L’exploit en Coupe de France de la JS Saint-Pierroise (élimination en 16es de finale contre Epinal) a permis de mettre en lumière le football réunionnais. L’occasion de se pencher sur un autre football; un football entre deux continents, qui a connu ses heures de gloire entre les années 1990 et 2000. Un football qui a, par le passé, espéré s’étendre sur l’Afrique mais qui semble aujourd’hui peu ou prou fermé sur lui-même.
Une organisation distincte du foot hexagonal
Si la première division réunionnaise est régie par la Fédération Française de Football (FFF), ce championnat possède une organisation et un calendrier propre. En effet, cette compétition se déroule pendant une autre période que les championnats hexagonaux; la première rencontre de championnat a généralement lieu en mars et la dernière en novembre, avec une trêve en juillet et en août. Dans cette compétition dont l’élite s’intitule « Régionale 1 » et équivaut à la 6e division à l’échelon national, le vainqueur gagne 4 points tandis qu’une égalité rapporte 2 points et une défaite 1 point. Ici, pas de play-offs; l’équipe avec le plus grand nombre de points remporte le championnat tandis que les 2 dernières équipes sont reléguées.
Ce régime dérogatoire est aisément justifié et justifiable. En effet, il n’est pas possible avec les moyens de déplacement actuels d’intégrer les clubs réunionnais au sein du schéma de compétitions métropolitaines. Ce système parallèle a donc été créée afin de permettre aux clubs réunionnais de s’épanouir localement dans un championnat reconnu et encadré par la FFF. Cette compétition composée de 3 divisions, de la Déparmentale 1 à la Régionale 1, est dominée outrageusement depuis plusieurs années par la JS Saint-Pierroise dont l’épopée en Coupe de France a jeté un coup de projecteur sur le championnat local.
L’occasion de rappeler que c’est à ce club phare de la Réunion que la France doit entre autres Dimitri Payet, actuel milieu de terrain de l’Olympique de Marseille, Florent Sinama Pongolle, vainqueur de la Ligue des champions avec Liverpool en 2005 et qui a inscrit un triplé pour le club réunionnais en début de compétition, et Guillaume Hoarau, ancien avant-centre du Paris Saint-Germain. Sans oublier que ce club a vu passer d’anciennes gloires en fin de carrière et pas des moindres; Jean-Pierre Papin, Roger Milla ou encore Djibril Cissé.
L’impossible conciliation entre football ultramarin et hexagonal
Malheureusement, ce coup d’éclat a aussi démontré la difficile intégration des clubs ultramarins dans une compétition où se côtoient football professionnel et football amateur en raison des nombreuses difficultés logistiques et administratives que cela engendre. En effet, ce véritable exploit de la JS Saint-Pierroise ressemble à un parcours du combattant pour les réunionnais car le règlement de la plus vieille des compétitions du football français n’a pas pour vocation à favoriser les clubs ultramarins, au contraire.
Une règle aussi injuste qu’absurde oblige les clubs ultramarins à se déplacer systématiquement en cas de tirage au sort contre un club de la métropole. Et ce, quelque soit l’ordre du tirage ou l’écart de divisions entre les deux équipes. Cette règle, qui n’est fondée sur aucune justification objective ou matérielle comme pourrait l’être l’absence de stades conformes aux normes de la compétition, est la preuve d’un football à deux vitesses marqué par la volonté de la Fédération de favoriser les équipes métropolitaines au détriment des clubs ultramarins. Notamment afin d’éviter à un club professionnel de devoir effectuer un long voyage avant d’importantes échéances. En effet, il est difficile d’imaginer le PSG envoyer Mbappé et Neymar à la Réunion à deux semaines d’un des rendez-vous européens les plus important de l’année.
S’il serait exagéré de justifier l’élimination de l’équipe réunionnaise uniquement par ce règlement discriminatoire, il serait également injuste de ne pas noter que c’est ce règlement qui a obligé l’équipe réunionnaise à se déplacer trois fois en métropole en moins de 2 mois. Et il est légitime de penser que ce triple voyage pour un total de 76 heures de vol n’a pas eu d’impact sur les organismes des joueurs réunionnais et désavantagé la JS Saint-Pierroise lors de sa défaite 1-0 au bout des prolongations contre les valeureux vosgiens d’Epinal (N2), de deux divisions supérieures. C’est cette incompatibilité entre le football hexagonale et le football ultramarin qui a conduit la Ligue réunionnaise de football à se rapprocher de la Confédération Africaine de Football (CAF). Bien que cela soit méconnu en métropole, il faut savoir que le vainqueur du championnat réunionnais se qualifie pour les barrages de la Ligue des champions… africaine.
Les années 1990-2000 ou l’âge d’or du football réunionnais
En effet, c’est 1992 que la Ligue réunionnaise de football et la confédération africaine de football ont signé un accord permettant l’intégration des équipes locales aux compétitions africaines. L’ambition était de permettre le développement du football réunionnais sur le plan sportif qu’économique. C’est ainsi que la première participation d’un club réunionnais a une compétition africaine eut lieu en 1994. Et ce n’est pas moins de 3 équipes que la ligue réunionnaise envoya participer aux 3 compétitions africaines de l’époque, la Saint-Pierroise en Coupe des champions (actuelle Ligue des champions), l’USST en Coupe des vainqueurs de coupe (équivalent de la coupe de l’UEFA), et le CSSD en coupe de la CAF. Cette première participation fût un incroyable succès avec des débuts célébrés par une victoire 4-0 pour la Saint-Pierroise contre les Mbabane Swallows (Swaziland) devant les caméras de la télévision française et les yeux d’Issa Hayatou, président de la CAF entre 1988 et 2017. La Saint-Pierroise se fera sortir avec les honneurs au tour suivant par une équipe mozambicaine en raison de la règle du but à l’extérieure.
L’apogée du football réunionnais aura lieu en 1999, lorsque la Saint-Louisienne passera cette fois-ci les 3 tours de barrages en battant au dernier tour les Sud-Africains du Mamelodi Sundows. Cette qualification apportera 1 million de dollars au club réunionnais, somme remise à toutes les équipes qualifiées pour la phase de poule de la Ligue des champions africaines. L’équipe réunionnaise tombera dans le groupe de 3 mastodontes africains, le Power Dinamos (Zimbabwe), l’Asec Mimosa (Côte d’Ivoire) et l’Espérance de Tunis (Tunisie). Loin d’être ridicule, l’équipe finira avec une victoire, quatre défaites et un nul.
Un déclin d’origine politique et économique
Malheureusement, la réalité rattrapa rapidement le football réunionnais. Juste après l’élimination de l’équipe locale, Lucay Arayapin, qui est encore aujourd’hui le président du club, déclara avec lucidité: « Il faut avoir les reins solides. Ça nous a coûté de l’argent, heureusement qu’on s’est qualifié pour rembourser nos crédits car je ne sais pas comment on aurait fait. Pour ça, il faut avoir l’équipe pour. C’était le cas, on avait recruté en fonction, on avait des gars aussi grands par la taille que par le talent comme Nicodème Boucher, Coco Sellambarom, Thierry Gorée, Sylvio Gado ou encore Hermann Trulès, le tout coaché par Jean-Pierre Bade. Mais on était obligé de faire l’impasse sur les autres objectifs. ».
Le dernier exploit en date restera l’œuvre également de la Saint-Louisienne en Coupe des coupes avec une demi-finale perdue contre les égyptiens de Zamalek. C’était en 2000. Depuis la réalité économique et l’instabilité chronique de nombreux pays africains a poussé les dirigeants des clubs réunionnais à fuir les compétitions africaines pour se consacrer au championnat local afin de ne pas mettre en danger les clubs et les joueurs. La JS Saint-Pierroise qui trône à la première place du championnat renonce de manière systématique aux joutes africaines. La dernière participation remonte en 2017 avec une participation sans exploit de la Saint-Louisienne qui avait pallié au désistement du champion saint-pierrois. Ainsi, il paraît bien loin, le temps où le football réunionnais rayonnait en Afrique au point d’évoquer la participation de la Réunion au Championnat d’Afrique des nations (CHAN). C’était il n’y a pas si longtemps, mais cette idée semble avoir été oubliée en même temps que les ambitions africaines des clubs réunionnais.
Crédits photo à la Une: Capture d’écran Facebook – Js Saint Pierroise