Longtemps considéré comme un modèle européen, le foot allemand apparaît aujourd’hui endigué dans une crise chronique. En effet, nombreux sont les supporters, notamment les « ultras », à dénoncer l’avènement d’un foot business de plus en plus exacerbé au sein du championnat de Bundesliga. En l’occurrence, Dietmar Hopp, désormais actionnaire majoritaire du club d’Hoffenheim, apparaît comme le symbole de ce rejet. Dossier.
La règle du 50+1, preuve d’un attachement aux valeurs sociales
Le modèle du football allemand est unique en son genre: le foot n’est pas considéré comme un simple spectacle comme c’est le cas en France par exemple, mais comme une véritable activité sociale et culturelle. Le symbole de ce modèle est la règle du 50+1 qui interdit à une seule personne (morale ou physique) de détenir la majorité absolue des parts sociales d’un club. Avec cette règle introduite en 1998, le modèle allemand ressemble fortement à celui des socios en Espagne. Pour ses partisans, cette loi doit en principe empêcher l’émergence de « clubs en plastique », c’est à dire des clubs sans histoire qui parviennent au très haut niveau uniquement par des moyens financiers illimités et dont la viabilité disparaît aussitôt l’investisseur principal parti. On compte ainsi près de 140 000 actionnaires pour le Borussia Dortmund et près de 300 000 pour le Bayern Munich. Ces individus ont un rôle important car ils possèdent, tous réunis, plus de la moitié des parts du club, et donc le pouvoir de prendre certaines décisions qui ont une incidence directe sur la vie de ce dernier – exemple typique: la désignation du Président.
Cependant, ce modèle a dû évolué sous la pression des dirigeants de certains clubs allemands qui accusaient cette règle de limiter le développement du championnat national. Cette évolution s’est traduite avec la mise en place d’une clause dérogatoire qui permet à un investisseur de posséder la majorité des parts d’un club à condition d’avoir financer le club pendant 20 années. C’est cette règle qui a permis à Dietmar Hopp de posséder 96% du capital du club d’Hoffenheim ou à l’entreprise Volkswagen d’être actionnaire majoritaire du club de Wolfsburg. Cette évolution est considérée comme injuste par les ultras allemands (les supporters les plus impliqués et plus puristes), qui voient l’arrivée d’investisseurs omnipotents comme un élément de nature à faire naître des inégalités entre les clubs – et donc déchaîner les passions.
Dietmar Hopp, symbole du dopage financier
Dietmar Hopp pourrait être considéré comme un symbole de réussite: brillant homme d’affaires qui a fait fortune avec la création d’une société informatique au début des années 1970, il est aujourd’hui la 7e fortune d’Allemagne. Ayant évolué dans sa jeunesse au TSG 1899 Hoffenheim, il a décidé d’acheter bon nombre de parts actionnariales du club en 1995. Le club, qui évoluait alors en 8e division, a finalement rejoint la première division en 2009 et participé à la Ligue des champions en 2017. Les chiffres parlent d’eux-mêmes: 400 millions d’euros investis dans le club depuis trois décennies, dans ville comptant seulement 3 200 habitants, soit 2 fois moins que Guingamp en France. La méfiance des ultras allemands a ainsi été exacerbée au fur et à mesure des années jusqu’à atteindre son apogée en 2015 lorsque Dietmar Hopp a officiellement pu prendre possession du club après 20 ans d’investissements continus. Il possède aujourd’hui 96% des parts du club, désormais viable économiquement – même un départ du richissime propriétaire ne remettrait pas en cause la pérennité de la formation allemande.
Malgré ce statut de club en bonne santé, les ultras allemands continuent de prendre Dietmar Hopp pour cible chaque week-end, entraînant ainsi un conflit avec la Fédération mais également l’ensemble des acteurs du monde du football qui soutiennent Dietmar Hopp. Aujourd’hui, la mauvaise gestion des autorités allemandes additionnée à la détermination des ultras allemands semblent avoir conduit la situation à un point de non-retour avec une absence totale de dialogue; les supporters allemands ont ainsi répété à plusieurs reprises leur volonté de faire perdurer ce mouvement de protestation, alors même que la Fédération a menacé leurs clubs d’importantes sanctions.
Les acteurs du football soutiennent Dietmar Hopp
Joueurs, entraîneurs, dirigeants et membres de la Fédération ont tous soutenu publiquement le président d’Hoffenheim. Symboles de ce soutien, le 29 février dernier, les joueurs du Bayern et d’Hoffeneim ont décidé d’arrêter de jouer et de se faire des passes lors des 15 dernières minutes d’un match déjà dominé 6-0 par le Bayern. Cette décision de s’arrêter de jouer a fait suite à plusieurs interruptions du match en raison d’une banderole extrêmement insultante à l’égard de Dietmar Hopp, déployée par les supporters présents en tribunes ce jour-là, accompagnée de chants hostiles et insultants. Cette contestation est également alimentée par la décision de la Fédération allemande d’interdire les déplacements pour plusieurs matchs des supporters de Dortmund, après que ceux-ci aient insulté le président d’Hoffenheim. Plus que de simples revendications, cette attitude souligne les véritables convictions et le réel attachement des supporters (et des ultras) allemands à leurs clubs respectifs.
Quant au soutien des acteurs nationaux et institutionnels; celui-ci peut s’expliquer par la volonté de certains d’entre eux d’en finir avec la règle du 50+1. Si des exceptions à cette règle ont été tolérées dès 1999 pour de grands groupes industriels (Bayer pour le Bayer Leverkusen; Volkswagen pour Wolfsburg), certains dirigeants allemands ont voulu définitivement abandonner ce principe à l’occasion d’un vote en 2015, mais ces derniers se sont heurés au refus en bloc de certains de leurs compères davantage conservateurs. D’ailleurs, un second vote devait se tenir en 2018, mais il a été annulé en raison de la forte mobilisation de ces présidents réfractaires (l’issue du scrutin ne faisait aucun doute). Cependant, il convient de noter que cette règle a des limites: la multinationale Redbull a pu prendre le contrôle du club de Leipzig (49% des parts) en s’assurant le soutient des actionnaires possédant les 51% restants.
Crédits photo à la Une: Sven Mandel