Face au durcissement des sanctions prises par les dirigeants du PSG à l’encontre de certains groupes de supporters, la rédaction d’Au Stade souhaite s’intéresser à la place des ultras dans le football français. Dossier.
Les ultras. Ce mot ne laisse personne indifférent. Il faut dire que ces groupes de supporters font régulièrement parler d’eux dans la presse sportive. Le terme « ultra » nous est donc familier dans le sport. Pourtant, son image suscite la controverse. C’est le constat d’Au Stade qui a demandé à cent personnes choisies aléatoirement à Paris de définir ce mot. Malgré un taux d’abstention de 4%, le verdict est sans appel. 53% des interrogés y voient un synonyme de « violence». Pour les autres, en revanche, le terme d’ultra se réfère à un champ lexical festif. Face à la diversité des résultats obtenus, la rédaction d’Au Stade veut éclaircir la définition de ce mouvement.
L’apparition du mouvement ultra
L’origine du mouvement ultra est difficile à retracer. Dès 1939, la première association de supporters (Torcida) à São Paulo au Brésil présente une ferveur envers son équipe similaire à celle des ultras. Des groupes exubérants sont également visibles dans les archives visuelles yougoslaves durant la Coupe du monde en 1950. Cette même année, cette ambiance caractéristique se retrouve chez les supporters de l’Hadjuk Split. Le 28 octobre 1950, face à l’Étoile rouge de Belgrade, ils envahissent effectivement le terrain pour porter en triomphe le buteur.
Malgré tout, c’est en Italie que se développe véritablement le mouvement ultra à la fin des années 1960. En 1968, les supporters de la Fossa Dei Leoni de l’AC Milan sont les premiers à se revendiquer ultra. Ce terme n’apparaît cependant qu’en 1970 avec l’association Ultra Tito Cucchiaroni en référence au nom d’un joueur de la Sampdoria à Gênes.
Le contexte du développement des ultras
L’émergence du mouvement ultra en Italie s’explique essentiellement par le contexte politique difficile du pays. L’extrême gauche et l’extrême droite italiennes s’affrontent régulièrement durant les « années de plomb » (fin des années 1960 – début des années 1980). Or, pour Sébastien Louis, professeur d’histoire-géographie et de sociologie à l’École Européenne du Luxembourg, la violence politique impacte le mouvement des ultras. Bien que la plupart des groupes de supporters soient apolitiques, les ultras y voient un modèle d’organisation et d’adhésion totale à une cause commune. Mais le contexte politique italien n’est pas l’unique raison permettant d’expliquer le développement de ce mouvement. Celui-ci répond également à un changement de société. Souhaitant s’émanciper des aînés, les jeunes fervents supporters n’hésitent plus à se rassembler pour fonder leur propre groupe. Ils prennent alors l’habitude de se retrouver les soirs de match dans les virages où les places sont moins onéreuses. Aujourd’hui encore, la majorité des ultras s’installent derrière les buts et s’autofinancent via la vente de gadgets ou des adhésions.
Par ailleurs, l’Italie est un championnat attractif. Par conséquent, les images montrant les groupes ultras se répandent en Europe. Il faut toutefois attendre les années 1980 pour que ce mouvement se développe en France. Le premier à voir le jour dans ce pays est celui du Commando Ultra de l’OM en 1984. Il est rapidement imité. À titre d’exemple, les Boulogne Boys du PSG et la Brigade Sud Nice de l’OGC Nice sont fondés en 1985.
La législation française défavorable aux ultras
Si le mouvement ultra s’est implanté durablement en France, la législation nationale lui est pourtant défavorable. Les autorités ont effectivement renforcé les sanctions prises à l’encontre des supporters après les débordements responsables du décès de l’un d’eux en 2010. D’après Challenges, «la dispersion des ultras [est même devenue] l’objectif prioritaire». Selon ce média, entre 2011 et 2017, pas moins de 350 arrêtés anti-supporters sont recensés.
La loi dite « Larrivé » est sans doute la mesure la plus représentative. Adoptée à l’unanimité par le Parlement le 28 avril 2016 et promulguée le 10 mai 2016, elle encadre les supporters français pour tenter d’endiguer la violence. Pour cela, le texte allonge la durée de l’interdiction administrative de stade. Elle passe de 12 à 24 mois pour les personnes n’ayant pas fait l’objet d’une telle mesure durant les trois années précédentes. Pour les autres, l’interdiction augmente de 24 à 36 mois. La loi proposée par le député Guillaume Larrivé permet également aux clubs de football professionnels de refuser ou d’annuler la vente de billets à certains supporters. Les institutions sportives peuvent aussi désormais récolter des données personnelles relatives à ces derniers dans un fichier automatisé. Forcément, ce texte déplaît aux Ultras. L’Association Nationale des Supporters (ANS) considère qu’il suscite « l’indignation, pour ne pas dire la nausée ». Durant le match opposant Saint-Étienne au PSG (0-2), le 31 janvier 2016, les supporters stéphanois manifestèrent même leur mécontentement dans une banderole. La phrase « C’est Larrivé de la dictature» est désormais entrée dans les annales.
Une comparaison à tort du mouvement ultra à l’hooliganisme
Des débordements violents en marge des manifestations sportives conduisirent les autorités à sanctionner certains supporters. Pour autant, comparer le mouvement ultra à l’hooliganisme anglais est une erreur. C’est le message de Nicolas Hourcade dans son article « Les groupes de supporters ultras » publié en 2004 dans la revue Agora débats/jeunesse. Professeur agrégé de sciences sociales à l’École Centrale de Lyon, il déclare effectivement que, contrairement aux hooligans, les ultras ne recherchent pas nécessairement la violence. Pour l’auteur, ils n’en viennent aux mains que lorsque « l’honneur de leur club ou de leur groupe leur paraît en jeu ». Or, la fierté est subjective. Par conséquent, le seuil au-delà duquel la fierté et mis à mal est flou. Néanmoins, la systématisation de la violence n’est pas la seule différence entre les hooligans et les ultras. Contrairement aux premiers, les groupes de supporters ultras sont véritablement structurés. De même, les chants et animations dans les stades ne doivent rien au hasard. Ils sont lancés et synchronisés par les meneurs qui se positionnent dos au terrain.
En conclusion, la difficulté à définir le mouvement ultra résulte notamment de sa comparaison à tort avec le hooliganisme anglais. Cette assimilation est néfaste pour les supporters ultras. Les sanctions prononcées à leur encontre le prouvent. Les ultras, mouvement d’origine italienne, pourraient plutôt se définir comme un rassemblement organisé de fervents supporters. Localisés dans les virages des stades, ils organisent minutieusement des chants et des tifos pour soutenir les joueurs. Avec eux, le surnom de douzième homme est donc loin d’être usurpé.
Crédits photo à la Une: Hgkramm