Le langage du football est universel. Dans les clubs, des joueurs de nationalités différentes se côtoient. C’est l’objet de la seizième étude « Sport et Nationalités » du bulletin d’informations juridiques sportives Légisport. À l’occasion de sa parution en novembre dans le 134e numéro du bimestriel, Au Stade s’est penché sur cette étude. Décryptage.
En football, le talent n’a pas de frontières. La finale du Mondial en Russie le 15 juillet dernier le prouve. Les plus fins connaisseurs du ballon rond ont ainsi remarqué que les onze joueurs alignés par l’entraîneur croate Zlatko Dalić évoluent dans des championnats étrangers. C’est un de plus que l’équipe de France. Dans la liste de départ de Didier Deschamps, seul Kylian Mbappé joue effectivement dans le championnat français. Cette expatriation des footballeurs hors des championnats nationaux n’a cependant rien d’illégale. Au contraire, elle est favorisée par la législation de l’Union européenne qui autorise la libre circulation des personnes dans les États membres. Mais peut-on pour autant déclarer que le football est un modèle de la construction européenne ? C’est la question à laquelle nous allons tenter de répondre.
Les intérêts en faveur de « l’européanisation » des footballeurs
La libre circulation des personnes au sein des États membres de l’Union européenne est une véritable aubaine pour les clubs. Cela leur permet d’attirer aisément les meilleurs sportifs européens. Le Real Madrid le sait parfaitement. La saison dernière, les joueurs expatriés ont contribué à son succès en remportant l’Euroligue de basket-ball et la Ligue des champions en football. Dans cette compétition, les trois buts en finale face à Liverpool ont été inscrits par des sportifs étrangers. Il s’agit du Français Karim Benzema (51e) et du Gallois Gareth Bale. Entré en cours de jeu, il s’offre effectivement un doublé (64e, 83e). Bien qu’il ne marque pas durant cette rencontre, le Portugais Cristiano Ronaldo reste toutefois le meilleur buteur de la compétition. Pouvoir recruter des joueurs expatriés talentueux est donc primordial pour un géant tel que le Real Madrid.
Mais «l’européanisation» des sportifs n’est pas uniquement un avantage pour les clubs. Cela peut également l’être pour les pays d’origine. En évoluant dans des clubs européens prestigieux, les joueurs côtoient quotidiennement le haut niveau. De retour avec leurs sélections nationales, ils peuvent ainsi briller. À première vue, le choix de Zlatko Dalić d’aligner onze joueurs croates expatriés au coup d’envoi de la finale du Mondial en Russie obéit à cette stratégie. Cependant, la réalité est plus complexe. La vente des joueurs prometteurs par les clubs croates a essentiellement pour objectif de survivre financièrement. Même avant l’entrée de la Croatie dans l’Union européenne en 2003, l’expatriation des footballeurs croates avait donc un but économique pour les clubs du pays. C’est en tout cas l’avis de l’ambassadeur de la République de Croatie en France, Filip Vučak, pour expliquer à Légisport les raisons de l’expatriation des joueurs croates.
La législation européenne favorable à l’expatriation des sportifs européens
L’Europe fournit un cadre législatif propice à l’expatriation des joueurs hors de leurs championnats nationaux. Dès sa signature le 25 mars 1957, le traité instituant la Communauté Économique Européenne (CEE) le prévoit. Plus connu sous le nom de Traité de Rome, il envisage dans ses objectifs la libre circulation des personnes dans les six États membres (Italie, Belgique, Luxembourg, France, Pays-Bas et Allemagne de l’Ouest). L’article 48 le prouve. En plus d’interdire toute discrimination fondée sur la nationalité des pays membres, il autorise leur « libre circulation […] à l’intérieur de la communauté ». Mais avec un nombre croissant d’États membres, ce droit est désormais retranscrit dans l’article 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Par ailleurs, des arrêts renforcent ce droit. Les arrêts Bosman et Malaja en sont des parfaits exemples. Le premier concerne la décision de la Cour de Justice des Communautés Européennes d’autoriser le joueur belge Jean-Marc Bosman du RFC Liège à rejoindre le club français de Dunkerque sans verser d’indemnités de départ. Rendu le 15 décembre 1995, le verdict est favorable au joueur et permet également d’abolir le quota de trois joueurs de nationalités européennes différentes imposé aux clubs. En ce qui concerne l’arrêt Malaja, il fait référence à la basketteuse polonaise Lilia Malaja. Le 30 décembre 2002, alors que la Pologne ne fait pas encore partie de l’Union européenne, le Conseil d’État assimile pourtant la joueuse à une ressortissante de l’Union européenne. Pour le justifier, le Conseil d’État fait valoir la mise en application de l’accord d’association signé entre la Pologne et l’Union européenne interdisant la discrimination en raison de sa nationalité. De ce fait, Lilia Malaja est donc considérée comme une ressortissante de l’Union européenne et n’obéit plus au quota imposé aux joueurs extra-communautaires.
Les critiques émises à l’encontre de cette « européanisation »
Bien que la législation européenne le permet, l’expatriation des joueurs européens ne fait pas l’unanimité. En effet, en quittant les championnats nationaux, ils en appauvrissent la valeur. Le cas de la Croatie est criant. Finaliste de la coupe du monde 2018, le sélectionneur Zlatko Davić sait qu’il compte dans ses rangs des joueurs talentueux. Pour preuve, Luka Modrić a reçu le Ballon d’Or 2018. Or, comme beaucoup de ses coéquipiers en sélection nationale, il évolue dans un championnat étranger. En vendant les joueurs les plus talentueux, les clubs croates survivent donc financièrement mais s’appauvrissent en termes de notoriété. Cela profite aux grands clubs européens. Ainsi, d’après Légisport, le Real Madrid est plus célèbre que la sélection croate à l’échelle mondiale. Jouer pour un tel club est donc nécessairement une source de motivation pour les joueurs. Or, pour les opposants à l’expatriation des joueurs européens, cela conduit inévitablement les sportifs à privilégier le club à la sélection nationale.
En conclusion, le sport est une véritable vitrine du fonctionnement de l’Europe. Qu’il s’agisse ou non du football, les sportifs européens sont actuellement libres d’aller d’un championnat de l’Union européenne à un autre. Cependant, de tels transferts existaient déjà avant que des accords ne les favorisent. En abolissant les quotas, la législation européenne n’a donc qu’accentué la possibilité des sportifs d’évoluer dans divers championnats européens. Il est donc légitime de s’interroger à présent sur l’effet qu’aura le Brexit sur la Premier League. En effet, en quittant l’Union européenne le 29 mars 2019, les footballeurs européens seront considérés comme des joueurs extra-communautaires. Par conséquent, en l’absence d’une législation adéquate, ils seront donc à nouveau soumis au régime des quotas.
Crédits photo à la Une: Pixabay – you_littleswine