Le Tour de France 2020 a livré un final retentissant en sacrant, au sommet de la Planche des Belles Filles, le jeune slovène de 21 ans Tadej Pogacar. Après avoir dominé les trois semaines de course, la Jumbo-Visma et son leader Primoz Roglic sont tombés de haut. Bilan.
Pogacar, l’ombre d’un doute
Nous l’avions laissé au soir de la première semaine juste après sa première victoire sur le Tour, à Laruns, devant son compatriote Primoz Roglic. Il apparaissait alors difficile d’imaginer que le jeune leader du team UAE allait rééditer cela mais au classement général cette fois-ci. Et pourtant… Hier, sur les Champs-Elysées, il a gravi la plus haute marche du podium acquise la veille lors du contre-la-montre décisif menant les coureurs au sommet de la Planche des Belles Filles. Il avait 57 secondes de retard sur Roglic, il en avait 59 d’avance après un effort surhumain qui a laissé pantois.
Il faut dire qu’en mettant 1’21’’ à Tom Dumoulin et Richie Porte (qui finit troisième du général, son premier podium sur un Grand Tour), deux des meilleurs rouleurs du peloton des grimpeurs, en plaçant Roglic à plus de deux minutes, Pogacar a produit un exploit qui rappelle les heures les plus sombres du cyclisme. Il suffit même d’observer ses deux directeurs sportifs, Mauro Gianetti et Joxean Fernandez Matxin, pour avoir un petit doute et se rendre compte que des personnalités ayant participé à la trahison du cyclisme à la fin des années 1990 et au début des années 2000 ont toujours pignon sur rue au sein de ce milieu.
Une performance qui interroge
La régularité de Pogacar, au haut niveau pendant trois semaines, sans faiblesse, enchaînant les records d’ascension aux côtés de Roglic, a entraîné de premières suspicions dès les Pyrénées, confirmées par la victoire au Grand Colombier du désormais plus jeune vainqueur du Tour de l’après-guerre, le deuxième plus jeune au total. Sa performance à la Planche a transformé ses suspicions en un malaise chez les suiveurs qui ne s’est pas traduit dans le peloton professionnel, plutôt sonné par cette fin de Tour ahurissante.
Cet exploit a rappelé l’effort sur 30 kilomètres fourni par Riccardo Ricco lors de la 9e étape du Tour de France 2008 pour rattraper trois minutes sur l’homme de tête et s’imposer en solitaire. Quelques jours plus tard, Ricco fut contrôlé positif et son équipe quitta le Tour. C’était la Saunier-Duval, dirigée par… Gianetti et Matxin. Cela ne s’invente pas. Le malaise s’en retrouve d’autant plus grand que ce Tour 2020 peut très largement être considéré comme un des meilleurs crus de ce 21e siècle, ASO ayant réussi son pari de le décaler en septembre. Pogacar a gagné le Tour mais reste très loin d’avoir gagné les cœurs.
Aucune hiérarchie avant la Planche
Au moment d’aborder le redoutable Puy Mary, Roglic était déjà en jaune depuis quelques jours. Jamais cependant il n’a eu l’envie de creuser son écart. A la différence d’un Chris Froome qui marchait dès les premières étapes de montagne sur la concurrence, Roglic décidait de gérer et de ne pas écraser le Tour. La peur d’éveiller les soupçons ? Reste que sa stratégie fonctionnait. Porté par les relais de ses équipiers, dont l’ancien vainqueur du Giro Tom Dumoulin et Sepp Kuss, il pouvait se contenter de contenir les attaques et de placer la sienne dans le dernier kilomètre.
C’est ainsi qu’au Puy Mary, où Martinez avait devancé Kämna pour l’étape, sans trop forcer, il avait lâcher un à un des concurrents impuissants sauf… Tadej Pogacar, confirmant qu’il devenait au fil des jours le principal adversaire du dernier vainqueur de la Vuelta. On retrouvait donc le même schéma au Grand Colombier où Egan Bernal et Nairo Quintana s’écroulaient, lâchés par un relais de Wout Van Aert, jonglant entre ses différentes caractéristiques au fil des jours sans jamais connaître une seule défaillance. Après avoir vu un sprinteur-rouleur sortir du peloton quelques-uns des meilleurs grimpeurs de celui-ci, nous observions le sprint surpuissant de Pogacar qui levait les bras pour la deuxième fois du Tour.
Un doublé Ineos-Grenadiers remarqué
Les Alpes ont suivi le même rituel. Second malheureux au Puy Mary, Kämna se rattrapait mardi dernier à Villard-de-Lans où les favoris se préservaient en vue du terrible col de la Loze que Bernal, en perdition deux étapes de suite, n’a pas vu, préférant abandonner. Ce fameux col de la Loze a tenu toutes ses promesses, laissant les coureurs seuls face à leurs responsabilités, arrivant un à un au sommet, Miguel Angel Lopez étant le premier quelques hectomètres devant Roglic, lui-même possédant quelques longueurs d’avance sur Pogacar qui ne le lâchait alors pas.
La hiérarchie commençait à se dessiner sans pour autant définir des écarts importants. Lors de la dernière étape alpine arrivant à la Roche-sur-Foron, les Ineos-Grenadiers ont fait le spectacle, Kwiatkowski s’imposant devant son coéquipier Richard Carapaz, les deux terminant bras dessus, bras dessous. Derrière, le statu quo était de mise, Van Aert se permettant d’aller chercher la troisième place de l’étape. La suite, on la connaît et la raconter une fois suffit amplement.
Sagan bredouille, les baroudeurs à l’affiche
En neuf participations au Tour de France, Sagan a vu les Champs huit fois, dont sept fois en vert. La seule occasion pour laquelle il n’est pas arrivé sur la plus belle avenue du monde avec le maillot vert remonte à hier soir. Pour la première fois, Peter Sagan n’a pas terminé le Tour avec au moins une distinction. Longtemps placé, il n’a jamais levé les bras. Sans doute court physiquement, il a buté sur un excellent Sam Bennett, vainqueur de la dernière étape mais aussi à l’île de Ré. L’Irlandais n’a pas lâché le Slovaque même dans les échappées de ce dernier. Et même lorsque Bennett ne s’imposait pas, Sagan n’en profitait pas comme à Poitiers où Caleb Ewan prenait un deuxième bouquet sur ce Tour.
Le slovaque, toujours détenteur du nombre de victoires dans le classement par points (7 victoires en 2012, 2013, 2014, 2015, 2016, 2018 et 2019), s’est également cassé les dents sur un lecteur de course imparable, Soren Kragh Andersen de la formation Sunweb. Le danois a levé les bras deux fois, ce qui reste une performance rare pour un non-sprinteur et un non-grimpeur. Vainqueur à Lyon en surprenant les sprinteurs rescapés de la côte de la Croix-Rousse avec une attaque dans les tous derniers kilomètres, il a récidivé à Champagnole vendredi en s’extirpant à une quinzaine de kilomètres de l’arrivée d’une échappée royale composée notamment de Sagan, Bennett, Trentin, Naesen ou encore Van Avermaet.
La Sunweb a parfaitement bien manœuvré durant ce Tour de France par ailleurs. En plus des deux victoires d’Andersen, elle a pu compter sur l’activité de Marc Hirschi, très offensif, deuxième à Nice, troisième à Laruns et enfin vainqueur à Sarran lors de la 12e étape. Il termine par ailleurs super-combatif de cette Grande Boucle. La seule déception viendra sans doute des sprints ou Cees Bol n’a jamais réussi à profiter du train impérial de la Sunweb. Hirschi, Kämna, Martinez, Peters, Andersen, Lutsenko Kwiatkowski et Carapaz; les baroudeurs auront eu de nombreuses occasions de s’illustrer sur ces 21 étapes, rendant la course encore plus vivante qu’elle ne l’était déjà avec la bataille acharnée entre les favoris.
Crédits photo à la Une: Petar Milošević