Ce mardi, le destin de Karim Benzema a peut-être basculé, et avec lui, celui de l’équipe de France. Sa présence dans la liste des 26 appelés pour participer à l’Euro est un cataclysme. Si le talent du joueur est incontestable, son intégration dans l’équipe s’avère risquée. Édito.
Tout d’abord, nous devons statuer une bonne fois pour toute. Si certains ont pensé que Didier Deschamps « a cédé à une partie raciste de la France » il y a cinq ans et durant les années qui ont suivi, nous ne pouvons pas lui reprocher de s’être passé des services de Karim Benzema. Depuis nous avons atteint la finale de l’Euro et ramené la Coupe à la maison, un bilan conjugué au quasi-parfait. Alors, est-il aujourd’hui pertinent de nous demander si le sélectionneur a cédé à une partie de la France qui réclamait haut et fort le retour de Benzema ?
Le moment était venu pour Deschamps
Depuis le début de son mandat, DD a toujours été un homme de choix. L’éviction de Benzema en était un. Le rappel de Rabiot aussi. Et on souhaite que le rappel du Madrilène s’avère aussi payant tant Rabiot a prouvé qu’il était l’alternative crédible de l’après-Matuidi. Deschamps a souvent placé un crédo au dessus de tout: la cohésion du groupe. Dans cette liste on retrouve par exemple Olivier Giroud, très peu utilisé par Tuchel à Chelsea, ou encore Moussa Sissoko qui sort d’une saison terne (0 but et 0 passe décisive cette année en 25 matches de PL) au détriment de Camavinga ou Ndombélé.
Le sélectionneur a également souvent rappelé qu’il y avait des wagons à attraper en vue des grandes compétitions internationales. On peut penser par exemple à Aouar qui n’a pas su saisir sa chance en octobre 2020 et qui n’a pas été rappelé ensuite. Alors, pour être honnête, voir Benzema et Koundé débarquer dans la liste finale pour l’Euro sans avoir participé aux phases de qualification était une hypothèse qui tenait de l’absurde jusqu’à hier soir. Et pourtant.
A nous de lui faire confiance
Au vu de cette liste, la question suivante semble pertinente: Didier Deschamps s’est-il renié ? Après réflexion on peut penser que cette question n’a pas de sens. L’objectif premier de Deschamps est de gagner, et ainsi en découlent ses choix. En ce mois de mai 2021 il a jugé que la cohésion du groupe en place n’était plus suffisante pour mettre toutes les chances de notre côté. Alors, il n’a pas hésité à sacrifier des habitués de la maison (Fekir, Nzonzi, Thauvin).
De plus, lors des dernières sorties du mois de mars, comptant pour les éliminatoires de la Coupe du monde, l’équipe de France a proposé trop peu au niveau du jeu, et en particulier de l’animation offensive. Deschamps avait expérimenté au poste de numéro 9: Giroud face à l’Ukraine, Martial face au Kazakhstan et Mbappé contre la Bosnie. Résultat: 4 petits buts marqués en 3 matchs et aucun inscrit par les 3 joueurs cités précédemment. C’est pourquoi la réponse est simple: Didier Deschamps a rappelé Benzema car le moment était venu, et il voit en lui la clé pour redynamiser le jeu offensif des Bleus.
L’intégration tactique de Benzema
Benzema a été récemment élu meilleur joueur français évoluant à l’étranger par l’UNFP. Sachant que, hormis Mbappé, tous les autres titulaires en puissance de l’EDF jouent dans un championnat étranger, cela vous place le niveau du joueur. Karim Benzema cette saison c’est 22 buts et 8 passes décisives en Liga et 6 buts en C1, impliqué sur 43% des buts du Real Madrid sur l’ensemble de cette saison. Un joueur d’une qualité pareille on ne le laisse pas sur le banc.
Mais attention aux maux de têtes ! Car si aligner un trio Mbappé-Benzema-Griezmann fait déjà saliver la grande majorité des Français, les faire cohabiter efficacement sur le terrain représente un vrai challenge. Au Real Madrid, Benzema décroche beaucoup pour aider son équipe à construire les offensives, et c’est le rôle qu’occupe déjà Griezmann chez les Bleus. Cependant, le Barcelonais a du apprendre depuis 2 saisons à partager ce rôle avec Lionel Messi en club. On peut donc imaginer une animation libre avec beaucoup de mouvement où les deux joueurs, tout deux « faux numéro 9 » pourront pivoter. Quant à Mbappé, cela lui convient il est habitué à laisser l’animation à Neymar au PSG. Il n’est en que plus redoutable en partant de son côté gauche. Par contre, il n’a jamais pleinement convaincu dans l’axe et il est habitué à avoir un vrai attaquant de pointe (Cavani avant, et maintenant Icardi) ce que n’est pas Griezmann et ce que n’est plus Benzema. Alors que faire ?
Le 4-4-2 en losange utilisé contre le Portugal en novembre dernier peut paraître une solution des plus intéressantes. Un match remporté 1 à 0 en terres portugaises avec beaucoup de sérieux. Un schéma tactique qui avait bien réussi aux Bleus. Avec Kanté à la récupération, Pogba et Rabiot sur les côtés, Griezmann à la pointe du losange en soutien du duo KB/KM (Karim Benzema/Kylian Mbappé). Avec des permutations Griezmann-Benzema pour se relayer l’animation offensive, ainsi que le rôle de faux 9. Et un Kylian Mbappé qui peut s’appuyer sur deux joueurs à la vista hors-pair pour être lancé dans les meilleurs conditions. Mais attention, car même prometteuse, cette organisation tactique (et toutes les autres possibles) reste très risquée et ne présage d’aucune garantie.
L’intégration humaine
Reste la question de l’intégration du joueur dans le vestiaire. Deschamps est un meneur d’hommes et il sait ce qu’il fait. Karim Benzema débarque dans un groupe dont l’opinion populaire est autrement plus positive qu’en son temps, un groupe récemment titré et qui vit bien. Certes, il y a Olivier Giroud, qui avait été inclus dans une métaphore peu flatteuse du joueur madrilène il y a quelques temps et qui y perd gros avec ce retour. Mais c’est un formidable compétiteur, qui a toujours su faire taire les critiques et que la concurrence rend meilleur. C’est un pilier de l’ère Deschamps qui ne sacrifiera pas l’harmonie du groupe. Les deux hommes ont d’ailleurs sûrement déjà échangé avant l’annonce de la liste, et mis leur égo de côté. Désormais ils font partis du même bateau.
Au vu de l’importance de l’événement et le niveau du groupe (Allemagne et Portugal) il n’y aura pas de place pour le juste milieu, ni à l’erreur. Pour l’équipe de France, mais aussi pour Deschamps qui en est à sa 9e année de mandat. Car même champion du monde en titre, il joue sa place. Surtout avec les rumeurs concernant le possible départ de Zidane du Real qui ne sont jamais bien éloignées de celles de l’équipe de France. Cet été ce sera soit la médaille, soit le revers.