L’appel d’offres des droits TV, remporté par Mediapro, aurait dû conduire le football français au sommet. Mais après seulement quelques mois, l’échec est retentissant. S’il n’est pas possible de revenir dans le passé, il est néanmoins possible d’identifier les raisons de ce naufrage afin d’éviter de le réitérer. Dossier.
La LFP, un système opaque d’attribution des droits TV
Pierre Ferracci a été l’un des premiers à mettre les pieds dans le plat en demandant une enquête sur l’attribution des droits TV afin d’établir les responsabilités de chacun. En effet, malgré le fiasco des droits TV, aucun haut-dirigeant du foot français n’a eu à se justifier jusqu’à aujourd’hui. Cela semble étonnant, tant une forme d’omerta semble régner au sein de la Ligue de football professionnel (LFP) afin d’épargner certains responsables.
En première ligne, on retrouve l’ancien directeur général de la Ligue Didier Quillot, la présidente Nathalie Boy de la Tour et l’actuel directeur général adjoint et ancien directeur des droits média Mathieu Ficot. Tous les trois ont perçu d’importantes commissions relatives à l’attribution des droits TV. 500 000 euros pour Didier Quillot, au moins 130 000 pour Nathalie Boy de la Tour alors que cela n’était pas initialement prévu dans son contrat et l’équivalent d’un an de salaire pour Mathieu Ficot.
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Si Didier Quillot a annoncé vouloir renoncer à son bonus, cette situation interroge car si de telles primes sont attribuées, cela signifie inévitablement que ces personnes avaient une importante responsabilité dans l’attribution des droits TV. Or aucun d’entre eux n’a pour le moment était inquiété et Mathieu Ficot a lui bénéficié d’une promotion. On peut également ajouter que ce système de rémunération pose problème car celui-ci a probablement influencé certains décideurs à se positionner pour Mediapro en dépit des difficultés financières connues du groupe.
Canal+, le pompier pyromane des droits TV du foot français
Aujourd’hui, Canal+ apparaît comme le sauveur du football français pour de nombreuses personnes mais la réalité est beaucoup plus complexe. Si personne ne s’offusquera de la possibilité pour les fans de voir la Ligue 1 avec un seul abonnement, il serait une erreur de dédouaner Canal+ pour la situation actuelle du football français. Si les raisons de l’échec de Mediapro sont multiples, avec notamment la surévaluation de la valeur de la Ligue 1, la stratégie de Canal+ concernant les droits TV a probablement accéléré cet échec, dévalorisant de facto la Ligue 1. En effet, selon un ancien directeur éditorial de Téléfoot, Canal+ a tout fait pour savonner la planche de Mediapro en refusant de distribuer la chaîne et en assignant celle-ci en justice.
« Si, et j’insiste sur le si, quand Mediapro rafle les droits de la L1, Vincent Bolloré et Maxime Saada, qui n’étaient pas vraiment ravis de la tournure des évènements, se sont promis que quoi qu’il arrive, ils ne distribueraient jamais Mediapro, c’était plié d’avance. »
Jean-Michel Roussier, ancien président de l’AS Nancy-Lorraine, au sujet du drame des droits TV
Par la suite, cette stratégie de dévaluation du produit s’est traduite par l’assignation en justice de la LFP et le refus de participer au dernier appel d’offres en plus de l’affirmation de la volonté de la chaîne d’un appel d’offres qui comprendrait tous les lots y compris celui actuellement sous-traiter par BeIN SPORT. Cette stratégie s’est avérée payante car Canal+ a aujourd’hui récupéré les droits TV pour un prix dérisoire.
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D’un autre côté, la chaîne qatarie BeIN SPORT n’est pas non plus exempte de tout reproche. En effet, en refusant de participer à l’appel d’offres et en semblant s’entendre avec Canal+, la chaîne présidée par le Président du PSG Nasser Al-Khelaifi a également tiré le football français vers le bas. Celle-ci s’est également abstenue de toutes déclarations, même si elle n’a pas remis ces droits en vente, laissant ainsi planer l’incertitude. Si Nasser Al-Khelaifi ne siège pas au sein du comité décideur des droits TV pour éviter les accusations de conflit d’intérêts, il est difficilement imaginable que celui-ci ne soit pas informé des tractations en cours pour l’attribution des droits TV. Ainsi, la stratégie de la chaîne qatarie interroge à trois ans de la Coupe du monde au Qatar car en dévaluant le championnat de France, la chaîne dévalue également l’image du PSG en diminuant la valeur du championnat et son niveau de compétitivité.
Quelles solutions face à cet avenir incertain pour les droits TV ?
Si la survie des clubs français est assurée jusqu’à la fin de la saison, le flou demeure pour l’avenir du football hexagonal. En effet, l’accord conclu entre Canal+ et la LFP s’achèvera à la fin de la saison et rien n’est encore décidé pour l’attribution des droits TV pour les prochaines saisons. Canal+ semble en position de force une nouvelle fois et il est fort à parier que l’ensemble des droits sera remis en vente. Cette stratégie devrait permettre à Canal et BeIN SPORT de pouvoir récupérer la majorité des droits pour un prix dérisoire.
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L’un des espoirs de Vincent Labrune, nouveau président de la LFP, se trouve dans l’arrivée des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) dans le monde du football. Ces géants ont commencé à investir timidement dans le sport avec quelques matchs de Premier League mais également Roland-Garos. Cependant, l’entrée des GAFA supposerait une restructuration des lots lors des appels d’offres comme l’a fait la Premier League en offrant deux lots de 20 matchs. Si cette stratégie pourrait mettre en péril la position de quasi-monopole dont bénéficie Canal+, celle-ci pourrait cependant permettre d’augmenter le montant des droits TV. La conséquence négative serait néanmoins une nouvelle fragmentation du football français à la télévision.
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Enfin, l’échec des droits TV devrait pousser la LFP à se restructurer. Le système de décision au sein de la Ligue devrait être plus transparent et les commissions versées devraient l’être après la réalisation du contrat et non pas avant. Les responsabilités de chacun devraient établies par une enquête indépendante afin d’éviter qu’un sentiment d’impunité règne parmi les décideurs du football français. De solides garanties financières devront également être demandées aux futurs candidats. En attendant, c’est vers l’État que se tourne la LFP afin de demander une aide qui selon elle ne vise pas à compenser la baisse des droits TV mais uniquement les pertes causées par la crise sanitaire. Qui ne tente rien n’a rien.