Lundi 3 décembre 2018 est un jour mémorable dans l’histoire du football. Pour la 63e cérémonie du Ballon d’Or, une catégorie féminine est spécialement créée. C’est une première. En remportant le précieux trophée, l’attaquante lyonnaise d’origine norvégienne, Ada Hegerberg, entre donc dans l’histoire du football féminin. Loin d’être anodine, la création d’une telle récompense individuelle féminine marque un changement notable dans le paysage footballistique. Pour en apprendre davantage, Au Stade s’est donc intéressé aux principales évolutions du football féminin en France.
À l’heure actuelle, le football français n’est plus uniquement réservé aux hommes. Les femmes y ont également leur mot à dire. La remise du premier ballon d’or à Ada Hegerberg le 3 décembre dernier à Paris le prouve. Il en est de même pour l’organisation de la prochaine Coupe du monde qui se déroulera en France du 7 juin au 7 juillet 2019. Pourtant, la place des femmes dans le football était loin d’être acquise. Dans l’Hexagone, il leur a fallu batailler pour exister dans ce sport. Décryptage.
Les prémisses du football féminin en France
Dans l’Hexagone, le premier match officiel de football féminin a lieu le 30 septembre 1917. Il oppose deux équipes du club omnisports parisien Femina Sport. Mais faute d’adversaires pour promouvoir d’autres rencontres, le directeur du club, Pierre Payssé, organise alors des matchs contre des équipes scolaires masculines. En tant que professeur de sport au lycée Buffon, la position de Pierre Payssé lui permet effectivement de confronter ses élèves aux filles du club lors d’un match se déroulant le dimanche 28 octobre 1917. C’est en tout cas l’avis de l’auteure Laurence Prudhomme-Poncet. Dans Mixité et non-mixité: l’exemple du football féminin, elle montre également que ces oppositions mixtes s’étendent ensuite à d’autres lycées parisiens.
Mais ces rencontres ne durent qu’un temps. La création de la Fédération des Sociétés Féminines de France en 1918 édite effectivement des règles spécifiques au football féminin. Par crainte de blessures, tout contact entre les joueuses est par exemple interdit. Le temps de jeu est également réduit à une heure. L’adoption de règles différentes rend donc désormais la mixité des matchs difficile. Heureusement, d’autres clubs féminins français apparaissent. Cela permet au Femina Sport d’organiser des rencontres féminines. D’après la Fédération Française de Football (FFF), ces clubs sont même suffisamment nombreux en 1921 pour créer un championnat de France.
L’exclusion des femmes du football français
Cette compétition disparaît en 1933. Il faut dire que le football féminin en France a mauvaise presse. Ce sport est effectivement jugé incompatible avec la grâce et l’élégance féminine. L’article « Le sport convient-il à la femme ? » écrit par Torquet en 1918 dans La Vie Féminine l’illustre parfaitement. Dans ce texte, il déclare effectivement que le football féminin « n’est pas convenable parce que… ça ne se fait pas. On ne voit pas une jeune fille comme il faut en train de faire du football en costume de garçon, avec de gros souliers boueux, et de courir comme une folle, la figure rouge et suante, et de se bousculer avec d’autres jeunes filles plus ou moins comme il faut ».
La crainte de la masculinisation des femmes n’est cependant pas l’unique obstacle auquel se heurte le football féminin français. Ce sport est également suspecté de rendre les femmes stériles. « Le développement musculaire chez la femme » publié le 1er décembre 1923 dans L’Éducation Physique et Sportive Féminine est explicite. L’auteur Georges Racine y déclare que « [l]e geste de lancer le pied dans un ballon exerce une pression abdominale très intense qui pourrait avoir les plus graves effets sur les organes de la femme ». Considérant la pratique du football comme étant nocif pour la santé des femmes, le régime de Vichy – pourtant favorable au sport féminin – interdit donc sa pratique.
Le renouveau de la place des femmes dans le football féminin français
Le football féminin français renaît à la fin des années 1960. À Reims, les femmes militent même activement pour sa reconnaissance. Le mouvement de libération des femmes en 1970 va être propice à leur revendication. Cette même année, le conseil fédéral de la FFF autorise effectivement les femmes à pratiquer ce sport. D’après les informations obtenues auprès de la Fédération Française de Football, cette première saison compta 2170 licenciées. Un an plus tard, le 17 avril 1971, le premier match officiel de l’équipe de France féminine de la FFF a lieu face aux Pays-Bas à Hazebrouck. Les Bleues l’emportent 4-0. Malgré tout, ce n’est qu’en 1997 que l’Hexagone se qualifie pour sa première phase finale internationale.
Certes le football féminin français est encore actuellement minoritaire par rapport à son homologue masculin. Toutefois, on note une augmentation considérable du nombre de femmes pratiquant ce sport. Sur les 2 160 788 licences au 30 juin 2017, pas moins de 159 128 sont féminines. Les entretiens réalisés par Au Stade dans 6 clubs amateurs confirment l’intérêt des femmes pour la pratique du football. La victoire de la Coupe du monde masculine en juillet dernier ainsi que l’organisation du tournoi féminin l’été prochain sur le sol français contribuent probablement à renforcer l’engouement pour ce sport. Cette saison, le club féminin de Pontault-Combault connaît par exemple une augmentation de 31% du nombre de licenciées par rapport à l’an dernier (72 toutes catégories confondues en 2018-2019 contre 55 la saison dernière).
Des obstacles restent à surmonter pour le football féminin français
Tout n’est pas idyllique dans le football féminin. Les témoignages recueillis par Au Stade le prouvent. Sur 13 joueuses contactées dans divers clubs français, 11 regrettent le manque de médiatisation de ce sport. Joueuse, dirigeante en sénior féminine et également trésorière du club de Pontault-Combault, Karine le déplore. Selon elle, l’absence de l’évocation du Ballon d’Or à Ada Hegerberg par différentes chaînes de télévision publiques témoigne de ce manque d’intérêt. Or, d’après Karine, le football féminin gagnerait à être médiatisé. Cela contribuerait effectivement à le populariser.
Mais le manque de médiatisation n’est pas l’unique problème auquel doit faire face le football féminin en France. Les préjugés à l’encontre de ce sport sont effectivement encore tenaces. L’émission « Micro trop tard» diffusée sur Public Sénat en mars 2016 l’illustre. En interrogeant les joueuses de l’équipe Les Dégomeuses à Paris, le journaliste Alex Darmon se confronte effectivement aux différents clichés sexistes véhiculés à l’encontre du football féminin. Pour les dénoncer, la Fédération Française de Football a mis en ligne le 20 septembre 2016 une vidéo intitulée Foot féminin: vis ton rêve !. Or, deux ans plus tard, la rédaction d’Au Stade se désole d’apprendre que de tels préjugés existent encore. Sur 13 joueuses contactées dans divers clubs amateurs français, 7 nous affirment effectivement en avoir déjà souffert. Parmi elles, quatre sont fatalistes et considèrent désormais qu’aucune campagne contre les clichés sexistes ne permettra de les faire cesser.
Pour conclure, l’histoire du football féminin français n’est pas linéaire. Son interdiction sous le régime de Vichy le prouve. Toutefois, depuis les années 1960, le nombre de licenciées augmente. C’est le cas aussi en Belgique. Journaliste pour Watfoot.be et footfeminin.be, Pierre nous avoue que le nombre d’inscriptions féminines dans ce pays « est passé de 22 000 à 35 000 en quelques années ». Si tout comme en Belgique les chiffres officiels français tendent à montrer une évolution des mentalités vis-à-vis du football féminin, le ressenti des joueuses dans l’Hexagone est néanmoins parfois différent. Cela est d’autant plus regrettable que le règlement sportif est désormais similaire chez les hommes et les femmes. Par conséquent, en 2018, le football ne devrait donc plus être une question de genre mais plutôt une passion commune qui nous rassemble.
Crédits photo à la Une: NatiSythen