En l’espace d’un demi-siècle, les droits télé du foot français semblent avoir suivi une évolution tant fluctuante qu’ascendante. L’occasion pour la rédaction d’Au Stade de décrypter ce phénomène.
Le 29 décembre était un jouer quelque peu particulier pour la Ligue 1: c’est la date d’anniversaire de la première diffusion d’un de ses matchs à la télévision, un Reims-Metz à Auguste Delaune en 1956. Pour la petite histoire, ce match se termina par une victoire deux buts à un des rémois, alors 3e du championnat et largement supérieurs à leur adversaire, lanterne rouge (18e à l’époque). A l’époque cet accord fut le fruit de longues négociations entre RTF, qui diffusa le match, et l’ancêtre de la Ligue, le Groupement. Ce dernier n’y voyait qu’un moyen de détourner les gens du stade et RTF dut s’engager à payer la différence entre la recette des billets de ce match et la recette habituelle (ce qui leur coûta cher). Mais ce fut finalement un succès, et c’est comme ça qu’a débuté le long chemin qui mena à la diffusion de la saison 1984-1985 sur Canal Plus. On était alors loin d’imaginer l’importance que prendrait la retransmission télévisuelle dans le football. Elle est devenue un formidable outil, que ce soit pour les championnats et les clubs afin de s’exporter sur de nouveaux marchés (par exemple en Asie), pour les supporters pour ne plus rater un match etc. Les sommes d’argent en jeu ont petit à petit transformé la diffusion sur petit écran un enjeu économique de première importance. Explications.
La diffusion télévisée, un marché en hausse
La diffusion télévisée de la Ligue 1 est, depuis la première saison diffusée, un marché dont les prix suivent l’évolution de la concurrence. Alors que Canal Plus payait 800 millions de francs par an pour diffuser toutes les rencontres entre 1984 et 2001, l’arrivée d’un concurrent (TPS) l’oblige à débourser près de 2 milliards de francs (l’équivalent de 305 millions d’euros) pour garder la diffusion des principales rencontres. Ces droits télé ont ensuite continuellement augmenté même après le retrait de TPS, que cela soit dû à la volonté de Canal Plus d’être seul diffuseur ou à la concurrence d’Orange Sport et de beIN Sports. La seule exception fut la période 2012-2014 ou, malgré l’arrivée de beIN sports, le retrait d’Orange a déstabilisé le marché et les a fait légèrement baisser.
Depuis, le diffuseur historique a ainsi vu son nombre de matchs se réduire après 2014, jusqu’à finalement tout perdre pour la période post-2020, n’ayant pu suivre la proposition record faîte par Mediapro, média espagnol financé par des fonds chinois. Mais la hausse connue récemment ne s’explique pas que par l’arrivée de nouveaux concurrents, mais bien aussi par deux autres facteurs: la stratégie de la LFP et les propriétés de ces biens que constituent les droits télé, comme l’économiste Julien Pillot l’explique. Tout d’abord la stratégie de la Ligue consiste à séparer les matchs en plusieurs lots, qui sont tous individuellement mis aux enchères. Cela contribue donc à faire grimper le prix total. De plus, ces droits sont des biens excluables, c’est-à-dire que les posséder vous renforce, mais aussi affaiblit vos concurrents. Cela pousse donc à investir bien plus pour ne pas se faire déborder par un rival. Surtout qu’actuellement la tendance des consommateurs est de se tourner vers le replay ou d’autres modes de visionnage, plus tournés vers la demande, au détriment de la télévision. Les événements en direct sont donc de plus en plus valorisés car ce sont les seuls qui permettent de regrouper beaucoup de téléspectateurs sur une chaîne. Ces deux facteurs contribuent plus à l’augmentation de ces droits que l’amélioration de la compétitivité et de la visibilité de la Ligue 1 depuis les arrivées de QSI puis de Neymar. Ils sont d’ailleurs observables dans les autres grands championnats.
Une hausse qui profite aux clubs
Les premiers vainqueurs de cette hausse sont bien sûr les clubs de Ligue 1. Les droits touchés par la Ligue sont répartis entre eux de plusieurs manières. D’abord ils touchent tous une part fixe et une licence club, égales pour tous les clubs, qui correspond à environ 50% de la somme reçue par la Ligue. Ensuite, une autre partie est distribué selon 3 critères: les résultats sportifs de la saison, les résultats sportifs des cinq dernières saisons et l’exposition télévisuelle des dernières années. A cela est ajoutée une aide pour les clubs ne jouant pas de Coupe d’Europe et une autre pour les clubs relégués en Ligue 2 (le reste part dans le football amateur). Cette distribution est extrêmement importante pour les clubs car elle représente une grosse part de leur budget, souvent plus que les recettes des ventes de billets et de maillots, des sponsors et des transferts réunis. Et cela est observable partout en Europe, l’explosion des droits TV en Angleterre a ainsi donné une très grande manne financière à ses clubs.
Quid des chaînes de télé ?
Canal Plus apparaît comme le grand perdant de l’appel d’offre de diffusion de la Ligue 1 pour la période 2020-2024. En effet le diffuseur historique n’a obtenu aucun lot, la faute à Mediapro, le nouvel arrivant ne possédant pas encore de chaîne en France. C’est un véritable coup dur pour la filiale de Vivendi qui tirait une assez grosse partie de son attractivité de sa possession des droits de la Ligue 1. Elle doit maintenant trouver des solutions pour ne pas subir une grosse perte d’abonnés en 2020 (certains estiment qu’elle pourrait perdre jusqu’à 2 millions d’abonnés). La possibilité de racheter des lots à Mediapro n’est pas exclue par la chaîne française mais au vu de la réticence du groupe espagnol cela s’annonce compliqué. Le paradoxe est que diffuser la Ligue 1, ou du football en général, n’est pas rentable pour les groupes télévisuels. BeIN Sports est en grande partie financé par l’état qatari, ce qui lui permet de réaliser des millions de pertes tous les ans (on parle d’un milliard de pertes depuis 2012). On voit mal comment il pourrait en être autrement pour Mediasport, malgré ce que ses dirigeants affirment, au vu des sommes déboursées. Il faudrait réussir à atteindre en une saison le nombre d’abonnés de beIN Sports (3,5 millions environ) avec un abonnement presque deux fois plus cher (environ 25€) et sans les autres sports diffusés par la chaîne qatarie.
Le symbole de l’intervention de François Hollande en 2014
Une affaire symbolise bien toute l’importance que revêt l’acquisition de ces droits pour tous les acteurs. En 2014, l’ancien président François Hollande décida, après la demande des patrons de Canal Plus, d’appeler l’émir du Qatar pour lui demander d’empêcher beIN Sports d’acheter tous les lots les plus importants lors de l’appel d’offre pour la période 2016-2020. Résultats, la folle montée des enchères attendue n’eut pas lieu et la chaîne qatarie laissa les meilleurs matchs à la chaîne française , à la surprise générale. Le manque à gagner pour la Ligue fut estimé entre 100 et 150 millions d’euros. La LFP envisagea donc de mener une action en justice contre le chef de l’état mais, du fait de son immunité présidentielle, les options qui s’offraient à elle étaient trop compliquées. Cette histoire est en tout cas représentative de l’importance prise par ces droits télé pour tous les acteurs, bien éloignée de la méfiance du football professionnel envers cette diffusion télévisuelle en 1956.
Crédits photo à la Une: CMDavid