En mars, les présidents des clubs de National 1 se réunissaient à Paris afin de statuer sur la potentielle création d’une Ligue 3 professionnelle. A l’heure où les plus grandes nations du foot européen en possèdent une, la France doit-elle changer son fusil d’épaule ? Éléments de réponse avec Maxence Franceschi, économiste du sport et doctorant au CDES de Limoges.
Il y a trois ans vous avez mené une étude pour la FFF afin de dégager un diagnostic sur le championnat de National et son devenir. Quels avaient été les résultats de cette étude ?
Ce diagnostic a donné une typologie des différents clubs de National 1 où on distinguait des clubs assez hétérogènes les uns des autres: certains sont professionnels, d’autres pas, certains ont des moyens, d’autres assez peu, certains jouent le maintien depuis vingt ans tandis que d’autres se projettent sur la Ligue 2. Pour réaliser cette étude, il y a eu un benchmark avec les autres ligues étrangères de même niveau afin de mettre en relief le fonctionnement des formats de compétition et les potentielles difficultés économiques.
Par la suite, on a envisagé différents scénarios et différentes propositions. L’étude n’étant pas publique, je ne pense pas pouvoir en trop en dire, mais nous avons dégagés trois scénarios: le premier étant de créer une Ligue 3 professionnelle; le deuxième de faire du N1 un championnat »modèle » en terme de régulation du football (sur les formats de compétition, sur les outils de régulation, sur la régulation de la masse salariale); le troisième de refaire du National le fleuron du foot amateur. Car ce qui est certain, c’est qu’aujourd’hui, on voit cette division comme un genre de mouroir ou d’antichambre, ce qui est dommage. La FFF a cette étude dans ses cartons, mais je ne sais pas ce qu’elle en fera.
Le 10 mars dernier, l’ensemble des présidents de National 1 se sont réunis à Paris afin de défendre la création d’une Ligue 3 professionnelle. Comment expliquer cette unanimité des présidents de N1 et quelles sont leurs motivations ?
Ils voient dans la création d’une Ligue 3 l’acquisition d’un statut professionnel, ce qui leur donne l’espoir de voir leurs revenus augmenter par une répartition des droits TV des divisions supérieures. Le motif principal est donc surtout financier. Mais je pense que ce qui les motive aussi c’est peut-être de trouver un meilleur équilibre, une meilleure stabilité, notamment dans les contrats des joueurs. Car aujourd’hui il y a des joueurs sous contrat fédéral, mais aussi des joueurs sous CDD spécifique: or, les obligations qui en découlent ne sont pas les mêmes d’un club à l’autre ou d’un joueur à l’autre (minimums salariaux, nombre de congés etc.).
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Enfin, les clubs de N1 ont globalement des exigences de clubs professionnels: entraînement lourd, déplacements dans toute la France, exigences de la FFF en termes de diplôme d’entraîneur, de statut des joueurs, des critères de qualité de diffusion des matchs etc. Mais en face, les moyens ne sont pas ceux des clubs professionnels. Leur espoir c’est que leurs moyens financiers, grâce à la création d’un Ligue 3 professionnelle, soient plus à la hauteur de ce que sont les exigences réelles de leur niveau sportif.
Quelles sont les difficultés qu’impliqueraient une transformation du National 1 en une L3 professionnelle ?
L’une des premières difficultés, c’est que la transformation du N1 en L3 impliquerait un basculement dans la compétence de la gestion du championnat de la FFF (qui gère le niveau amateur) à la LFP (qui gère le niveau professionnel). C’est donc une question politique. Est-ce que la LFP a l’envie et les moyens d’accueillir 18 nouveaux clubs dans son giron ? Je ne sais pas. Une autre difficulté politique, c’est qu’il y a déjà beaucoup d’offres footballistiques en France. Il y a d’abord deux championnats professionnels. Mais en parallèle, on sait que la FFF pousse beaucoup la D1 féminine, ce qui à mon sens est une bonne chose, au même titre que le développement du futsal. Le National aurait plus vocation à entrer en concurrence avec ces produits là qu’avec la Ligue 1.
Autre problème majeur: lorsque l’on crée une L3 professionnelle, on décale seulement le problème un niveau plus bas. Le décalage entre professionnels et amateurs se fera donc un échelon plus bas, car finalement, le problème reste le même. Devenir un championnat professionnel n’est donc pas l’unique solution.
Maxence Franceschi
Enfin, la redistribution des droits TV fait demeure également problématique. Car forcément, les clubs de Ligue 1, notamment les plus gros, sont bien conscients que s’ils partagent des recettes avec plus de monde, ils en auront moins pour eux. Ce qu’il faut réussir à faire dans ce genre de situation, c’est montrer que tout le monde y gagne. Par exemple, grâce à la formation, qui permettrait aux jeunes joueurs de se développer en N1. Si certains clubs de N1 ont de meilleurs centres de formation, cela servira les clubs de L1 et de L2. Si les dirigeants de N1 sont capables de montrer la plus value qu’une L3 pourrait apporter à l’écosystème professionnel du football français, les clubs de L1 et L2 ne verront pas cela d’un mauvais œil. Au contraire. Et en particulier les clubs de L2, dont certains sont régulièrement menacés de descente.
L’un des principaux arguments avancés par les défenseurs d’une Ligue 3 professionnelle est le développement de la formation. Concrètement, est-ce qu’un changement de statut du championnat de National conduirait à un meilleur développement de la jeunesse ?
Aujourd’hui, les clubs de N1 n’ont pas d’obligation d’avoir un centre de formation, à l’inverse des clubs de L2. Ainsi, un club de N1 qui monte en L2 doit investir dans son centre de formation, mais s’il redescend l’année suivante, ce n’est plus une obligation d’en avoir un. Je pense qu’il faudrait inciter les clubs à travailler sur leur formation, ce qui serait bien plus simple avec des moyens (ou des « carottes ») qui pourraient les pousser à s’y tenir. De plus, la formation a une importance au niveau de la visibilité, pas forcément grand public, mais auprès des autres championnats, notamment en termes de statistiques.
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On peut en effet imaginer qu’un championnat au statut professionnel aurait potentiellement des statistiques plus denses et plus importantes, permettant ainsi une meilleure détection. Je pense que le National à ce rôle formateur depuis toujours et qu’il doit continuer à travailler là dessus. Enfin, peut-être qu’un statut professionnel favoriserait la formation, notamment en permettant à des jeunes talents de signer professionnels de manière à les conserver. Car en l’état, les clubs de N1 ne sont peut-être pas à même de satisfaire certaines exigences de leurs éléments les plus prometteurs, notamment d’un point de vue salarial.
La France est le seul pays parmi les cinq grands championnats européens à ne pas disposer de troisième échelon professionnel. Pourquoi ?
La Ligue 1 est en retard par rapport aux quatre premiers championnats, ce qui ne permet tout simplement pas d’avoir un troisième niveau professionnel. Nous n’avons peut-être pas assez de ressources pour pouvoir les partager efficacement sur trois championnats sans faire de saupoudrage. C’est clair que gérer quatre championnats professionnels est plus facile avec une tête de proue comme la Premier League. La Ligue 1, aussi convenable soit-elle, ne peut peut-être pas faire vivre soixante clubs. De plus, plus les budgets augmentent dans les niveaux professionnels (en Ligue 1 et en Ligue 2, bien qu’une tendance à la stagnation soit probable) plus le fossé entre professionnels et amateurs augmente.
En l’occurrence, es budgets des clubs amateurs augmentent moins vite que les budgets des clubs professionnels. Et même si les budgets amateurs augmentaient aussi vite que ceux des professionnels, les différences en termes de valeur restent énormes.Il va donc falloir combler ce fossé, ce qui pourrait passer par la création d’une Ligue 3 professionnelle. Cependant, cela doit s’inscrire dans un projet plus large et pas uniquement pour engranger davantage de revenus. Gagner un statut professionnel permettrait de recruter plus facilement des joueurs à l’étranger ou des jeunes joueurs. Mais cela ne doit pas être la seule motivation: il faut que cela s’accompagne de mesures de régulation et d’innovation.
D’un point de vue purement personnel, que pensez-vous de ce projet de troisième division professionnelle ?
Dans l’absolu, la création d’une Ligue 3 professionnelle peut être une bonne idée, mais ce n’est pas une solution en soi. Car créer une Ligue 3 professionnelle ne veut rien dire dans l’absolu. Cela signifie passer du giron de la FFF à celui la LFP, et donc, passer du statut d’amateur à celui de professionnel, ce qui est déjà un début. Néanmoins, cela ne fera pas tout. Cela doit s’accompagner d’une structuration, d’une réflexion à plus long terme – notamment dans l’organisation des montées et des descentes – et se demander sérieusement ce que cela impliquerait pour les clubs.
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Il faut penser cela comme un vrai projet, et puis il faut surtout que cela soit validé politiquement entre la LFP et la FFF, ce qui est une autre histoire. Mais finalement, je pense que s’il y a des troisièmes divisions professionnelles dans d’autres pays, il faut essayer de s’en inspirer. Voir ce qui a fonctionné et ce qui n’a pas fonctionné chez eux. Si d’autres l’ont fait avant nous, il faut se nourrir de ce qui a fonctionné. On peut aussi imaginer des dispositifs transitoires, avec par exemple, un cap de dix-quinze ans, avec l’objectif d’aboutir à terme à une Ligue 3 professionnelle. Ce qu’il faut, c’est un projet cohérent et réfléchi.