222 millions d’euros. Telle est la somme colossale que le Paris Saint-Germain est prêt à débourser pour acquitter la clause libératoire de Neymar auprès du FC Barcelone. A l’heure de la démesure dans le football où plus rien ne nous étonnerait, arrêtons-nous un instant sur ce nombre 222. Édito.
Un seul et unique joueur qui serait donc acquis pour 222 millions d’euros, cela représente le budget agrégé des 7 clubs de Ligue 1 suivants: Amiens + Caen + Guingamp + Strasbourg + Toulouse + Rennes + Troyes. Vous commencez à réaliser ? 1 seul joueur pour 7 équipes donc à raison de 25 joueurs par club; Neymar = 175 joueurs ! Est-ce bien raisonnable, bien moral, bien éthique pour du sport dont l’essence même est la confrontation loyale à armes égales ?
L’on dit que ce combat est d’arrière-garde et que rien ni personne ne pourra arrêter cette fuite infernale en avant, vers plus d’indécence, de surenchères. Je dénonce depuis très longtemps « le football OGM » c’est-à-dire le football ultralibéral et totalement dérégulé qui a découlé de la désastreuse jurisprudence « Bosman » en 1995 qui, en faisant sauter le verrou de la nationalité, s’est appliquée à introduire une partie du droit européen dans le football tout en en occultant les autres aspects (respect de la concurrence, équité des compétitions, contrôle de l’origine des capitaux…).
Le football est désormais, pour la très haute compétition, entre les mains d’une oligarchie qui croisent des intérêts économiques, médiatiques ou politiques dont il convient à tout prix de conserver les privilèges. Même l’instauration du fair-play financier n’a qu’en faible partie régulé les compétitions de l’UEFA. La compilation de transferts, dont parfois les montants sont sans rapports avec la valeur réelle des joueurs, laisse un goût un peu amer dans la bouche, comme un écrasement de la concurrence par l’argent et où, dans l’imaginaire des dirigeants et d’un grand nombre de footix béats de la scène médiatique, « le combat devrait cesser faute de combattants »…
Cette conception du football n’est ni « vraie » ni « juste » et il existe encore, Dieu merci, des clubs qui viennent troubler cette « peu glorieuse certitude de l’argent » par une « glorieuse incertitude du sport ». Le LOSC et le MHSC il y a quelques années, l’OGC Nice récemment, ont encore apporté un peu de suspense dans notre championnat mais l’on sent bien que bientôt, déjà, la compétition est privatisée par deux mastodontes financiers; le PSG et l’AS Monaco qui trustent les 2 premières places de la Ligue 1 en les privatisant en quelque sorte comme l’a fort malignement souligné Jean-Michel Aulas.
Et encore pourrions-nous indiquer que ces deux clubs là bénéficient d’avantages totalement exorbitants, à savoir des fonds illimités d’un état souverain pour l’un, et d’une fiscalité fortement avantageuse pour l’autre. Même topo en Europe où l’oligarchie des puissants bloque tout accès aux plus hautes récompenses comme en Espagne avec le duo Barça/Real, en Premier League avec le Big Four ou en Bundesliga avec la lutte Bayern/Dortmund. Et surtout comme en Ligue des champions où ces mêmes clubs se retrouvent systématiquement en phases finales.
Prémices d’une Ligue fermée sur invitation moyennant un ticket d’entrée qui se chiffrera en centaines de millions d’euros avec une sécurisation de l’investissement donc sans relégations. Sauf que les ligues à l’américaine prévoient un salary cap et un système de draft qui permet un égal accès aux meilleurs joueurs pour tous les clubs sans exception. Alors même si vous rétorquerez que la Ligue 1 va y gagner, les sponsors affluer, les audiences à l’international donc les produits dérivés exploser, rien n’enlève cet arrière-goût amer dans la bouche, comme si le football était en train de nous échapper. A nous supporters, observateurs, joueurs et même dirigeants…
Peut-être est-il temps, au niveau de l’UEFA mais plus surement de l’Union Européenne, donc de nos gouvernements, de se poser la question d’une régulation sérieuse et enfin efficace de la bulle footballistique, de promouvoir désormais le concept de « football juste ». Le « football juste » est un football moderne tourné vers le respect de l’autre et de l’équilibre des compétitions, ni passéiste rétrograde, ni laudateur aveugle de la puissance de l’argent, il souhaite simplement assister à un sport propre et équitable. Le « football juste » c’est considérer que l’évolution exponentielle de ce sport en termes de masses financières en circulation, d’intérêt médiatique et de peopolisation de ses acteurs est irrémédiable, mais qu’il convient de l’accompagner et de l’encadrer par des règles claires, précises et équitables pour tous. Et le seul moyen d’y parvenir sera, comme on essaye modestement de le suggérer depuis 20 ans, de mettre en place une « exception sportive » européenne comme a été mise en place une « exception culturelle ». Et donc une application « aménagée » du droit européen, avec comme principal et seul levier véritablement efficace: le critère de la nationalité.
Par exemple en limitant le nombre de non-nationaux dans un effectif à 7, les 70 meilleurs joueurs du monde se répartiraient en 10 clubs au minimum, soit 10 véritables prétendants à la victoire finale en Ligue des Champions et non en 4 ou 5 clubs à l’heure actuelle. Il suffit de peu de chose en vérité, juste d’une volonté politique inflexible et d’avoir le courage de s’opposer aux lobbies financiers mondiaux. La France avait modestement commencé à aborder le sujet auprès de ses partenaires européens sous l’impulsion de Thierry Braillard.
Charge au nouvel exécutif élu de reprendre le flambeau afin d’allumer à nouveau la vasque d’un football juste et humain sous peine de la voir s’éteindre à tout jamais…
Crédits photo à la une: Alex Fau