Stéphane Paille s’en est allé le jour de son 52e anniversaire et le monde du football en a été abasourdi, sonné, tant la surprise a été grande et le personnage quasiment oublié. Édito.
Avec une sorte de gêne mâtinée d’un sentiment de culpabilité, tous les acteurs du ballon rond lui ont rendu un hommage unanime, se demandant presque, mais déjà trop tard, comment on avait pu laisser un personnage aussi emblématique glisser tout doucement vers les enfers, inéluctablement. Le choc causé par cette disparition est symbolique car il touche le cœur même de notre passion, il parle à notre imaginaire, à la petite trace blanche laissée par le ballon de notre enfance. Comme le disait si magnifiquement Antoine Blondin, « le sportif est un homme dont le destin est de mourir deux fois, il assiste à cette agonie en lui de l’athlète qu’il a été ». Pour les supporters que nous sommes on serait tenté de rajouter que, quelque part, la dernière envolée d’un champion nous fait prendre conscience du caractère éphémère de la vie, de la nôtre…
Parce qu’il a été un personnage emblématique du football français des années 80 et 90, Stéphane Paille est peut-être le chaînon manquant (ou manqué) de son histoire. Il faut se souvenir que son éclosion coïncide avec la pire traversée du désert des Bleus, entre les demi-finales du Mondial 86 si éblouissant, et de l’Euro 96 si réjouissant. Ces 10 années de disette ont laissé entrevoir un petit rayon de soleil: le titre de champion d’Europe Espoirs remporté par l’équipe de France en 1988. Les plus anciens se souviendront de cette équipe de l’héraultais Marc Bourrier, du stade porte bonheur de Besançon, des frappes lointaines de Pascal Despeyroux, des arrêts irréels de Claude Barrabé et de la magie prometteuse du duo d’attaque Stéphane Paille/Eric Cantona. La France qui n’avait jamais eu de grands espoirs au poste d’attaquant depuis des lustres, se trouvait soudainement dotée d’une paire de buteurs complémentaires, efficaces, brillants.
L’avenir semblait radieux mais nous déchanterons très vite, comme si les espoirs étaient synonymes de désespoir pour le football français, une constante qui se poursuivra avec la génération 87 car étonnamment, jamais une équipe « complète » ne montera en A, seuls réussiront certaines individualités brillantes à l’image de Laurent Blanc qui sera l’unique champion de 1988 à connaître le Graal en 1998. Nous trouvons d’ailleurs-là les 3 personnages principaux d’une petite histoire qui déclenchera plus tard une très grande histoire : Stéphane Paille, Eric Cantona, Laurent Blanc.
Après une éclosion sochalienne suivie d’un épanouissement remarquable, l’avant-centre si courtisé de notre championnat, ayant fait le tour des lionceaux, va réaliser un improbable transfert vers le club de Montpellier – pas encore Hérault mais plus que jamais pailladin. Loulou Nicollin subitement frappé par la folie des grandeurs se prend en effet à rêver XXL et monte une équipe incroyable, certainement la plus brillante de l’histoire du club: Blanc, Paille, Cantona, Valderrama, Guérin, Xuereb, Julio Cesar avec aux manettes celui qui deviendra l’oracle de Sail-sous-Couzan, Aimé Jacquet. Comment le sochalien a-t-il pu atterrir dans le sud ? Ecoutons plutôt Jean-Bernard Sterne, joint pas nos soins, ancienne grande plume du football pour le quotidien Midi Libre, qui était attaché à suivre le club ainsi que l’équipe de France: . « Stéphane est arrivé à La Paillade dans les valises de Canto si l’on peut dire, Eric avait posé sa venue comme une condition à sa signature dans le club ! ».
Désireux de continuer leur belle complicité technique doublée d’une amitié indéfectible, les deux compères décident donc de lier leurs destins pour le plus grand bonheur des amateurs de beau jeu. Mais dans ce duo mystique lequel avait l’ascendant ? « Je crois qu’il y avait une sorte d’emprise de Canto sur lui de par son côté extraverti, sa stature, car il en imposait par son personnage, mais pour moi Paille était certainement le vrai leader par l’exemple », témoigne Jean-Bernard Sterne, qui poursuit: « c’est un leader qui a rencontré un autre leader… Il y avait une admiration réciproque entre Cantona et Paille, une sorte de fascination mutuelle. Je dirai que l’un voulait être l’autre et l’autre voulait être l’un ! »
Se dessine alors le portrait d’un Stéphane Paille bien plus imposant et leader-né que son tragique destin ne pourrait le faire croire. Mesa Baždarević a très bien raconté son arrivée à Sochaux avec Faruk Hadzibegic et cet incroyable gamin de 22 ans qui les prend sous son aile en leur disant que puisque leur famille était loin en Yougoslavie leur nouvelle famille désormais serait celle du club. Etonnante maturité d’un joueur que Baždarević tenait pour le top du top des footballeurs. Un joueur qui montrait l’exemple tous les jours sur le terrain et dans le vestiaire.
« Il avait un grand esprit de camaraderie, certes il aimait la fête mais c’était un vrai pro pas un déconneur écervelé, un gars exemplaire, consciencieux. Il me faisait penser un peu à Julio Cesar, que l’on disait dilettante en dehors mais toujours irréprochable sur le terrain, un meneur de vestiaire ! », souligne Jean-Bernard Sterne. Stéphane Paille partageait avec le brésilien cette aura qui le rendait irrésistible partout où il passait. Ce que confirme l’ancien journaliste: «Avec Julio Cesar, dès que l’équipe rentrait dans une boîte après un match, toutes les filles n’avaient d’yeux que pour eux deux ! » Mais jamais il n’en a jamais abusé alors qu’il était véritablement béni des dieux. Jean-Bernard Sterne nous en dresse un portrait touchant, brillant: « C’était un gars exceptionnel apprécié de tous, je ne connais pas une personne qui dise du mal de lui, aucun détracteur ! Il faisait l’unanimité chez les joueurs et les journalistes, il avait tout pour lui, tout pour plaire: doué, beau, riche, célèbre ! C’était étonnant mais à son arrivée à Montpellier Stéphane s’excusait presque d’être médiatisé, il ne voulait surtout pas faire de l’ombre à ses coéquipiers, ne se mettait jamais en avant… »
Autres temps, autres mœurs pourrions-nous dire à l’heure où la médiatisation à outrance est devenue la règle d’or des footballeurs professionnels. Un joueur qui « choisissait ses clubs en fonction des objectifs et des ambitions, pas de l’argent… », rajoute notre grand témoin. Malheureusement l’aventure montpelliéraine tournera court pour celui qui quittera le club dès l’hiver en direction de Bordeaux, ne précédant le départ d’Aimé Jacquet que de quelques semaines. Pourquoi un tel échec ? « Je suis certain que Stéphane Paille est arrivé au club blessé, il n’a jamais pu retrouver son vrai niveau par la suite…», nous livre Jean-Bernard Sterne. Une analyse peu répandue dans les médias. Mais ce passage éclair au MHSC, aussi fugace que celui de l’entraîneur qui nous donnera l’étoile de champions du Monde, a constitué une sorte de passage de témoins entre deux mondes. Le maudit, celui des Paille/Cantona, et le béni, celui des Jacquet/Blanc. En effet, c’est au cours de ce semestre que le coach va transformer le meneur de jeu et capitaine montpelliérain en un libéro exceptionnel.
Cette décision fondatrice constitue le socle sur lequel va se construire progressivement le titre de champion du Monde du 12 juillet 1998. Comme si le destin de Stéphane Paille était traversé par toutes ces symboliques du football français, il en a épousé les attraits et les défauts, les joies et les peines. Peu importe ensuite ce qu’il est advenu de sa carrière et de ses choix personnels, la vie ne donne pas toujours aux hommes la possibilité d’accomplir leur destin. Il faut se souvenir simplement des qualités remarquables du joueur et ne pas juger sans connaître l’intimité des êtres. Comme l’avait dit le Président Jacques Chirac lors du décès de François Mitterrand: « seul compte, finalement, ce que l’on est dans sa vérité.» Les hommages unanimes recueillis depuis la disparition de Stéphane Paille nous démontre que c’était juste quelqu’un de bien. « Stéphane Paille avait le visage de « Plein soleil ». Une classe phénoménale sur le terrain. Quelle tristesse. », nous confiera plus tard Pierre-Louis Basse, journaliste et écrivain, en apprenant la terrible nouvelle.
Crédits photo à la une: MHSCFOOT.com