VÉLO RÉTRO – Le Tour des Flandres, comme toutes les classiques, a donné lieu à des courses d’anthologie qui ont fait l’histoire du cyclisme, mais l’édition 1969 n’est pas qu’une course de légende: elle a aussi vu naître un mythe en la personne du jeune Eddy Merckx qui, du haut de ses vingt-quatre ans, a dominé ses rivaux avec un panache sidérant.
Tour des Flandres 1969: le jeune Eddy Merckx menace un plateau chauffé à blanc
En 1969 le Tour des Flandres n’a pas encore fêté ses 100 ans mais il est déjà culte, et cette édition de la classique s’annonce mémorable. La météo, d’abord, annonce une course très sélective: son vent glacial et sa pluie incessante mâtinée de neige fondue élimineront plus d’un coureur. Surtout, tous les cadors sont présents pour affronter ces conditions dantesques: le tenant du titre Walter Godefroot est là, ainsi que Felice Gimondi (quatrième en 1967), Marino Basso, Jan Janssen (troisième lors de la dernière édition) et Barry Hoban (cinquième en 1967). Sont présents également Franco Bitossi, Vittorio Adorni et Italo Zilioli, ainsi que Raymond Poulidor, Jacques Cadiou et Philippe Crépel. Mais surtout, Eddy Merckx sera l’élément perturbateur de poids qui marquera l’histoire de cette édition.
En 1969, ce dernier n’est pas encore la légende que nous connaissons, mais il domine déjà le peloton: à vingt-quatre ans, Eddy Merckx a obtenu un titre de champion du monde en 1967, a été vainqueur d’un Giro et d’un Paris-Roubaix en 1968. Quant à 1969, la saison semble partie pour être la plus réussie de sa carrière. Ainsi le jeune coureur inspire-t-il non seulement le respect, mais aussi l’inquiétude du peloton, voire un certain ressentiment, en particulier venant de ses vieux briscards de rivaux, agacés par tant de réussite. Le « patron » est attendu au tournant et il n’y aura pas de cadeaux… d’autant plus que personne n’ignore l’ambition vorace du Cannibale et que le Tour des Flandres manque encore à son palmarès.
Un écrémage impitoyable du peloton
Le premier coup de théâtre de ce Tour des Flandres est l’élimination prématurée de l’un des principaux favoris: Walter Godefroot. Celui-ci s’est malheureusement fait piéger dans le peloton et a été victime d’une chute à l’approche de Ruddewoorde. À partir de là, les événements s’enchaînent: les adversaires de Godefroot profitent de sa chute pour accélérer, et une trentaine d’hommes se détachent du peloton. Au sein de ce groupe de tête se trouvent encore presque tous les favoris.
La décantation du peloton doit donc se poursuivre et Eddy Merckx avance ses pions. Aidé de ses lieutenants, il imprime sa cadence frénétique pour jauger ses adversaires. Après quelques kilomètres d’accalmie, l’Ogre de Tervueren entre véritablement en action et attaque au Mont Cruche près de Renaix, puis au mythique mur de Grammont. Il franchit seul le sommet, mais suivi de loin par Franco Bitossi. De toute façon, Merckx sera rattrapé dans la descente par Bitossi, Basso et Zilioli. Le quatuor coopère et sa cadence tient à distance les coureurs lâchés lors de l’attaque fatale. L’écrémage a été impitoyable.
Vollezele: Eddy Merckx s’échappe définitivement
Le dernier coup de théâtre se joue au lieu-dit de Vollezele où se trouve un faux plat montant. On peut s’étonner de la décision de Merckx d’attaquer à cet endroit, mais il ne faut pas oublier que même un faux plat peut être redoutable après plus de 200 kilomètres. Toujours est-il que la stratégie du champion belge est imparable: en fait, l’attaque ne fut pas très violente et on devrait plutôt parler d’une accélération, une accélération presque imperceptible au début. Peut-être surpris par l’intensification du rythme à un endroit inattendu, les Italiens se regardent et ne réagissent pas. Le manque de cohésion des transalpins et la cadence de Merckx créent un écart de 25 secondes au bout de la première ligne droite.
Pourtant ses rivaux italiens reprennent leurs esprits et constituent une véritable menace. À 70 kilomètres de l’arrivée, on donne peu cher de la peau d’un homme poursuivi par quatre adversaires dont l’organisation est maintenant aussi efficace et bien huilée que dans un contre-la-montre par équipe. Guillaume Driessens, le directeur sportif de Merckx, porte la voiture à son niveau pour lui intimer l’ordre de revenir dans le groupe de poursuivants: « C’est de la pure folie Eddy, jamais tu n’iras au bout », lui crie-t-il. Le Cannibale désobéit.
Le récital final de Eddy Merckx
Rien n’entamera l’inoxydable détermination d’Eddy Merckx: ni les ordres de son directeur d’équipe, ni 25 kilomètres de vent de face et d’averses. Seul et contre tous (et surtout contre tout), le coureur belge tient bon et parvient à maintenir héroïquement une avance d’une minute. Ensuite, les circonstances deviennent plus favorables et Merckx peut enfoncer le clou. L’épuisement et le coup de massue psychologique asséné par le Cannibale achèvent toute velléité chez ses rivaux italiens. Au terme de ce finale épique, Merckx passe la ligne d’arrivée à Merelbeke avec 5 minutes d’avance sur Gimondi. La troisième marche du podium se décide au sprint, 8 minutes après que le vainqueur a franchit la ligne d’arrivée: Basso devance Bitossi.
Cette victoire de Merckx assoit sa domination sur le peloton et le monde du cyclisme. Sa victoire est d’autant plus assommante pour ses concurrents qu’elle fut arrachée dans une course apocalyptique ainsi qu’avec un panache et une audace insolents. Avec un triomphe aussi absolu dans ce Tour des Flandres particulièrement coriace, Eddy Merckx écrit l’une des premières pages qui feront sa légende, et signe l’une des plus belles de l’histoire de la classique flandrienne.
Crédits photo à la Une: Peters, Hans / Anefo – Dutch National Archives