Au terme d’une saison 2016-2017 délicate, le SC Bastia est rétrogradé en National 3 par la DNCG à cause de ses finances calamiteuses. Désormais leader du championnat de National 1, le club a su renaître de ses cendres et devrait renouer avec le professionnalisme dès la saison prochaine. Dossier.
Jamais, dans l’histoire du football français, un club n’était passé d’un coup de la première à la cinquième division. Depuis, le SC Bastia s’est restructuré en profondeur et peut espérer un retour en professionnel dès le mois d’août. Analyse de la chute puis de la renaissance d’un club décidément pas comme les autres.
2016-2017, une saison noire pour le SC Bastia
C’est d’abord sur les terrains que le cauchemar débute pour le Sporting Club de Bastia. Les trois premières journées de la saison 2016-2017 de Ligue 1, qui se soldent par trois défaites d’affilée, laissent déjà entrevoir une grande faiblesse au sein de l’effectif du club. Ce dernier flirte très tôt avec la zone rouge, dans laquelle il finit par s’enliser à mesure que la saison avance. En parallèle de la friabilité sportive (notamment offensive, avec la plus faible attaque du championnat), le SCB enchaîne les polémiques extra sportives – avec notamment, la fameuse bagarre générale qui avait éclaté à Furiani en avril 2017 lors de la réception de Lyon. Ainsi, au terme de cette saison cauchemardesque, aussi bien sur le plan sportif qu’extra sportif, le SC Bastia fait office de lanterne rouge. Toutefois, le pire reste encore à venir pour les Corses.
Les difficultés financières du club, alors dirigé par Pierre Marie Geronimi, n’ont cessé de préoccuper les supporters bastiais au cours de cette saison. Dès le mois de février 2017, un mouvement populaire (Populu Turchinu) s’était organisé pour protester contre la mauvaise gestion du club. L’objectif était d’alerter les dirigeants sur la situation préoccupante des finances, et de protester contre leur manque de transparence concernant les rumeurs à propos d’éventuels repreneurs.
Très vite, les premiers doutes
Gilles Secchi, l’un des fondateurs du mouvement, avouait aux micros de So Foot en février 2017 son inquiétude et son exaspération: “C’est un cumul d’incohérence dans leur gestion qui nous fatigue. Ce qu’on demande, c’est qu’ils nous donnent les chiffres pour un éventuel repreneur. L’objectif c’est qu’ils assument leurs erreurs. […] Là, ils ne s’inquiètent pas, mais il le faut, sinon on va se retrouver en L2”. Secchi a donc eu le nez creux. Néanmoins, il ne s’attendait sans doute pas à ce que ses prévisions les plus pessimistes soient dépassées par la réalité.
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Car en effet, le 10 mai 2017, Corse Matin révèle que le président du Sporting Club de Bastia est “mis en examen et placé sous contrôle judiciaire assorti de plusieurs contraintes dont l’interdiction de gérer son entreprise, pour abus de biens sociaux.” Au mois de juin de la même année, Geronimi est également accusé d’avoir utilisé les fonds privés d’une société pour régler ses dettes de jeu s’élevant à plus de 500 000 euros. L’ancien président est alors condamné à 2 ans de prison avec sursis avec interdiction de gérer une société pendant au moins 5 ans. La fin du supplice pour le SC Bastia ? Pas du tout.
Le projet de reprise du Sporting Club de Bastia avorté
Le 22 juin, la DNCG annonce que les garanties financières avancées par le club ne lui permettent pas de rejoindre la Ligue 2. Bastia est ainsi relégué en National, ce qui fait perdre au club son statut professionnel, une première depuis 1965. Face à cette crise, une lueur d’espoir émane d’un projet de reprise par un groupe de dix personnalités issues de l’île (comme Frédéric Antonetti ou Pierre Noël Luiggi, à la tête d’Oscaro) prêts à investir des fonds personnels dans le club. Leur projet était de remonter dans l’élite sous 5 ans, avec la volonté d’intégrer les membres des socios au sein du conseil d’administration.
Le projet semblait sur le point d’être finalisé, comme l’annonçait l’un des repreneurs potentiels à la mi-août: “Nous prendrons le contrôle de l’association dans les prochaines 48 heures pour ensuite travailler sur le projet ambitieux que nous envisageons sur 5 ans.” Néanmoins, 3 jours après cette déclaration, le groupe publie un communiqué où il révèle que le projet est abandonné: “Nous voilà contraints de renoncer au projet de reprise de l’association […] Le manque de volonté sérieuse de passer la main et l’absence de sincérité des dirigeants sur la situation réelle du club.” Coup de tonnerre.
Le club de Haute-Corse, privé de ses repreneurs, est ainsi obligé de déposer le bilan et se voit rétrogradé en National 3. Historique. Jamais dans l’histoire du championnat de France, un club n’était passé de la première à la cinquième division. Et pour beaucoup, cette descente fulgurante marquait la mort du Sporting Club de Bastia.
La folle aventure humaine et sportive du SC Bastia
Le 17 août, le SC Bastia dévoilait dans un communiqué le nouvel organigramme du club: Claude Ferrandi, à la tête du groupe Ferrandi, spécialisé dans la vente de fioul et de carburant, était désigné président. Ses deux frères, Henri et Gilbert, étaient également intégrés au projet, tandis que Pierre Noël Luiggi endossait la casquette de vice-président. Une base solide, comprenant certains membres des 10 investisseurs potentiels évoqués précédemment.
Dans le même temps, la grande majorité de l’effectif qui avait évolué sous les couleurs du Sporting en Ligue 1 la saison précédente a quitté le navire. Toutefois, plusieurs joueurs ont décidé de rester afin d’aider le SCB dans cette nouvelle aventure. Parmi eux, Gilles Cioni et Anthony Salis, tous deux encore joueurs au club aujourd’hui et qui font figure d’une fidélité à toute épreuve. Anthony Squillaci et Ismael Chester Diallo, sont aussi restés lors de la première saison de Bastia en N3.
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— SC Bastia (@SCBastia) February 8, 2021
Néanmoins, malgré l’aide de ces piliers, le club corse n’est pas parvenu à remonter en N2 à l’issue de la saison 2017-2018. Toutefois, la seconde saison en cinquième division sera la bonne et verra le SC Bastia survoler son groupe et terminer en tête du championnat, avec 17 longueurs d’avance sur son dauphin. L’année suivante, rebelote: les Bastiais finissent en tête de leur groupe de N2, les propulsant en National 1. Cette ascension sur le plan sportif s’accompagne, au printemps 2019, d’une restructuration interne du club.
Une restructuration novatrice et intelligente autour d’une SCIC
L’actualité financière est faite de rebondissements quasi-quotidiens, au fur et à mesure de la fluctuation des cours des bourses mondiales. Cependant, la finance ne se limite pas à cela: l’époque contemporaine est synonyme d’un renouvellement des pratiques. En ce sens, le 9 mai 2019, le Sporting fait la Une de l’actualité puisque, dans un communiqué, le club annonce qu’il se restructure sous la forme d’une SCIC (une société coopérative d’intérêts collectifs). Pour faire simple, le club explique qu’il s’agit d’une « Société coopérative avec pour objet l’intérêt collectif en ayant un mode de fonctionnement coopératif (1 personne = 1 voix en Assemblée Générale). […] Elle est composée de 5 collèges représentants les différentes composantes du club: fondateurs, acteurs économiques, supporters, salariés et anciens salariés, collectivités. »
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Pour ce qui est de la gouvernance effective, le communiqué dévoile que ce sont « 2 organes principaux [qui] dirigent la SCIC. Un Conseil d’administration composé de 10 représentants issus des collèges qui assurent la gestion du club, ainsi qu’une assemblée générale annuelle ou chaque personne pourra voter sur un certain nombre de sujets importants pour le club. » Enfin, ces 5 collèges qui gèrent le capital et la gouvernance se répartissent les votes de la manière suivante: les Fondateurs (les familles Ferrandi et Luiggi) détiennent 38% des droit de vote, 20% reviennent aux supporters, 22% aux acteurs économiques, 22% aux salariés du clubs et anciens salariés et 10% aux collectivités.
Jamais un club de football n’avait opté pour un tel modèle économique. Le Sporting cherche ainsi à se développer en étroite collaboration avec ceux qui font vivre le club au quotidien. Mais il cherche aussi à intégrer toute personne ou organisme voulant contribuer à la pérennité du projet bastiais.
« C’est une nouvelle étape dans l’histoire du Sporting. Beaucoup de choses ont été faîtes depuis 2017. Aujourd’hui, nous sommes dans la continuité de ce travail avec une dimension supplémentaire. Nous avons désormais une gouvernance innovante et partagée. Tout le monde a hâte de se mettre au travail pour ramener le club à la place à laquelle il doit être. »
Mathieu Chabert, l’un des représentants du collège de supporters du SC Bastia
Le 31 janvier 2020, l’Assemblée générale constitutive de la SCIC SCB désigne son premier conseil d’administration, plaçant officiellement le projet sur les rails. « Il s’agit d’une date historique pour le club et d’une étape déterminante dans sa reconstruction » expliquait le communiqué annonçant la nouvelle. « Le Sporting Club de Bastia entre désormais dans une nouvelle ère en ouvrant son capital et sa gouvernance à l’ensemble du peuple bleu. Une nouvelle étape pour notre club qui s’annonce déterminante pour sa reconstruction. » Cette restructuration est également une grande victoire pour les supporters du Sporting qui entrent pour la première fois dans le conseil d’administration du club.
Bastia en Ligue 2 dès la saison prochaine ?
Ainsi, le SCB a su se repenser et se restructurer en profondeur après les nombreuses crises qu’il a traversées. Aujourd’hui, le club domine la National 1 et peut entretenir de solides espoirs d’une remontée en Ligue 2 BKT (et donc au niveau professionnel) dès la saison prochaine. Néanmoins, cela n’empêche pas Ferrandi d’être modéré quant à un potentiel retour en L2 dès le mois d’août prochain.
« Dans notre projet, y compris en ce début de saison, la montée n’était pas dans les objectifs. On est dans une position, comment dire… flatteuse ! » tempérait-il aux micros de Corse Matin le 30 janvier dernier. Toutefois, il ne cache pas que l’ambition du club est de remonter en professionnel: « On se prépare pour avoir les épaules et accueillir un statut professionnel, si ce n’est pas cette année, ce sera l’année prochaine. C’est une révolution de passer pro. On ne se prend pas pour ce qu’on n’est pas. » Un discours empli de leçons du passé avec une volonté de stabilité pour l’avenir.