En devenant la cinquième équipe à rejoindre United World Group, la Berrichonne de Châteauroux entre dans l’inconnu. Que peut espérer le club, actuelle lanterne rouge de Ligue 2, à court, moyen et long termes ? Dossier.
Annoncé depuis plusieurs semaines, le rachat de la Berrichonne de Châteauroux par le prince saoudien Abdullah bin Mossad a été officialisé cette semaine, pour 2,8 millions d’euros. Pensionnaire de Ligue 2, Châteauroux devient donc le cinquième club du groupe United World, déjà détenteur de Sheffield United (Premier League), de Beerschot (D1 belge), de Kerala FC (D2 indienne) et de Al Hilal United (D2 émiratie).
La présidence a été confiée au natif de Châteauroux et ex-présentateur du « Grand Journal » de Canal+, Michel Denisot, qui avait déjà été à la tête du club à deux reprises (entre 1989 et 1991; puis entre 2002 et 2008). Côté sportif, Marco Simone a été annoncé pour reprendre la casquette d’entraîneur. Pour autant, comment interpréter ce rachat ?
Abdullah bin Mossad, un prince naufragé dans le Berry
Abdullah bin Mossad n’est autre que le petit-fils du fondateur de l’Arabie Saoudite, Abdelaziz ibn Saoud. Rien que ça. Dans les années 1990, bin Mossad acquiert une véritable fortune grâce à son entreprise de papier au rayonnement international. Par la suite, l’homme d’affaires va diversifier ses activités, lui conférant une fortune personnelle estimée à 200 millions d’euros. Il a également intégré le gouvernement saoudien entre 2014 et 2017, demeurant à la tête de la protection de la jeunesse. Mossad investit aussi massivement dans le domaine du sport, avec une entreprise de remise en forme et une académie de natation toutes deux basées à Riyad. Il possède également une ligue de baseball indépendante dans la banlieue de Détroit. Néanmoins, c’est sur le football que le businessman va jeter son dévolu.
→ À LIRE AUSSI Foot allemand. Dietmar Hopp, symbole du rejet du foot business malgré lui
En 2013, il parvient à acquérir 50% des parts de Sheffield United (alors pensionnaire de troisième division anglaise) contre seulement une livre symbolique. Après un bras de fer judiciaire l’opposant à Kevin McCabe (le détenteur de l’autre moitié du club), Abdullah bin Mossad acquiert la totalité des parts en 2019 contre seulement 5,6 millions d’euros. Le Saoudien était déjà détenteur du club d’Al Halali United, et en 2018, son groupe, World United, s’offre une nouvelle équipe avec Beerschot (alors en D2 belge). L’année dernière, ce même groupe acquiert un club de deuxième division indienne: le Kerala FC. La Berrichonne de Châteauroux devient donc la cinquième équipe du World United Group, qui adopte une stratégie de groupement de clubs.
La stratégie de réseau de United World
La stratégie de groupement de clubs adoptée par United World Group consiste à mettre en place des liens privilégiés entre les différentes équipes de son réseau. Il s’agit donc pour ces clubs, de niveau variable et évoluant dans des championnats différents, d’entretenir des passerelles les uns avec les autres. Cela passe notamment par une politique d’échange de jeunes talents, afin de leur offrir le club leur permettant de se développer au mieux. Ainsi, il paraît logique que ces groupes s’accaparent des équipes aux niveaux modestes.
Cette stratégie de groupement de clubs sous une même entité conglomérale s’est peu à peu développée au prisme du temps dans le monde du football. Outre l’écosystème United World, il existe un certain nombre de grands groupements de clubs, le plus puissant demeurant le City Football Group à la tête de 10 écuries à travers le monde. Il est aussi possible de citer l’AS Monaco, qui fait partie d’un réseau similaire comprenant le Cercle de Bruges, ou encore le groupe Red Bull (composé du RB Leipzig et du RB Salzbourg). Mais peut être également cité Ineos, entreprise initialement basée sur l’industrie pharmaceutique qui a investi le monde du football depuis peu en acquérant Lausanne Sport et l’OGC Nice.
→ À LIRE AUSSI City Football Group, quand foot et business s’entrechoquent
Les résultats sportifs des équipes faisant partie de ces groupes varient énormément. Mais, pour un modeste club à l’instar de Châteauroux, cela peut être l’occasion de recevoir un appui financier non négligeable, mais aussi de pouvoir se doter de jeunes joueurs talentueux désireux de trouver du temps de jeu. A terme, la Berrichonne pourrait devenir un vivier de jeunes talents promis à se développer au sein du réseau de World United.
Une nouvelle organisation pour tenter de sauver Châteauroux de la relégation
Actuellement, la Berrichonne de Châteauroux est bonne dernière de Ligue 2, à 8 points du premier barragiste. La dernière victoire en championnat du club remonte à fin novembre et depuis le début de la saison le niveau de jeu affiché est très préoccupant. Pour autant, cela n’a pas empêché Abdullah bin Mossad de racheter Châteauroux, principalement car son groupe avait la volonté d’ajouter un club français à son réseau. Lors d’un communiqué officiel, un responsable haut placé de World United justifiait ce choix:
La décision d’investir en France est logique compte tenu de son développement et de sa qualité de niveau de jeu au cours des dix dernières années. La France a façonné sa réputation comme étant l’une des plus grandes, sinon la plus grande, fabrique de talents du monde entier. »
Al Ghamdi, membre du nouveau conseil d’administration de Châteauroux et PDG de United World
Pour mener à bien ce projet, un nouvel organigramme a été mis en place: Michel Denisot retrouve la présidence du club, tandis que la totalité de l’ex-conseil d’administration a laissé la main à plusieurs dirigeants de United World. En parallèle, Châteauroux enregistre le retour de Patrick Trotignon, qui avait fait partie de l’équipe dirigeante du club entre 1989 et 1997. Ce dernier a notamment participé à la remontée de la Berri en deuxième division (en 1993-1994) et en première division (en 1996-1997).
🇮🇹 Bilan de Marco Simone, possible futur coach de Châteauroux
🇲🇦 SC Chabab : 110 jours
🇹🇭 Ratchaburi FC : 114 jours
🇹🇳 Club Africain : 131 jours
🇨🇵 Stade Lavallois : 154 jours
🇨🇵 Tours FC : 365 jours
🇨🇭 Lausanne-Sport : 162 jours
🇨🇵 AS Monaco : 250 jours— Cultifoot (@Cultifoot) March 7, 2021
Trotignon est aussi un grand artisan de la création du centre de formation, qui a notamment accueilli un certain Florent Malouda en 1993. Sa prise de fonction ne sera cependant effective qu’à l’issue de la saison, étant encore engagé à la présidence d’Evian Thonon Gaillard. Le poste de directeur sportif a quant à lui été confié au Belge Jan Van Winckel, directeur technique de United World et ancien bras droit de Marcelo Bielsa lors de son passage à l’OM. Marco Simeone a pris la succession de Benoît Cauet sur le banc.
Denisot, grand optimiste de la réussite du projet United World
Lors d’une interview accordée au Berry Républicain le 10 mars dernier, Michel Denisot, le nouveau président de Châteauroux n’a pas caché son enthousiasme: « La moitié des clubs de Ligue 2 sont la propriété d’investisseurs étrangers, et comme par hasard, ces clubs sont dans la première moitié de tableau. On a une chance extraordinaire, je ne sais pas si tout le monde le mesure vraiment. » L’ex-présentateur télé a aussi cherché à rassurer ceux qui voient en ce rachat une appropriation d’un club historique français par un groupe étranger ne cherchant que la rentabilité.
La stratégie de World United c’est de garder les gens en place. On garde nos valeurs, notre identité et il y a une énorme plus value avec tout ce que les repreneurs apportent, notamment une sécurité financière. (…) On a un mode de fonctionnement clair: United décide mais en cas de désaccord sur le sportif on garde la main. »
Michel Denisot, tentant de rassurer les plus sceptiques au sujet du rachat de la Berrichonne de Châteauroux par World United
Ce rachat ne fait donc par de la Berri la « chose » de United World. Le rôle du groupe n’est pas d’intervenir de manière directe d’un point de vue sportif, mais de déléguer au maximum tout en veillant à conserver l’intégrité de son réseau de clubs. De plus, le fait d’avoir positionné à des places importantes (présidence et direction générale) des anciens rassure, notamment les supporters.
Des limites évidentes à court terme, des possibilités à moyen terme
Le projet la Berrichonne de Châteauroux x World United a de grandes chances d’être ralenti par la très probable relégation de Châteauroux en National, ce qui lui ferait perdre son statut professionnel. Pour Denisot, c’est une donnée « qu’il faut envisager sérieusement » et que les repreneurs ont parfaitement assimilée.
→ À LIRE AUSSI REPORTAGE. Neymar, reflet de la décadente diplomatie sportive du Qatar
Plus largement, ce rachat de Châteauroux permet d’inscrire le club dans une nouvelle ère, sans pour autant tout chambouler. La stratégie de réseau de clubs peut lui permettre d’étoffer son effectif de jeunes talents pour, à terme, devenir un acteur important dans la formation en France. La nouvelle organisation intègre également des personnalités locales, qui ont déjà su réaliser des choses intéressantes par le passé. Ce projet s’inscrit sur le moyen terme, à l’horizon 2025-2026, avec la volonté de faire revenir la Berrichonne de Châteauroux en Ligue 1. Reste que le club est, pour le moment, presque condamner à l’amateurisme en troisième division la saison prochaine. La tâche s’annonce délicate.