Le 29 mai 1985 est une date noire dans l’histoire du football. Lors de la finale de la coupe d’Europe à Bruxelles, au stade du Heysel, des affrontements entre les supporters de Liverpool et de la Juventus Turin ont causé la mort de 39 personnes. 35 ans jour pour jour après la catastrophe, la rédaction d’Au Stade a souhaité comprendre les causes de ce drame.
« Ils avaient voulu voir un match de football. Ils sont morts étouffés, frappés, piétinés, écrasés, certains poignardés ». Les propos du journaliste Bernard Marchetti au lendemain du drame résument parfaitement l’horreur de la situation. La veille, le 29 mai 1985, les festivités prévues au stade du Heysel (désormais baptisé stade Roi Baudouin) pour la finale de la coupe d’Europe entre Liverpool et la Juventus Turin ont laissé place à un véritable bain de sang. Des heurts avant le coup d’envoi entre les supporters des deux camps sont à l’origine de ce chaos. Les images des corps étendus sur le sol ont fait le tour de la planète.
Aujourd’hui encore, elles provoquent une vague d’indignation dans le monde entier. À commencer par l’échevin des sports de Bruxelles en 2010, Bertin Mampaka, les réactions visant à dire « plus jamais » un drame similaire à celui du Heysel ont été nombreuses. Mais, pour éviter que de tels scénarios ne se reproduisent à nouveau, il est fondamental d’en comprendre les causes. C’est justement sur ce point que la rédaction d’Au Stade s’est penchée.
Drame du Heysel: un sentiment de revanche
Les adversaires ne sont pas que sur le terrain, ils sont aussi en tribune. Tel pourrait être le résumé simplifié de la pensée des supporters les plus virulents. C’est sans doute ce raisonnement qui avait conduit, en 1984, les supporters romains à s’en prendre à ceux de Liverpool. Le club anglais s’étant imposé contre l’AS Roma à Rome (1-1, 4-2 tab), ils avaient pris à partie dans la rue les supporters anglais après le match. Selon la RTBF, ces derniers avaient alors été contraints de se réfugier dans l’ambassade britannique. D’après ce même média, un an après, face à un club italien, « un sentiment de revanche » était perceptible.
Pourtant, à en croire les témoignages recueillis dans le reportage Les grands drames du sport réalisé par RMC Découverte, les tensions n’étaient initialement pas perceptibles dans les rues belges entre les supporters de Liverpool et ceux de la Juventus Turin. « On a même vu des groupes italiens et anglais boire ensemble et chanter ensemble » relate l’un des témoins avant la rencontre.
L’imprévisible catastrophe ?
Le commissaire de police Vanreusel était donc rassuré. Comme le relate Jean-Philippe Leclerc dans son livre Le Heysel: une tragédie européenne, le commissaire revenait tout juste d’un voyage à Liverpool en vue de la préparation sécuritaire du match. En Angleterre, les dirigeants du club lui avait alors affirmé que « les supporters de Liverpool sont les moins violents de Grande-Bretagne ». À son retour en Belgique, le commissaire n’était donc pas particulièrement inquiet. La bonne entente d’apparence d’avant match ne présageait pas de la catastrophe à venir.
Mais, l’alcool faisant peu à peu son effet, les premières échauffourées débutent. Une fois dans le stade, le drapeau italien brûlé par un supporter anglais fait monter la tension d’un cran. Le lancement d’une fusée provenant de la tribune anglaise vers celle des fans italiens mettra finalement le feu aux poudres. D’après certains anglais interrogés par RMC Découverte, des heurts éclatent alors entre les supporters de la Juventus Turin et quelques anglais présents dans le même bloc. Pour les défendre, les hooligans anglais lancent le premier assaut contre leurs adversaires.
Drame du Heysel: une mauvaise gestion des tribunes
Ce premier assaut a été d’autant plus facile pour les hooligans anglais que leurs rivaux se trouvaient dans le bloc voisin. Selon les schémas de préparation du match, cela n’aurait cependant jamais du se produire. Les supporters des deux camps devaient effectivement se trouver à l’opposé l’un de l’autre. Alors que les blocs X et Y sont réservés aux supporters de Liverpool, ceux de la Juventus Turin occupent ceux portant les lettres O et N. Les places, tant dans les blocs Z que M, sont donc censées accueillir un public neutre. Or, le bloc Z, situé à proximité immédiate du bloc X se remplit de supporters de la Juventus Turin. Un simple muret, renforcé par la présence d’une dizaine de gendarmes séparent les supporters des deux camps.
La gestion des blocs n’est pas l’unique faille. D’après le reportage Les grands drames du sport, « un dispositif [de sécurité] aberrant » est aussi mis en place pour surveiller le stade. « Pour la première fois dans le cadre d’une grande rencontre internationale, la sécurité sera assurée par deux services différents: la police et la gendarmerie ». Ce 29 mai 1985, la coordination ne semblait donc pas optimale. De plus, alors qu’il n’a jamais assisté à un match de football, Johan Mahieu, le capitaine de la gendarmerie en charge notamment de la gestion des blocs X et Z, n’est désigné que 48 heures avant la rencontre. Selon RMC Découverte, il s’était effectivement proposé de remplacer son collègue qui avait des tickets d’entrée pour le match. Son inexpérience de ce genre d’événements aurait donc été fatale.
Des contrôles quasiment inexistants
Les affiches de rêve attirent les foules. Il n’est donc pas surprenant que le choc entre Liverpool et la Juventus Turin pour une finale de coupe d’Europe ait suscité l’engouement des supporters. Dans son œuvre Le Heysel: une tragédie européenne, Jean-Philippe Leclaire déclare: « Alors que le stade du Heysel ne peut contenir que 50 000 spectateurs, les organisateurs ont reçu plus de 400 000 demandes ! » Selon la RTBF, certains sont prêts à tout pour rentrer dans le stade. C’est pourquoi des supporters des deux camps ont forcé les systèmes de contrôle. Certains de Liverpool ont même descellé une dalle pour pénétrer à l’intérieur du Heysel. Débordés, la gendarmerie ne parvient plus à contrôler les supporters. C’est ainsi que les anglais entrent avec des couteaux, fusées et autres barres de fer.
Dès le premier assaut des supporters de Liverpool dans le bloc Z, les admirateurs de la Juventus Turin qui tentent d’échapper à leurs assaillants, s’agglutinent contre le mur d’enceinte opposé. Après l’avoir escaladé, certains n’hésitent pas à sauter une hauteur d’environ trois mètres pour quitter le stade. D’autres, étouffés, tentent de rejoindre la pelouse où les gendarmes les repoussent. Sous la pression et après la deuxième charge des supporters anglais, le mur jugé « vétuste » par la RTBF s’effondre entraînant ainsi plusieurs dizaines de supporters de la Juventus Turin dans sa chute. De l’autre côté du stade, les supporters italiens officiels assistent impuissants à la scène. Certains veulent néanmoins venger les morts et blessés et tentent d’aller en découdre avec les anglais. Ils sont finalement repoussés par la police.
Drame du Heysel: les leçons d’une catastrophe
En définitive, la tragédie qui a fait 39 victimes (34 italiens, 2 belges, 2 français et 1 irlandais) et, au moins, 450 blessés était probablement loin d’être inévitable. Elle est le résultat tant d’une infrastructure vieillissante que d’une mauvaise gestion des supporters par les forces de l’ordre. La catastrophe servira néanmoins de leçon. Dans le numéro 3 du 52e volume de la revue internationale de criminologie et de police technique, il est effectivement mentionné: « Encore traumatisée par le drame du Heysel, la communauté scientifique belge a organisé à Liège, en décembre 1995, un colloque international avec l’ambition d’établir en quelque sorte le profil du supporter idéal au 21e siècle en tirant les leçons des connaissances acquises sur le phénomène du hooliganisme ». Mais le « supporter idéal » existe-t-il réellement ?
Crédits photo à la une: Capture d’écran – Archives RTS