L’année 2011 demeure marquante pour la plupart des supporters de football; année d’adoption de la loi LOPPSI 2, dont l’une des clauses confère au préfet le pouvoir de restreindre la liberté de déplacement des supporters, la pratique du supportérisme en France a été foncièrement renouvelée, pour ne pas dire bafouée. Entre délit de supportérisme et pratiques liberticides, il convient d’analyser les tenants et les aboutissants de la loi LOPPSI 2. Dossier.
Avec la loi LOPPSI 2, la naissance du délit de supportérisme
C’est en 2011 qu’a été adoptée la « loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure » plus connue sous le nom de loi LOPPSI 2. C’est cette loi qui a instauré une nouvelle ère pour les fans de football, l’ère de la répression, octroyant le pouvoir au préfet d’interdire ou de restreindre la liberté d’aller et de venir des supporters sur les lieux d’une manifestation sportive s’il estime que leur présence risque d’occasionner des troubles graves à l’ordre public. Cette loi prévoit également que chaque supporter contrevenant à la décision du préfet encourt 6 mois de prison et 30 000 euros d’amende. Si le gouvernement avait annoncé que les restrictions de déplacement seraient utilisées uniquement de manière exceptionnelle, la pratique s’est avérée différente avec une restriction quasiment systématique des déplacements de supporters par les préfets et un élargissement de la notion de lieu de manifestation sportive à l’ensemble d’un département. Lors de la saison dernière, plus d’une centaine de décisions limitant le déplacement des supporters avaient été prises et appliquées. Le caractère exceptionnel a aujourd’hui complétement disparu et cette loi, ne conduisant finalement qu’à tendre encore plus les relations entre supporters et autorités publiques.
En effet, de nombreux motifs, aussi surréalistes que farfelus, ont ainsi été utilisés pour justifier les restrictions de déplacement. Parmi eux, figurent notamment; les moqueries des supporters marseillais sur les réseaux sociaux envers les fans parisiens; le simple recrutement de Vincent Hognon (ex-entraîneur de l’AS Nancy-Lorraine) par le FC Metz; le simple lancement des soldes d’hiver…
Une politique aux résultats désastreux
Cette systématisation des restrictions de déplacement et l’absence de communication entre les parties a entrainé une grande défiance entre les supporters et l’autorité publique. En février 2018, plusieurs supporters bordelais ont ainsi décidé de braver l’interdiction de déplacement émise par le préfet, avec l’assistance de leurs homologues strasbourgeois; ils avaient pu entrer dans le stade avant d’en être rapidement expulsés. Résultat, certains d’entre eux ont passé la nuit en garde à vue et quatre d’entre eux ont même été jugés coupables.
Cette saison, le fait le plus marquant concerne le déplacement des supporters nîmois au Vélodrome. Alors que seulement 200 supporters avaient été autorisés à se déplacer, ils avaient été bien plus nombreux à avoir fait le déplacement; près de 500 d’entre eux avaient dû faire demi-tour avant d’être escortés jusqu’au parking du stade des Costières. De nombreux CRS les attendaient à leur arrivée et des affrontements ont alors éclaté malgré la présence de nombreuses familles avec enfants. Après ces incidents, le procureur adjoint au parquet de Nîmes avait déclaré que le jet d’une bouteille pleine d’urine sur un véhicule de police avait causé… cinq jours d’ITT à un policier. Cette affaire a d’ailleurs eu pour conséquence l’ouverture d’une enquête dont les conclusions sont encore attendues. Néanmoins, cet incident symbolisant parfaitement l’échec d’une politique répressive n’a pas conduit les autorités à envisager d’autres actions de coercition.
L’absence de recherche d’alternatives aux restrictions de déplacements
Malgré incidents et contradictions, aucune alternative n’a été envisagée jusqu’aujourd’hui. S’il n’est pas souhaité (ni souhaitable) de suivre le modèle anglais où il a été décidé la hausse déraisonnable du prix des places pour résoudre les problèmes dans les stades, le modèle allemand pourrait constituer un modèle à suivre même s’il faudrait certainement l’adapter aux particularités du football français, comme indiqué dans un rapport remis à la Secrétaire d’État aux Sports en 2010. En effet, pourtant confrontée pendant de nombreuses années au problème du hooliganisme, l’Allemagne assure aujourd’hui chaque semaine le déplacements de milliers de supporters sans problème particulier. Le secret ? La mise en place d’un dispositif de concertation et d’encadrement des supporters avec un vrai investissement des pouvoirs publics.
Cette politique de dialogue entre les autorités publiques, un médiateur indépendant, les instances de football et les groupes de supporters a été un immense succès. Résultat le plus éloquent de cette politique: environ 30 000 fans du Dynamo Dresde avait pu se déplacer à Berlin le 30 octobre 2019 pour assister au match de leur équipe contre le Hertha Berlin. Malheureusement, les autorités françaises ne sont pas intéressées à ce modèle; les restrictions de déplacement et la politique de défiance envers les supporters s’étant intensifiées cette saison. Finalement, l’absurde a atteint son paroxysme en août 2019 lorsque le préfet du Gard a décidé d’interdire aux supporters du Nîmes Olympique de se déplacer au sein de leur propre département. Pour la première fois, le Conseil d’Etat s’est donc penché sur la question; et a annulé une décision d’interdiction de déplacement pour la première fois, plus précisément celle concernant le match de 16es de finale de Coupe de France Belfort-Nancy, en janvier dernier. Si cette décision constitue un premier pas, celle-ci ne constitue pas pour autant une victoire définitive.
Le Conseil d’Etat ou la défense légitime des droits des supporters
C’est l’Association nationale des supporters (ANS), le matin même de la rencontre Belfort-Nancy, qui a décidé de faire appel devant le Conseil d’Etat de la décision interdisant le déplacement des supporters nancéiens à Belfort lors de ces 16es de finale de la Coupe de France. Cet arrêté, qui aurait permis aux supporters de l’ASNL de ne pas assister à la défaite de leur équipe, se basait sur des motifs flous comme la majorité des décisions visant à limiter la liberté de déplacement des supporters. En effet, parmi les raisons invoquées; on retrouve l’usage de fumigènes et de chants homophobes par les supporters de Nancy lors de matchs précédents sans justifier en quoi cela générerait un trouble grave à l’ordre public. De façon très généraliste, le préfet évoque également la tenue de manifestations se déroulant à Belfort tous les samedis pour justifier d’un nombre insuffisant de policiers; cependant, l’existence de ces manifestations ne présentaient en rien un caractère exceptionnel. Malgré ces éléments, le tribunal administratif avait bel et bien validé la décision du préfet en reprenant les mêmes motivations alambiquées.
Cette décision du tribunal administratif, qui interroge sur la réelle indépendance du juge administratif à l’égard de l’exécutif (problème qui dépasse largement le cadre du football), a ainsi été annulée par le Conseil d’Etat. En effet, saisi en urgence, le Conseil d’Etat a estimé dans son ordonnance du 18 janvier 2020 que la décision du préfet; ne justifiait en aucun cas les risques de troubles graves à l’ordre public; ne prouvait pas l’absence de moyens plus adaptés que l’interdiction de déplacement pour faire face à ces éventuels risques. Cette première victoire judiciaire a ainsi permis à une cinquantaine de supporters nancéiens d’assister à la rencontre le jour même de la décision. Toutefois, il est important de tempérer en rappelant qu’il ne s’agit que d’un référé, c’est-à-dire une décision prise dans l’urgence dans l’attente d’un jugement définitif plus approfondi qui peut, quant à lui, engendrer des conclusions différentes. Néanmoins, il faut espérer que cette décision créera un précédent et que celle-ci poussera les autorités à ouvrir un nouveau dialogue avec les supporters et les instances du football afin de préconiser de nouvelles solutions plus efficaces et respectueuses de la liberté d’aller et venir des supporters de football, pour ainsi dire de justiciables comme les autres.
Crédits photo à la Une: Damien Clauzel