Comme lors de toutes les crises traversées par le football français, le serpent de mer d’une Ligue 1 à 18 clubs a ressurgi ces derniers jours après certaines déclarations du président de la LFP, Vincent Labrune. En effet, celui-ci a évoqué cette idée afin d’alléger le calendrier et de rendre le championnat français plus attractif. Cependant, si l’idée semble intéressante, sa mise en place semble difficile et ses résultats réels sur l’attractivité et la compétitivité de la Ligue 1 ne sont absolument pas garantis. Alors, une Ligue 1 à 18 clubs, vraie ou fausse bonne idée ?
Ligue 1 à 18 clubs: un calendrier allégé avec plus de matchs à enjeu
C’est l’argument principal agité par les défendeurs d’un championnat à 18 équipes, Didier Deschamps en tête. La réduction du nombre d’équipes permettrait d’alléger un calendrier surchargé qui a pour conséquence un déficit de spectacle et une accumulation de blessures chez les joueurs. Il est impossible de nier cet argument, dans la mesure où, cette saison, les équipes européennes se retrouvent à devoir enchaîner 3 matchs par semaine au cours d’une saison qui pourrait atteindre les 60 matchs pour certaines équipes.
De plus, la réforme évoquée de la Ligue des champions à partir de 2024 qui prévoit 4 poules à 8 équipes devrait avoir pour conséquence d’augmenter le nombre de matchs des équipes européennes. L’allégement du calendrier des clubs français pourrait ainsi permettre à nos clubs de mieux se préparer aux évolutions de la compétition européenne.
Autre effet invoqué par les défenseurs de la réforme: cette dernière permettrait de réduire le nombre de matchs sans enjeu et les fins de championnat bâclées par les équipes dont le maintien est assuré et les coupes d’Europe hors de portée. En effet, avec une Ligue à 18, 6 places seraient qualificatives pour les coupes d’Europe et 2 places seraient synonymes de relégation: on peut donc imaginer que la majorité des équipes se retrouveraient à la lutte, limitant de facto les matchs sans enjeu. Dans le même temps, en coulisses, cette possible réforme vise également à rassurer les investisseurs en promettant de meilleurs revenus.
Droits TV: une plus grande part du gâteau
L’argument économique d’une telle réforme paraît discutable. En effet, nombreux sont ceux qui estiment que la réduction du nombre d’équipes permettrait aux clubs de Ligue 1 de bénéficier de meilleurs revenus en raison de la répartition des droits TV par 18 au lieu de 20. Si cet argument s’entend, la réalité pourrait quant à elle être bien différente: rien ne garantit que le montant des droits TV seraient identiques pour un championnat à 18 équipes car celui-ci offrirait moins de matchs à diffuser. Il ne faut pas non plus oublier que cette décision priverait chaque équipe des revenus de 2 matchs à domicile (recettes de billetterie).
Toutefois, il est important de mentionner que ces 2 matchs supplémentaires joués à domicile seraient contre des équipes de second plan et ne constitueraient pas de grandes affiches – n’engendrant donc pas de grandes pertes économiques. Cependant, les pertes pourraient être plus importantes pour les diffuseurs: il y aurait 74 matchs en moins à diffuser par saison et donc à une baisse des revenus publicitaires liés à ces matchs. On peut donc estimer que les revenus liés aux droits TV serait plus faibles et par conséquent un gâteau « moins grand ».
Une diminution des risques
Il ne faut pas non plus oublier qu’une Ligue 1 à 18 clubs avec seulement 2 relégations pourrait rassurer les investisseurs en réduisant considérablement le risque de descente d’une formation. Les bienfaits économiques d’une telle décision sont ainsi difficiles à estimer alors qu’il est un des arguments les s avancés par les défenseurs de la réforme. Il ne faut pas non plus oublier que la Ligue 1 a déjà été formé par 18 clubs entre 1997 à 2002 et que cela n’a pas été un grand succès.
De 1997 à 2002, une Ligue 1 à 18 clubs pour des effets mitigés
Avant la Coupe du monde 1998, le championnat de France avait été réformé afin d’alléger le calendrier des clubs et permettre à l’équipe de France de préparer la compétition dans les meilleures dispositions. Si la France avait remporté le tournoi, les clubs français n’en ont pas pour autant brillé sur la scène européenne. En effet, si Monaco et Marseille ont respectivement atteint des finales de C1 et de C3, aucun trophée européen n’est venu garnir le palmarès d’un club français durant ces 5 saisons.
Néanmoins, le championnat, quant à lui, s’était avéré passionnant avec des fins d’exercices incroyablement serrées. On pense notamment aux sacres de Lens et de Bordeaux. Ce passage à 18 clubs avait également permis une légère hausse des recettes de chaque équipe sans avoir pourtant permettre aux clubs français d’enregistrer des renforts décisifs. La mise en place de ce projet de Ligue 1 à 18 clubs n’entraînerait donc certainement pas un retour de compétitivité des clubs français dans l’immédiat, ou du moins pas à l’échelle espérée.
Un projet retoqué en Angleterre et en Italie
Ce projet de ligue à 18 clubs a d’ailleurs été évoqué en Italie et en Premier League, sans pour autant avoir été retenu. Si certains évoquent le modèle allemand ou le rugby, ces exemples ne sont pas pertinents car les situations diffèrent grandement.
En Allemagne, les charges sont nettement moins élevées qu’en France. Le PSG paie à lui seul plus de charges patronales que l’ensemble de la Bundesliga réunie. Pour le rugby, le passage du championnat à 16 puis 14 équipes a permis aux clubs les plus forts de se renforcer et aux clubs plus faibles d’atteindre une certaine stabilité en Pro D2, assurant ainsi la pérennité de ces équipes. Toutefois, l’économie du rugby n’est en rien comparable à celle du football, donc rien n’assure le succès de la transposition d’une telle mesure dans le monde du ballon rond.
Ligue 1 à 18 clubs: une réforme à discuter pour 2024
C’est Noël Le Graët qui s’est élevé le premier contre ce projet de réforme avec des arguments assez puissants. En effet, le président de la FFF a déclaré: « Cela ne peut pas se faire tout de suite. Ce n’est pas le bon moment (…) Il faudrait réaliser une étude financière, interroger les chaînes de télévision. Cela fait quand même des matches en moins. On ne peut pas dire comme ça : ‘Je lance une pièce en l’air et, suivant le côté où elle retombe, c’est oui ou non’. Cela peut mettre le bazar avec les télés. »
la D1 féminines est à douze clubs alors qu’il n’y a pas douze clubs au niveau. Du coup, alors que le but est le développement du foot féminin, c’est contre-productif. La Ligue 1 à 20 clubs c’est pareil. https://t.co/BkuEZgOP4x
— vincent duluc (@vincentduluc) November 15, 2020
Et il est difficile de lui donner tort, les droits TV ayant été attribués jusqu’en 2024, il semble quasiment impossible de modifier le format de la compétition vendue alors même que Médiapro se bat pour obtenir une baisse du montant de son contrat. Une telle décision impliquerait nécessairement de nouvelles discussions avec les diffuseurs. Discussions durant lesquelles la LFP se trouverait en position de faiblesse en raison de la situation pandémique actuelle.
Finalement, ce projet vendu comme la réforme indispensable à la Ligue 1 pour améliorer sa compétitivité et son attractivité a très peu de chances d’aboutir rapidement. De plus, si les avantages envisagés peuvent s’entendre, les résultats réels d’une telle réforme pourrait être beaucoup plus mitigés que ceux évoqués dans les médias. Avec l’attribution des droits TV jusqu’en 2024 et la probable transformation de la Ligue des champions avec des poules à 8 équipes également en 2024, cette réforme mérite d’être discutée. Le fait de l’évoquer dès aujourd’hui constitue l’opportunité d’en débattre et d’en étudier les possibles effets avant une mise en œuvre possible dans plusieurs années.
Crédits photo à la Une: Sam Szapucki