2018 aura été une année riche en événements sportifs avec, comme principaux exemples, les Jeux Olympiques d’hiver en Corée du Sud et le Mondial russe de football. Derrière les émotions fortes produites par les sportifs, se met aussi en place une véritable géopolitique du sport encouragée par le succès populaire de ces événements et les intérêts économiques considérables qui les entourent. Analyse des relations parfois floues qui lient sport et politique sur la scène internationale.
Une relation ancrée dans l’histoire
Le sport a toujours été considéré comme un moyen de montrer sa supériorité face aux autres Nations. Au cours de l’histoire, il n’a jamais été rare de voir des régimes politiques vouloir légitimer leur vision des choses à travers les performances de leurs athlètes respectifs. Parmi les multiples exemples que nous offrent nos manuels historiques, la volonté du régime nazi de montrer la supposée supériorité de la race aryenne à travers le sport est l’un des plus symboliques. Ainsi, les Jeux-Olympiques d’été à Berlin en 1936 devaient-ils se transformer en parade triomphante pour Adolf Hitler, afin de consacrer les idées grâce auxquelles il était arrivé au pouvoir trois ans plus tôt. Néanmoins, la propagande nazie s’était alors heurtée à la vérité du terrain, lorsque l’athlète afro-américain Jesse Owen remporta quatre médailles d’or sous les yeux du Führer.
Sport et propagande politique ont aussi été profondément liés durant la Guerre froide. L’opposition entre les États-Unis capitaliste et l’URSS communiste a aussi eu lieu sur le plan sportif, avec la volonté là encore de démontrer la supériorité de son idéologie respective. Ainsi, lorsque les États-Unis décident de se rapprocher de la Chine de Mao, qui venait de faire scission du bloc communiste en opposition à l’URSS, un match de tennis de table est organisé en 1971 pour faire preuve du rapprochement géopolitique en cours. On parlera même de « diplomatie du ping-pong« , les échanges de balle devant se transformer en échanges politiques plus larges permettant aux États-Unis de faire de la Chine un contre-poids de taille à l’URSS.
L’attrait des grandes compétitions internationales
Les grandes compétitions internationales apparaissent de plus en plus comme d’incroyables caisses de résonance politique. Si la Coupe du Monde 2018 en Russie était une occasion pour Vladimir Poutine de tacler les critiques de la communauté internationale envers son pays – la Russie est l’un des pays les plus sanctionnés par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) pour non-respect des fondamentaux de l’État de Droit – en organisant une compétition très ouverte et positive, les Jeux d’hiver à Pyongyang (Corée du Sud) ont aussi constitué le prélude du processus de réchauffement des relations entre les deux Corée engagé cette année avec l’accueil chaleureux d’une délégation nord-coréenne au sein de la compétition.
En plus de retombées économiques souvent importantes et des bénéfices en terme d’image, ces grandes compétitions permettent donc aux pays de faire étalage de leur puissance aux yeux du globe. Les pouvoirs politiques ne sont pas dupes, et jouent de plus en plus des coudes pour s’attribuer l’organisation des ses événements, en investissant de larges sommes d’argents en faveur de la candidature de leur pays ou en pesant en coulisses. Ainsi, le doute plane encore autour des contours de l’attribution du Mondial-2022 au Qatar notamment avec d’importants soupçons de corruption notamment.
La constitution d’un véritable « soft power »
Si, historiquement, le sport a toujours été un moyen de s’affirmer sur la scène internationale, ce constat est toujours d’actualité. Les puissances émergentes telles que la Chine et le Qatar ont ainsi misé sur le sport, et le football en particulier, pour se constituer un « soft power » à même de combler leur désir de puissance et de souveraineté. La Chine, qui ne cesse de concurrencer les États-Unis politiquement et surtout économiquement, investit depuis quelques années dans le football et essaie d’attirer de plus en plus de joueurs de renommée internationale au sein de son championnat avec des juteux contrats à la clé. L’idée ? Offrir des partenaires d’exception aux joueurs chinois afin de monter une équipe nationale capable de rivaliser avec les plus grandes nations dans les compétitions les plus prestigieuses dans un futur proche. Une ambition qui revêt des desseins politiques, avec l’idée de faire de la Chine une puissance complète.
L’autre exemple fort est le Qatar. Cet État a avant tout bâti sa richesse et sa place dans le monde sur son important vivier en hydrocarbures. Mais le Qatar pense déjà à « l’après-pétrole » et investit de plus en plus dans la conception de son propre soft power. Le blocus orchestré par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis notamment à l’été 2017 (*) est venu lui rappeler sa vulnérabilité sur la scène internationale sans ses précieuses ressources et que le temps presse. Les dirigeants qataris investissent donc massivement pour développer le tourisme, la culture avec la volonté d’accueillir de grandes universités étrangères et donc dans le sport. Le rachat du Paris-SG par Qatar Sport Investissement (QSI) avait été un signe fort en 2011 et l’attribution de la Coupe du Monde 2022 au tout petit Émirat avait tout autant démontré le poids croissants des intérêts de ce dernier dans les grandes instances internationales du football. Le Qatar a d’ailleurs obtenu une dérogation spéciale pour organiser sa Coupe du monde en hiver (pour offrir des conditions de jeu décentes, l’été étant trop aride). Si le Qatar avait atteint la finale de sa Coupe du monde de Handball en 2015 en naturalisant nombres d’internationaux étrangers, reste à savoir si l’équipe nationale qatarie brillera autant en 2022. Concernant le cas de la « diplomatie sportive » qatarie, notre rédaction avait d’ailleurs consacré un long reportage sur ce sujet, à découvrir ici.
Les stades, lieux de revendications politiques
L’exposition démentielle dont jouit le football donne une visibilité sans précédente aux enceintes sportives où se jouent rencontres et compétitions. Ainsi, n’est-il pas rare de voir régulièrement les corbeilles VIP de ces enceintes remplies d’hommes et de femmes politiques. L’objectif étant bien entendu de s’associer au succès populaire sportif en se montrant proches des acteurs sur le terrain. Comment ne pas penser à l’exemple très récent d’Emmanuel Macron, le chef de l’État français, fanfaronnant en tribunes et dans le vestiaires des joueurs de l’équipe de France à l’occasion de la victoire des Bleus en finale de la Coupe du monde en Russie en juillet dernier. Une façon de s’attribuer sans doute une part du succès et de montrer que, oui, sous sa présidence, la France gagne, à la manière de ce qu’avait fait Chirac en 1998, lors du premier succès planétaire des Bleus.
Dans les stades, toutes les couleurs politiques cohabitent et les tribunes populaires sont souvent le lieu privilégié de revendications politiques. Ainsi, les virages marseillais ont très récemment apporté leur soutien au mouvement des « Gilets-Jaunes », en arborant à l’occasion d’un match de l’OM ce symbole de la grogne sociale actuelle dans l’Hexagone. Des revendications parfois extrêmes, notamment lorsqu’elles touchent l’essence idéologique même de certains groupes ultras. Alors, les stades peuvent-ils devenir des lieux de violence. Une violence pouvant être verbale, à l’image des banderoles antisémites déployées par les supporters de la Lazio Rome en Italie fin 2017 (**). Mais une violence qui peut tout autant être physique, à l’image des affrontements fréquents entre groupes de supporters de mouvances politiques opposées, hors et à l’intérieur des stades. Des violences qui obligent les autorités politiques à traiter très sérieusement le problème avec nombre d’interdictions de stade ou de déplacements prononcées.
(*) Ces deux Émirats ont imposé un blocus complet du Qatar à l’été 2017, reprochant notamment les liens trop étroits de ce dernier avec l’Iran, le grand ennemi chiite.
(**) Les supporters de la Lazio avait déployé une banderole habillant Anne Frank, figure juive majeure de l’Holocauste, d’un maillot du club ennemi de la Lazio, l’AS Rome. Un dérapage qui avait provoqué un tollé politique important en Italie.
Crédits photo à la Une: C.GAVELLE / PSG