Anthony Charteau, Thomas Voeckler, Laurent Jalabert, Franco Pellizzoti, la liste des derniers vainqueurs du maillot à pois sur le Tour de France peut surprendre. Abandonné depuis près de 15 ans par les coureurs jouant le classement général, il est devenu au fil du temps la tunique récompensant les efforts des coureurs se lançant dans des longs raids suicidaires lors des étapes de haute montagne. Alors, le maillot à pois est-il devenu – comme le pense le Belge Lucien Van Impe, sextuple vainqueur – un « maillot au rabais », récompensant plus le super-combatif du Tour que le meilleur grimpeur ? Débat.
Le “grand prix de la montagne” né de la volonté de récompenser les rois des cimes
Si le maillot à pois n’est vieux “que” de 40 ans, les grimpeurs sont eux récompensés depuis bien plus longtemps sur la Grande Boucle. En effet, dès 1933, le directeur du Tour de l’époque, un certain Henri Desgrange – visionnaire, car déjà à l’origine de l’apparition de la caravane publicitaire – décide que les coureurs passant les cols du Tour de France en tête devaient être récompensés : c’est la naissance du Grand Prix de la Montagne, ancêtre du futur maillot à pois. A l’époque, pas encore de maillot distinctif, mais déjà (voir notre partie sur les pistes d’évolution) un système de bonification de temps pour inciter les coureurs à “faire le grimpeur” comme on dit dans le jargon : l’écart en temps entre le premier et le second au sommet était répercuté en bonif à l’arrivée. Si l’expérience ne durera que quelques années, la bagarre au sommet fait désormais rage et passionne les foules au bord de la route, même sans maillot distinctif pour identifier le meilleur grimpeur du Tour. En effet, très vite ce sont bien les étapes de montagne qui rencontrent un succès populaire sans équivaut, car le spectacle y est souvent grandiose, avec son lot d’émotion, de bonheur, mais aussi une bonne dose de dramaturgie, avec les défaillances, les chutes, les désillusions. Un bon cinéma à ciel ouvert, en somme.
1933-1975 : même sans pois, des grimpeurs mythiques
Alors que les pois ne sont pas encore sur le Tour, cette période est pourtant celles où se révèlent ceux que l’on considère comme les grimpeurs ayant le plus marqué l’histoire de la Grande Boucle. Pour le premier d’entre eux, il s’agit de l’espagnol Federico Bahamontes, surnommé “l’aigle de Tolède” (sa province d’origine), sextuple (!) vainqueur du grand prix de la montagne sur le Tour (1954,58,59,62,63 et 64 pour le dernier, à 36 ans). Si Bahamontes a réussi à tant marquer l’histoire de la petite reine, c’est grâce à des qualités de grimpeurs et de “giclette” exceptionnelles mais aussi à un tempérament d’attaquant hors du commun qui soulevait les foules. S’il ne remporta au final le Tour qu’à une seule reprise en 1959, il le doit certainement à ses faiblesses tactiques (parfois ces grands raids en solitaires avaient quelques chose d’un peu suicidaire) ainsi qu’à ses piètres qualités de descendeurs (il perdait souvent toute son avance dans les descentes du fait d’une grande crainte, née d’un nombre de chutes important, notamment au début de sa carrière). L’Espagne fut pendant de longues années la référence en matière de grand grimpeur car après la décennie de domination de l’aigle de Tolède vint celle d’un autre ibérique qui lui succède : Julio Jiménez, triple lauréat successif du graal des grimpeurs en 1965,66 et 67. Par la suite, le début des années 1970 marque l’avènement d’une autre nation sur les routes du Tour, à savoir la Belgique. En effet, pendant qu’un certain Eddy Merckx, dit “le cannibale” remporte 5 Tour de France entre 1969 et 1974, un de ses compatriotes arrive à exister dans l’ombre du Grand Eddy grâce à ses qualités de grimpeur hors du commun : Lucien Van Impe. Outre son succès lors du Tour 1976, le belge impressionne de par sa domination dans les cols : doté d’un petit gabarit parfaitement adapté aux forts pourcentage, il règne sur les cimes françaises pendant plus d’une décennie – 13 ans, entre son premier grand prix de la montagne en 1971 et son dernier…maillot à pois à 37 ans, en 1983.
1975-2000 : les pois font la part belle aux grands grimpeurs
Lors du Tour 1975, les organisateurs décident d’instaurer un 3ème maillot distinctif sur les routes du Tour : après le jaune de leader du classement général et le vert du classement par point (classement de la régularité au niveau des places à l’arrivée), instauré en 1953 et qui tire sa couleur du sponsor de l’époque une marque de…tondeuse à gazon) le leader du grand prix de la montagne aura droit de porter un maillot blanc orné de pois rouges. Pourquoi ces couleurs, car le blanc et le rouge sont les couleurs du sponsor officiel de l’époque : le chocolat Poulain. Pour rappel, la liste des marques “sponsor officiel du maillot à pois” depuis 1975 :
– 1975-78 : Chocolat Poulain
– 1979-81 : Campagnolo
– 1982-84 : Chocolat Poulain (le retour !)
– 1985-89 : Café de Colombia / 1990 : Ripolin (peintures)
– 1991 et 1992 : Coca Cola Light
– 1993-2008 : Champion
– Depuis 2009 : Carrefour
Outre la domination de Van Impe, les années 80 sont aussi l’occasion de mesurer l’internationalisation du cyclisme, avec l’arrivée au haut niveau en Europe de coureurs émanant d’autres continents, comme les Colombiens et les Américains. L’un d’entre eux, Luis “Lucho” Herrera, remporte le maillot à pois à 2 reprises en 1985 et 87 : il devient le premier “scarabée” de l’histoire à réussir en Europe, et se positionne en fer de lance d’un pays la Colombie qui va développer une histoire d’amour intemporelle avec le sport cycliste. Au cours des années 90, deux coureurs vont réussir à marquer l’histoire du Tour et du maillot à pois ; l’italien Claudio Chiappucci et – cocorico – le français Richard Virenque. Pour l’italien il se pose à l’époque en digne héritier des “mythes” Fausto Coppi et Gino Bartali : s’il ne parviendra jamais à gagner le tour, – la faute à l’hégémonie du règne de l’espagnol de la Banesto Miguel Indurain, quintuple vainqueur de rang du Tour – “El Diablo” dynamite le Tour de par ses attaques et remporte tout de même 2 maillots à pois et monte 3 fois sur la “boite” (deux fois 2ème et une fois 3ème). Mais le recordman absolu de victoire dans l’histoire du grand prix de la montagne reste (à jamais ?) reste Richard Virenque. Le français, “chouchou” de toute la France du vélo au cours des 90′s ramènera 7 fois (!) le maillot blanc à pois rouges sur le podium des Champs-Elysées. Malheureusement, l’affaire Festina qui éclate en 1998 fait du mal au cyclisme et au maillot à pois : l’opinion publique, qui associait le français à ce maillot, se considère trahit par le roi des cimes et rejette pendant quelques années ce maillot, synonyme de tricherie. Hasard ou pas, à partir du début des années 2000, le maillot à pois est peu à peu abandonné par les grands grimpeurs du peloton, au profit des baroudeurs qui voient en lui un bon moyen de décrocher le pompon.
2000-2013 : belle vie pour les baroudeurs
Décrédibilisé par les affaires de dopage, le maillot à pois devient au début des années 2000 l’objectif de coureurs de “seconde zone” ou de grands baroudeurs, pas forcément à l’aise sur les fortes pentes mais n’ayant pas peur de se lancer dans des échappées au long cour, pendant des étapes de montagne où de nombreux points sont en jeux. Durant cette période, la liste des maillots à pois regorge de coureurs ayant tous utilisé la même tactique, à savoir passer à l’attaque de loin, tous les jours ou presque, dans les étapes de haute montagne, et ainsi collectionner les points au sommet lors des premiers cols de la journée. Ainsi, bien que tous ces coureurs ne jouent pour la plupart jamais le classement général, ils peuvent engranger assez de points d’avance au classement du grimpeur et se mettre à l’abri lorsqu’éclate la bagarre entre les leaders, le plus souvent dans le…dernier col des étapes pyrénéennes ou alpestres. Leurs noms : Jalabert, Charteau ou encore Voeckler, pour ainsi dire que des français, réussissent à glaner un maillot qui fait toujours son effet, malgré de nouvelles affaires de dopages touchant des coureurs l’ayant remporté au cours de la décennie : le danois Michael Rasmussen, l’autrichien Kolh et l’italien Franco Pellizotti seront tous contrôlés positifs et destitués de leurs tuniques et titres, ce qui n’arrangea en rien la crédibilité des grimpeurs aux yeux du grand public. Pire, en dehors des couleurs tricolores, le maillot à pois intéresse de moins en moins les coureurs, et la lutte n’a plus rien à voir avec celle des décennies précédentes, si bien que son essence même – récompenser le meilleur grimpeur-escaladeur du Tour de France – s’en retrouve bafouée. A cause du “fétichisme” que vouent public et médias au culte du Tour de France, les cadors et les leaders de second rang du peloton n’en ont plus que pour la quête du maillot jaune, ou à défaut obtenir la meilleure place possible au classement général final. En outre, un coureur préfèrera terminer 10ème du classement général final plutôt que de lutter pour un hypothétique maillot à pois. Question économique aussi, quand on sait que les équipes World Tour font de plus en plus cause du classement par équipe du Tour, qui rapporte à la fois de l’argent (50 000€ pour l’équipe qui rapporte à Paris les dossards jaune, 12 000 € pour l’équipe classée 4ème par exemple) mais aussi et surtout des point UCI pour le classement du World Tour. Oui mais voilà, à force de revenir uniquement (ou presque) à des non-spécialistes de la montagne ces dernières années, le maillot à pois a grandement perdu de sa mysticité, si bien qu’il se retrouve en danger, et ça les organisateurs du Tour, via ASO, vont bien finir par s’en apercevoir. Tour de France 2012, la direction du Tour, emmenée par Christian Prud’homme décide de revoir le barème d’attribution des points pour le grand prix de la montagne : désormais les points distribués en haut des cols lors des arrivées au sommet seront doublés. Leur but est clair : faire revenir les leaders et les grands grimpeurs dans la lutte au maillot à pois, pour lui redonner ses lettres de noblesse.
Depuis 2013 : un juste retour des choses ?
Et force est de constater que le coup d’ASO se transforme en coup de maitre car lors des éditions 2013 et 2014, les classements de la montagne vont être chamboulés, avec le retour en force des grands leaders dans la course à l’accessit. Lors de l’édition 2013, c’est le colombien (tient tient, Lucho Herrera a enfin trouvé son disciple) Nairo Quintana qui ramène le maillot à pois sur les champs. 2ème du classement général final, il remporte le grand prix de la montagne avec un total de 147 points, soit 11 de plus que son dauphin, le britannique Chris Froome…le vainqueur du Tour ! Si ces deux coureurs n’ont pas spécialement visés le maillot à pois, ils ont profité du nouveau règlement qui fait la part belle aux arrivées au sommet pour s’emparer du graal, – Quintana doit son maillot à sa victoire en solitaire à Annecy…à la veille de l’arrivée – au grand dam de certains dont c’était devenu l’objectif prioritaire, comme le français Pierre Roland, qui devra se contenter de la 3ème place de la montagne cette année-là, avec un total de 117 points. Et oui le Pierrot, pas assez fort…en montagne ! Un comble me direz-vous au vu des capacités de grimpeurs de ces lauréats des années passées (Jalabert, Voeckler ou Charteau). L’an passé lors de l’édition 2014, c’est le polonais Rafael Majka qui remporta la mire : s’il ne joua pas le général, il profita de ses grands numéros en montagne (2 victoires en solitaire, à Risoul et au Plat d’Adet) pour empocher les 25 000 € du vainqueur final de la montagne et ramener le maillot à pois à Paris avec 181 points au compteur, soit 13 de plus que son dauphin là encore le grand vainqueur du Tour, en la personne de l’italien Vicenzo Nibali. Deux vainqueurs du Tour deuxièmes du maillot à pois, cela faisait belle lurette que cela n’était plus arriver : paris gagné pour les organisateurs…
Système de point actuel, critiques et pistes d’évolution(s)
A ce jour, voici quel est le barème d’attribution des points pour le grand prix de la montagne (depuis sa dernière évolution en 2012) :
– Col Hors Catégorie (HC) : des points sont attribués pour les 10 premiers coureurs à franchir la ligne : 25 – 20 – 16 – 14 – 12 – 10 – 8 – 6 – 4 – 2. Tous ces points sont doublés lorsqu’une étape arrive au sommet d’un HC.
– Col de 1ère Catégorie : des points sont attribués pour les 6 premiers coureurs à franchir la ligne : 10 – 8 – 6 – 4 – 2 – 1. Points là aussi doublés lors d’une arrivée au sommet d’un 1ère catégorie.
– Col/Côte de 2ème catégorie : pour les 4 premiers : 5 – 3 – 2 – 1
– Côte de 3ème catégorie : 2 -1 / Côte de 4ème catégorie : 1
Depuis le début des années 2010, comme vu ci-dessus, ce système de points subit bon nombres de critiques de la part du public mais aussi de la presse et des suiveurs sur le Tour. L’un des plus célèbres d’entre eux est le Belge Lucien Van Impe pour qui le maillot à pois est désormais dévalué, et uniquement visé par des non-grimpeurs ne jouant pas le classement général. Pour redonner de l’intérêt à ce maillot, il propose de revenir à ce qui avait été fait dès 1934, à savoir accorder des bonus en temps aux coureurs qui passent les cols en tête, comme c’est déjà le cas lors des sprints intermédiaires en cours d’étape et qui comptent eux pour le classement du maillot vert. Imaginez 20 secondes de bonification en haut du Tourmalet, il y aurait de quoi en motiver plus d’un….D’autres détracteurs du système actuels s’appuient eux sur une proposition faite par des scientifiques néerlandais qui proposent un autre mode de calcul, non plus basé sur les passages au sommet des cols mais sur le temps réel de grimpe de chaque coureur ! Révolutionnaire non ?
Alors et pour vous, le maillot à pois est-il toujours aussi mythique ? Quelles pistes d’évolution dans son mode d’attribution pourraient être apportées ?