lama, Gallas, Blanc…). Toujours plus proche de son amour de club, Pape Diouf finira par obtenir son graal: entrer dans les instances directrices de l’Olympique de Marseille. Là encore, comme si son ascension ne pouvait prendre fin, Pape Diouf grimpa toutes les marches les unes après les autres. Imposer sa patte personnelle dans ce monde ingrat du football professionnel, qui plus est dans un club des plus agités comme l’est l’OM, n’est pas chose aisée, chose accessible à n’importe qui. Pourtant, Pape Diouf le fit, armé de ses convictions et de sa façon de travailler, unique en son genre.
D’abord directeur sportif en 2004, Pape Diouf ne tarde pas à accéder à la présidence du directoire une année plus tard. Le fruit d’une période mouvementée pour le club, José Anigo, l’entraîneur, ayant démissionné dans l’année et Christophe Bouchet, alors président, ayant été débarqué par Robert-Louis Dreyfus dans la foulée. Pas le temps de s’adapter donc. Diouf, qui tournait autour de l’OM depuis un bon moment, connaît de toute façon ses arcanes, mais de là à s’imaginer devenir président… Pape Diouf ne s’en était peut-être jamais rendu compte à l’époque car la tête à la besogne, mais cette ultime promotion était bien plus qu’une révolution de palais à l’OM, mais une révolution culturelle à l’échelle du football français. Le sénégalais restera à jamais le premier président noir d’un club de première division. Une ligne dans l’histoire qui ne pouvait appartenir qu’à cet homme, qui s’est toujours battu dans le sens de ses convictions, ne se contentant jamais d’égratigner sans agir.
À la tête de l’OM, pas de titre mais un héritage intact
À la tête de l’OM, Pape Diouf ne remporta aucun titre. Dire que l’OM ne traversait pas la meilleure période de son histoire à son arrivée à sa tête relève de l’euphémisme. Pourtant, au milieu des guerres intestines, Pape Diouf remit le club sur de bons rails. Pas de titre donc, mais des résultats au-dessus des espérances. Pape Diouf ramena de manière pérenne le club phocéen en Ligue des champions entre 2007 et 2009, performance dont ses successeurs ne peuvent pas tous se targuer. Toujours droit dans ses bottes, frontal face au mistral contraire qui pouvait frapper « son » club, Pape Diouf manqua de peu le titre de champion de France en 2009, pour sa dernière année à la tête de l’OM.
Ces bons résultats ne feront pourtant jamais cesser les guerres de pouvoir au sein des arcanes de l’OM. Dans un monde où le répit n’a jamais été introduit au vocable, Pape Diouf devait céder sa place. Le travail de sape d’un certain Vincent Labrune, alors président du conseil de surveillance, eut raison du Sénégalais. Trop consciencieux, ce dernier ne voulait causer de soucis à un Robert-Louis Dreyfus mourant et accepta sa décision de le limoger avec respect. À sa façon de manager unique, qui fera de Diouf une figure à part et inoubliable au sein des virages du Vélodrome, qui lui ont chaleureusement rendu hommage à l’annonce de son décès, ne manqueront que des trophées. Des trophées que son successeur Jean-Claude Dassier soulèvera avec un certain Didier Deschamps sur le banc de l’OM, en 2010, juste après le départ du Sénégalais. Des trophées qui portent ainsi la marque Diouf. Son héritage à la tête de l’OM restera à jamais intact.
Loin des arcanes du ballon rond, Pape Diouf continuera pourtant d’en vivre. Consultant pour Canal+ et pour le journal Le Monde, le Sénégalais restait un homme dont la voix comptait dans le milieu. Cette voix s’est éteinte hier. L’ultime ascension de ce grand homme restera à jamais comme la plus douloureuse.
Crédits photo à la Une: capture d’écran YouTube – Canal+Sport