A peine le temps de se remettre des émotions d’USA/Iran (voir la première partie) qu’arrive une autre cerise sur le gâteau: un match de l’équipe de France. Il s’agissait d’affronter le Danemark pour ce qui s’est transformé en « match des coiffeurs » vu que les deux équipes étaient déjà qualifiées pour les huitièmes de finale avant de se rencontrer. Mais forcément quand on sait ce qu’il est advenu ensuite du destin des Bleus, chaque souvenir prend un relief particulier !
Ce match c’est déjà l’occasion d’accueillir le boss, désormais seul aux commandes de l’organisation, Michel Platini. Mission: aller le chercher à l’aéroport et le déposer à l’hôtel Sofitel sur les quais du Rhône avant qu’il n’assiste au match. Étonnant personnage, à la fois grand stratège politique, à l’image du joueur fabuleux qu’il était, et grand enfant amoureux du jeu, toujours prêt à s’enthousiasmer. Dans le hall de l’hôtel passe un quadragénaire assez massif qui le salue amicalement en italien. Sitôt celui-ci monté dans l’ascenseur, Platoche espiègle nous demande: « Vous le reconnaissez ? » Comme nous séchons, il nous lance fier de son effet: « C’est le bison, Preben Elkjær-Larsen ! » [1]
La veille, la réunion FIFA qui fixe tout le protocole est l’occasion de rencontrer l’arbitre du match le légendaire Pierluigi Collina qui est fidèle à l’image qu’il donnait à l’écran, très affable et blagueur. Ce même jour, l’entraînement des Bleus sera un moment plus qu’étonnant car Aimé Jacquet exige très fermement un huis clos total. Il apparaît tendu ou extrêmement concentré au choix. Exit tous les volontaires du CFO qui se faisaient une joie d’assister à la séance et dont la déception fut terrible à voir, des cris, quelques pleurs mais les consignes sont intransigeantes, nous voilà même à courser les motards de l’escorte des Bleus qui s’étaient installés en tribune !
Le plus beau plat du pied de ma vie
Pour ma plus grande joie, je passe à travers les gouttes et demeure sur la pelouse avec mon Général. Et soudain voir sortir du tunnel ces joueurs admirés et qui seront divinisés 3 semaines après, c’est fort. Quelques bribes de conversations saisies au passage comme Marcel Dessailly qui montre à Didier Deschamps les virages: « Tu vois c’est çà qu’ils auraient du faire à Marseille ! », ou Bixente Lizarazu qui me lance un « Bonjour ». La simplicité, la classe. Comme celle de Laurent Blanc qui s’entraîne à l’écart avec les remplaçants de luxe, DD et Liza, dans un petit jeu de passes. Une mal assurée qui arrive sur moi et là je sors le plus beau plat du pied de ma vie pour lui renvoyer le ballon ! Et le Président de me lancer un « Merci ! » De simples petits mots qui vous classent des hommes, 20 ans après mon respect est encore plus grand envers eux. Bonjour, merci, la base, la vie…
Après l’entraînement, à la sortie des vestiaires, les volontaires massés tentent désespérément de franchir la haie que nous constituons avec les agents du RAID chargés de la protection rapprochée des Bleus. Pour beaucoup qui ont pris des congés juste pour donner de leur temps à l’organisation, la pilule est amère à avaler et ils tentent de nous apitoyer; on les connaît tous, ce sont des compagnons d’aventure durant ce mois de compétition… Il existe parfois des consignes peu agréables à respecter, mais ce sont certains joueurs qui vont nous aider en se dirigeant spontanément vers eux. Merci à Christian Karembeu notamment et Youri Djorkaeff auxquels je me souviens avoir prêté mon épaule pour signer quelques autographes, autre grand souvenir.
Nous aurons aussi la chance d’accueillir pour cette rencontre le Président de la République, Jacques Chirac qui était exactement le même que celui qu’on voyait à l’écran. La CX présidentielle n’était même pas encore arrêtée en bas du tapis rouge qu’il avait déjà sorti un pied de la voiture. Et grand moment de solitude quand il monte l’escalier et que je me trouve placé juste derrière le cameraman et donc obligé de monter les marches de concert avec ce dernier, impossible de couper le champ et d’accéder au Président. Comme il y a un bon dieu pour les insouciants, il me tendra la main juste avant de pénétrer dans la tribune présidentielle, cette poignée de main j’y tenais et j’en suis fier.
Conscience collective et folklore
Par la suite, le dernier match de poule que nous accueillerons à Lyon, Japon/Jamaïque, sera une sorte de parenthèse irréelle, un match folklorique un peu suranné. Deux images chocs me resteront comme le symbole de ce que doit être un Mondial: festif et respectueux. Côté japonais: ces centaines de supporters qui, sitôt la rencontre terminée, sortent des sacs poubelles de leurs poches et se mettent à nettoyer les gradins ! Une claque dans nos mauvaises consciences d’Occidentaux… Et puis côté jamaïcain cet entraînement la veille où l’on entend de drôles de bruits provenant du stade. Nous nous approchons de la pelouse et là nous restons soufflés. Les « Reggae Boyz » en guise d’exercice sont tous en train de faire une farandole en chantant, dansant et tapant dans leurs mains. Certainement l’entraînement le plus improbable de l’histoire de la Coupe du monde !
Après la joie de vivre, passons aux affaires très sérieuses avec le quart de finale qui se profile à l’horizon. Le sulfureux Allemagne/Angleterre tant redouté a laissé la place à un Allemagne/Croatie qui ne sera pas moins bouillant. Si les supporters croates sont parmi les plus chauds en Europe, alors que nous sommes à peine sortis du terrible conflit qui venait d’embraser les Balkans, la sélection est l’une des plus agréables de la compétition. Cornaqué par l’affable Miroslav Blažević, elle arrive à être très compétitive sur le terrain tout en étant décontractée en coulisses. Les Jarni, Suker, Asanovic, Prosinecki, Boban entretiennent un bon esprit chez les joueurs au maillot à damiers rouge et blanc. Et même une star comme Alen Bokšić, forfait pour la compétition, a tenu à être présente et la veille du match il vient après l’entraînement dans le stade pour saluer ses coéquipiers. Moment sympa que de l’accompagner jusque dans le vestiaire et d’échanger quelques mots sur le match, il y croit mais ce sera difficile me dit-il. Le lendemain un de ces instants de fierté magique: sur les escaliers menant à la tribune officielle du stade je suis en train d’accueillir un officiel quand Bokšić arrive et passe dans mon dos, ne l’ayant pas vu il me donne une petite tape sur l’épaule puis une accolade sympa. Les amis en bas de l’escalier qui bavent: « L’autre t’as vu avec Bokšić !!! »
CRS
L’occasion aussi de recevoir le Chancelier allemand Helmut Kohl et le Président croate Franjo Tuđman. Le match se déroula dans une ambiance volcanique. La surprise sportive tout d’abord avec l’élimination de la Mannschaft par une superbe équipe croate. Une forte tension régnait sur le terrain, dans les couloirs menant au vestiaire il y eut d’ailleurs un incident assez violent entre Oliver Bierhoff et Zvonimir Boban, 2 beaux bébés avouez-le ! Tensions dans les tribunes aussi avec ce virage rempli de supporters croates bouillantissimes qui menaçaient de déborder sur la pelouse à n’importe quel moment. Le préfet de police de Lyon qui suivait l’évolution dans le PC sécurité du stade était assez inquiet et il a ordonné aux CRS de se déployer le long du virage, face aux supporters croates, avant même la fin du match ! Ce qui a donné cette image insolite de policiers casqués derrière les buts alors que théoriquement ils ne devaient pas pénétrer sur le terrain, ce fut d’ailleurs le seul match du Mondial 98 où l’on assistât à un tel déploiement de forces dans l’enceinte même du stade !
Le rideau venait donc de tomber sur notre Mondial lyonnais: 6 matches, 6 incroyables émotions sportives et humaines. Mais il nous restait un dernier acte à accomplir, la France ayant eu le bonheur d’éliminer les croates en demi-finale. Tous les membres permanents du CFO furent invités à assister à ce qui allait devenir un évènement tellement fabuleux que 20 ans après nous en sommes à le célébrer. L’étoile conquise ce soir-là par les hommes de Mémé et de DD se retrouvera dans les yeux de plusieurs générations d’enfants qui sont nés et ont grandi avec cette légende.
Nous voilà donc assis dans ce Stade de France flambant neuf, qui nous écrase par son gigantisme et étonne par sa forme futuriste, une sorte de soucoupe volante posée sur un coin de Saint Denis. Premier moment intense avec les hymnes. Jusqu’à présent on était dans l’action, on ne réalisait pas trop, mais d’un seul coup l’immensité du moment, de l’obstacle qui attend les Bleus, nous saisit et là on se rend compte que c’est la finale de la Coupe du monde face au monstre brésilien et à Ronaldo… et on se fait tous petits. A vrai dire on s’attend à recevoir une leçon de football et quand la Marseillaise retentit on se prend par les épaules pour se resserrer encore plus face à l’adversité et l’émotion monte, vous noue l’estomac, les yeux sont embués, que c’est beau un stade qui chante à l’unisson comme pour conjurer une grande frousse.
Anecdote inédite
Le match en lui-même se déroule comme dans un rêve, nous sommes placés derrière les buts de Taffarel en première mi-temps, vous savez l’endroit où un certain Monsieur a placé 2 têtes dans les filets ! Le Karma me direz-vous, se trouver là au bon endroit, au bon moment. En seconde période on ne tremble que très légèrement après l’expulsion de Marcel Dessaily, mais Fabien Barthez veille au grain et n’hésites pas à tamponner sous nos yeux un Ronaldo léthargique (nous n’apprendrons qu’ensuite l’étrange mal dont il a souffert ce jour-là).
Une anecdote originale sur cette finale dont personne n’a jamais parlé; les Bleus sont en infériorité numérique et tentent de gagner du temps pour ne pas encaisser un but qui relancerait les Brésiliens. L’attaquant puissant et teigneux Edmundo est entré en jeu pour apporter un danger offensif supplémentaire et sur un ballon qu’il disputait et qui sort en 6 mètres, un incident se produit. Le jeune ramasseur de balle qui se trouve à la gauche du but gardé par Fabien Barthez tarde à redonner le ballon, voulant sans doute participer à la manœuvre d’endormissement de l’équipe brésilienne. Le sanguin Edmundo tente alors de le lui arracher des mains, le gardien français, qui n’est pas en reste niveau tempérament, s’interpose pour protéger le garçon et un début d’échauffourée s’ensuit… La même mésaventure se produira en 2013 pour Eden Hazard lors d’un match à Swansea: un accrochage avec un ramasseur de balle qui lui vaudra une suspension. J’avais d’ailleurs été étonné que personne ne fasse le rapprochement avec 98 et pour cause; la séquence lors de la finale n’a pas été filmée comme j’ai pu m’en rendre compte en revoyant le match ensuite. Personne n’avait donc pu la voir sauf les spectateurs placés derrière de but !
Et au coup de sifflet final la délivrance, l’explosion, le reste appartient à l’Histoire désormais. S’il fallait ne garder qu’une seule sensation physique de cette finale ce serait lors de la remise de la coupe aux Bleus. Quand DD a levé le trophée, la sono a craché la musique de Star Wars et des milliers de flashes ont crépité, et au vu de la forme elliptique du Stade de France et des vibrations incroyables du sol sous nos pieds, nous avons tous eu l’impression que la stade allait décoller, c’était saisissant !
Sur cette nuit étoilée du 12 au 13 juillet 1998, il est temps de refermer le livre des souvenirs. Sur le moment, pris dans l’ambiance, nous n’avions pas vraiment mesuré la portée de cette victoire. Mais peu à peu, sur le chemin du retour, dans les gares en prenant le TGV pour Lyon, des gens se présentent spontanément car ils voient le logo France 98 et nous remercient. Une dernière image; arrivés à Perrache, un pont à traverser pour enjamber le Rhône, le silence au bout de la nuit qui contraste avec la folie du Stade de France. Nous croisons le seul véhicule qui circule, une benne à ordures ménagères, son équipage klaxonne et nous salue en poussant des cris de joie: « On a gagné, on a gagné » ! C’était vraiment beau un monde qui jouait…
[1] Attaquant international danois qui fut un adversaire redoutable du français tant en Serie A avec l’Hellas Vérone (champion en 1985) qu’en sélection, notamment à l’Euro 84 (demi-finaliste), il termina second du Ballon d’Or 1985 derrière… Michel Platini !
Crédits photo à la Une: korobokkuru