Pour répondre aux nouveaux enjeux économiques, les matchs des grands championnats européens s’enchaînent à un rythme effréné. Entraîneurs et professionnels de la santé sportive tirent la sonnette d’alarme. Dossier.
La planète football ne cesse jamais de tourner. Par conséquent, pourquoi en serait-il autrement pour les footballeurs ? Pour répondre aux enjeux économiques générés par leur sport, ils doivent empiler les matchs, saison après saison, parfois au détriment de leur santé. C’est justement pour le dénoncer que, depuis quelques années déjà, les voix des sélectionneurs des clubs européens et des médecins du sport s’élèvent. Visiblement peu entendues par les instances footballistiques, la rédaction d’Au Stade s’est penchée sur ce problème. Pour cela, elle s’est intéressée à deux grandes thématiques: la succession des matchs et leurs horaires.
Le Boxing Day, symbole de l’absence d’état d’âme du foot business ?
Le 26 décembre, jour du Boxing Day, est traditionnellement férié en Angleterre depuis 1871. Pour les footballeurs de Premier League, il rime avec jour de match. Depuis la première saison du championnat anglais en 1888-1889, le 26 décembre est inscrit dans l’agenda sportif. Bien qu’historiquement le Boxing Day est un événement culturel, il s’est peu à peu transformé en événement marketing. Interrogé par Challenges en 2018, le délégué général de l’union Sport et Cycle, Virgile Caillet, déclarait que cette transformation a eu lieu à partir des années 1990 quand « la Premier League a assumé de devenir une ligue de spectacle sportif » en scénarisant sa compétition et en développant les offres familiales dans les stades. « Football is a big business » (« le football est un business important », ndlr) déclarait en 1905 le fondateur de la compétition anglaise, William McGregor. Ses propos illustrent désormais la réalité sous-jacente du Boxing Day actuel: profiter d’un jour férié au lendemain des fêtes de Noël pour attirer les Anglais dans les stades. Le résultat est visiblement concluant. Chaque année, leur taux de remplissage avoisine les 100%.
Malgré cela, les entraîneurs voient les choses d’un autre œil. « Aucun des managers n’a de problèmes pour jouer le lendemain de Noël, lançait en conférence de presse, le 25 décembre dernier, le sélectionneur de Liverpool, Jürgen Klopp. Mais jouer les 26 et 28 décembre est un crime […]. Le corps a besoin d’un certain temps pour récupérer ». L’enchaînement des matchs, voilà donc l’épineux problème généré par le Boxing Day. En décembre dernier, Liverpool a ainsi par exemple enchaîné trois matchs en une semaine (les 26, 29 décembre et le 2 janvier, ndlr). Si les Reds ont été épargnés par les blessures durant ces matchs, il n’en est par exemple pas de même pour Tottenham. Le 1er janvier, face à Southampton, Harry Kane est sorti suite à une blessure aux ischio-jambiers. Le club de Manchester United déplorait quant à lui la blessure aux ligaments du genou du milieu de terrain Scott McTominay le 26 décembre face à Newcastle. Selon de nombreux médecins du sport, ces blessures sont d’autant plus importantes en cette période que le froid rend les muscles et les tendons plus fragiles.
Les horaires des matchs, une nouvelle problématique pour les joueurs
La succession des matchs n’est pas l’unique danger pour la santé des joueurs. Les horaires le sont tout autant. Pour que le public puisse assister en direct au plus grand nombre de matchs via leur téléviseur, il est donc hors de question pour les instances footballistiques de les programmer simultanément. Les enjeux économiques sont trop importants. Selon Challenges, pour la période 2016-2019, les droits de diffusion pour la seule Premier League étaient estimées à 9,3 milliards d’euros. Or, d’après une enquête réalisée par L’Équipe, les matchs joués à 21 h sont néfastes pour la santé des joueurs et notamment lorsqu’ils sont en déplacement. Les retours étant tardifs, les footballeurs s’endorment par conséquent tardivement. Cela est d’autant plus vrai que, selon le médecin du sport et du sommeil à l’Hôtel-Dieu, François Duforez, l’intensité de l’éclairage des stades, avoisinant les 10 000 lux, soit 20 fois plus que celle trouvée généralement dans les bureaux, bloque la sécrétion de mélatonine et empêche ainsi l’endormissement précoce. Ainsi, d’après une étude rapportée par le média sportif et réalisée sur les joueurs de l’AS Monaco en 2014 grâce à des montres connectées, les « joueurs s’endorment au plus tôt à 1h du matin mais aussi souvent à 5h30 ou 6h du matin ». Or, selon François Duforez, « un sportif qui dort moins de 8 heures par 24 heures en incluant les siestes augmente de 1,7% le risque d’avoir un accident musculaire ». L’horloge biologique du footballeur est, quant à elle, déréglée durant 48 heures.
En conclusion, il apparaît que le foot business passe donc avant la santé de ses principaux acteurs; les sportifs; la succession des matchs et la planification de ces derniers sont ainsi des facteurs qui contribuent à alimenter l’économie du ballon rond qui, d’après l’émission Cash Investigation, représentait en 2013 un chiffre d’affaire de 400 milliards d’euros à l’échelle mondiale.
Crédits photo à la Une: Ungry Young Man