Froid, pluie, boue… le Paris-Roubaix 1994 est l’un des plus durs auxquels on ait jamais assisté. Jamais peut-être l’Enfer du Nord n’a aussi bien porté son nom. Course spectaculaire et riche en rebondissements, elle fut marquée par de nombreux abandons, par la victoire magistrale d’Andreï Tchmil, et par la course infernale de Gilbert Duclos-Lassalle.
Paris-Roubaix 1994, le plus difficile de l’histoire ?
La prestation de Lubos Lom résume à elle seule la difficulté de ce Paris-Roubaix 1994. Le Tchèque est en effet le premier à tenter une échappée dès les premiers kilomètres, alors que la neige tombe sporadiquement. Cette échappée durera 137 kilomètres et fait de lui le premier à entrer dans les secteurs pavés. Seulement, Lom est frigorifié et doit s’arrêter à un point de ravitaillement près de Solesmes pour se réchauffer. Rappelons qu’il ne fait que 2 degrés. Lom repart tout de même mais doit abandonner peu après, épuisé.
Les conditions climatiques opèrent une rude sélection au sein du peloton qui fond à vue d’œil. Il ne s’agit pas seulement des conditions présentes, mais aussi de la mauvaise météo des jours précédents. En effet, on s’attendait à une course dantesque car la pluie a rendu les secteurs pavés boueux. Certains secteurs sont si dangereux que les voitures des directeurs sportifs n’ont pas toujours l’autorisation d’y accéder. On dénombre donc beaucoup d’abandons, et pas des moindres. Marc Madiot par exemple, qui disputait son dernier Paris-Roubaix, abandonne suite à une chute où il se fracture le trochanter. En arrivant à la trouée d’Arenberg, le groupe de tête n’est plus que d’une vingtaine d’hommes, dont les principaux favoris.
Paris-Roubaix 1994: le triomphe d’Andreï Tchmil
C’est donc un Paris-Roubaix particulièrement sélectif qu’Andreï Tchmil va remporter. De plus, il n’affronte pas que des conditions apocalyptiques. Le plateau de cette édition est particulièrement relevé, avec beaucoup de spécialistes. Il y a d’abord Gilbert Duclos-Lassalle qui lorgne sur une troisième victoire d’affilée à 39 ans. Ensuite, Franco Ballerini a particulièrement envie d’en découdre après son échec sur la ligne d’arrivée pour 8 centimètres l’année précédente. Parmi les favoris se trouve aussi Johan Museeuw.
La première marche de la victoire d’Andreï Tchmil est la tranchée de Wallers-Arenberg, qui fut le théâtre d’un véritable chaos. Les chutes explosent le peloton, Duclos-Lassalle et Ballerini sont relégués à respectivement 1min et 2min30. Seule une poignée de coureurs émerge de ce carnage, dont Tchmil et Museeuw, et forme un petit groupe de tête. Une dizaine de kilomètres après, ce groupe rejoint Bruno Boscardin qui était seul en tête.
Une victoire en solitaire
Au sein du groupe, Museeuw ne collabore pas et ne prend pas les relais, ce qui agace passablement Tchmil. Une alliance se noue alors entre ce dernier et Ballerini (qui a réintégré difficilement le groupe) qui acceptent de ne pas courir l’un contre l’autre. Finalement, à 60 kilomètres de l’arrivée, Tchmil attaque et part seul. Conformément à leur accord, Ballerini ne contre pas. Museeuw ne suit pas non plus, soucieux de s’économiser.
Tchmil est désormais en route pour la victoire. Ses adversaires sont éliminés un par un. Duclos-Lassalle et Ballerini sont victimes d’une crevaison, on y reviendra. Baldato subit un incident mécanique et seul Museew fait encore durer le suspense. Unique poursuivant, il s’approche un temps à une centaine de mètres de Tchmil avant d’être à son tour victime d’un problème de dérailleur à Cysoing. Plus rien ne pourra arrêter Tchmil. Il franchit la ligne d’arrivée après 7h28 de selle, tandis qu’il recommence à pleuvoir sur le vélodrome.
Paris-Roubaix 1994: Gilbert Duclos-Lassalle ne lâche rien
Impossible de parler de cette édition sans parler de Gilbert Duclos-Lassalle. Sa course est une chasse permanente pour revenir en tête. Vainqueur les deux années précédentes, il veut rééditer l’exploit mais le sort s’acharne contre lui. Il fait d’abord partie des perdants à Arenberg où il percute un spectateur et casse sa roue. Ballerini aussi d’ailleurs décroche, encore plus loin. Les deux hommes font une première remontée coûteuse en efforts et recollent finalement au groupe Tchmil. Une fois de retour, la chute de Capiot fait à nouveau perdre du temps à Duclos. Il doit à nouveau lutter pour revenir.
Mais le moment le plus marquant reste le secteur pavé de Vendeville, où Duclos-Lassalle et Ballerini subissent une crevaison simultanément, alors que les voitures interdites de passage ne peuvent les assister.
Il s’ensuit pour eux une course folle dans les derniers kilomètres. Duclos-Lassalle et Ballerini, les deux ennemis de l’édition précédente, coopèrent et remontent ensemble vers la tête de course. Le duo reprend un à un les coureurs décrochés jusqu’à former un groupe de poursuivants conséquent. Ils parviennent finalement à recoller au groupe Baldato… Le plus incroyable est qu’après tout cela, le podium reste jouable pour Duclos-Lassalle, ce qui est une performance en soi. Ce dernier a toujours réussi à revenir malgré les évènements… Ce sont pourtant Baldato et Ballerini qui complètent le podium, tandis que Duclos-Lassalle arrive seulement septième. Cependant, cette course et l’acharnement indéfectible dont a fait preuve « Gibus » dans des circonstances difficiles ont peut-être autant de valeur, sinon plus, que ses deux précédentes victoires dans l’Enfer du Nord.
Crédits photo à la Une: tetedelacourse