En devenant champion du monde de cyclisme sur route ce dimanche à Imola, Julian Alaphilippe est entré un peu plus dans la légende de son sport, succédant dans le clan tricolore à Laurent Brochard, victorieux à San Sebastian en 1997, il y a 23 ans. Emmené par une équipe de France impériale, Alaphilippe a dompté ses rivaux, Wout Van Aert en tête.
Pour Julian Alaphilippe, un maillot unique
Imola et sa région restaient bien couvertes hier dimanche après-midi, tantôt pluvieuses mais toujours nuageuses. Il a fallu attendre les alentours de 16h30 pour voir une courte mais précieuse éclaircie. Ce rayon de soleil transperçant les épais nuages qui s’amoncelaient au-dessus du peloton, ce fut Julian Alaphilippe. On pourrait croire que seuls les Français ont vu ce soleil et pourtant c’est tout le cyclisme qui fut irradié par la performance du coureur de la Deceuninck-Quick Step qui avait revêtu, en ce dimanche 27 septembre, son beau maillot national, après avoir essayé de faire vibrer le pays pendant trois semaines sur les routes du Tour de France.
Si celui-ci fut moins abouti que le précédent où il avait terminé cinquième et passé quatorze jours en jaune, il avait tout de même la satisfaction d’avoir remporté la deuxième étape, paradé en jaune pendant quelques jours jusqu’à un malheureux bidon et surtout parfait sa condition physique, venant sur ce Tour avec la volonté de se préparer en vue de SA priorité, les championnats du monde de cyclisme sur route. Il faut dire que le changement de parcours, initialement prévu en Suisse à Aigle et Martigny, a bousculé les plans de Julian Alaphilippe comme il a bouleversé ceux du sélectionneur, Thomas Voeckler.
Comme un air de Tour de France
Romain Bardet et Thibaut Pinot avaient les Alpes suisses en ligne de mire, salivant devant un tracé taillé pour les grimpeurs, ils ont déchanté face au circuit d’Imola et sa ressemblance avec une classique ardennaise, du sur-mesure pour les puncheurs et donc pour Alaphilippe, propulsé en quelques minutes en leader de l’équipe de France, d’autant plus que Thibaut Pinot et Romain Bardet n’ont pu prétendre physiquement à une place pour accompagner le vainqueur de Milan-San Remo 2019. Thomas Voeckler n’avait pas cherché très loin pour constituer la meilleure équipe possible. Les fortes têtes sortiraient forcément d’un Tour de France abouti, prouvant alors un état de forme adéquat aux 254 kilomètres de la course en ligne de ces championnats du monde.
Ce fut le même crédo pour toutes les équipes nationales, Pogacar et Roglic emmenant la Slovénie, Landa dominant la sélection espagnole tout comme Uran portait les espoirs de la Colombie et Van Aert, ceux de la Belgique. Seul Jakob Fuglsang et Vincenzo Nibali semblaient préparer l’avenir et le Giro d’Italia qui débute le 3 octobre. C’est donc tout ce beau petit monde qui fut ébloui par un éclair, une luminosité un peu trop forte pour une fin d’après-midi d’automne maussade. Et forcément, lorsque le soleil décide de pointer le bout de son nez lorsque la pluie célèbre son moment, cela donne un arc-en-ciel, un moment de nature éphémère que Julian Alaphilippe a tout juste eu le temps d’immortaliser et d’imprimer sur le nouveau maillot qu’il portera pendant un an. Un maillot définitivement unique.
Alaphilippe, pancarte dans le dos
Encore une fois, il a attaqué quelques hectomètres avant le sommet de la dernière côte, encore une fois il a basculé avec quelques secondes d’avance sur un petit groupe, encore une fois il a gagné. On peut comprendre pourquoi son premier Monument fut Milan-San Remo où le Poggio permet à la Primavera de servir de définition même de la tactique « alaphilippesque ». Hier, pas de Poggio mais la cima Gallisterna. C’est là, proche du sommet, que Julian Alaphilippe a placé son attaque décisive, une accélération tranchante à laquelle personne n’a répondu, ce qui lui a permis de basculer avec plus de dix secondes d’avance, suffisant pour résister douze kilomètres devant un petit groupe de favoris (Jakob Fuglsang, Marc Hirschi, Wout Van Aert, Primoz Roglic, Michal Kwiatkowski) qui avait grand mal à collaborer, de peur d’emmener Van Aert sur une voie royale vers la victoire.
Sans jouer battu, ce groupe a très vite compris que le dilemme n’en était pas un: laisser Julian Alaphilippe lever les bras et être battu ou bien rouler pour revenir sur le Français, voir Van Aert s’imposer au sprint et être vaincu. Les poursuivants ont opté pour la première option malgré les relances incessantes du Belge qui s’est contenté de la médaille d’argent, comme lors du contre-la-montre, devant Marc Hirschi, médaillé de bronze chez les élites après avoir eu l’or chez les espoirs à Innsbruck en 2018.
A Imola, Alaphilippe a effacé le traumatisme de Bergen 2017, où les caméras mobiles ont lâché faisant basculer la retransmission télévisuelle sur les caméras fixes de l’arrivée. Alors qu’après son attaque (encore) dans la dernière petite côte, tout le monde s’attendait à voir apparaître le Français sous la flamme rouge, faisant espérer un premier titre de champion du monde depuis vingt ans au clan tricolore, c’est le peloton qui a surgi, emmenant Peter Sagan vers son troisième titre consécutif. Hier, tout fut différent. Les supporters et les drapeaux n’étaient pas présents en masse derrière les barrières comme à Bergen, les caméras ont fonctionné, la tactique également et à la fin c’est bien Julian qui est monté sur la première marche du podium.
L’équipe de France et la manœuvre parfaite
Alors oui, il n’y a qu’un seul homme sur la plus haute marche du podium, celui qui a fini le travail. Mais comment ne pas saluer ceux qui l’ont placé sur orbite et lui ont permis de se retrouver dans un fauteuil au moment d’aborder la dernière ascension de la cima Gallisterna ? Tout a commencé à 70 kilomètres de l’arrivée lorsque Quentin Pacher et Nans Peters ont décidé d’imprimer un gros rythme en tête de peloton. Plus habitués à s’échapper sur le Tour de France, leur statut d’équipiers de favori sur ces championnats du monde ont permis de voir une nouvelle facette de ceux qui ont carte blanche respectivement chez B&B-Vital Concept et AG2R-la-Mondiale. Ce sursaut français a permis, si ce n’est de surprendre un concurrent, de mettre un terme à l’échappée.
Pendant une quinzaine de kilomètres, l’équipe de France a donc guidé le peloton avant de laisser le relais aux Belges. L’attaque de Pogacar ne va pas déséquilibrer le peloton. Se lançant dans un raid périlleux à quarante kilomètres de l’arrivée, le tout récent vainqueur du Tour de France savait sans doute que son aventure avait peu de chance d’aboutir, laissant néanmoins le luxe à Roglic de ne pas collaborer si un petit groupe venait à s’extirper en poursuite dans la cima Gallisterna. Ce ne sera pas le cas, tout simplement parce que les deux équipes fortes du peloton, la Belgique et la France, n’avaient aucune raison de lancer leur leader ou un équipier en panique à la poursuite du Slovène. Bien au contraire, maintenir un homme seul à l’avant à vingt secondes leur permettait de contenir les attaques. Il ne restait alors que deux passages de la Gallisterna, la Belgique et la France réussissant à préserver respectivement Van Aert et Alaphilippe pour les laisser s’expliquer dans la dernière ascension.
Avec Alaphilippe, une équipe de France au septième ciel
Leur tactique a payé. Mais cela n’aurait pas été possible sans Guillaume Martin. Tentant d’anticiper l’explication dans la dernière ascension de la Gallisterna, Mikel Landa, Rigoberto Uran, Vincenzo Nibali et… Wout Van Aert se sont détachés lors d’un moment de flottement où le peloton revenait sur Pogacar, favorisant les contres. Van Aert ne le sait peut-être pas encore mais il vient de perdre le maillot arc-en-ciel. Cet effort lui a sans doute pris juste ce qu’il lui fallait pour suivre Alaphilippe lors de son attaque décisive. Le Belge a sans doute paniqué alors qu’il n’était pas obligé de suivre. Voyant les équipes d’Espagne, de la Colombie et de l’Italie représentées à l’avant, il a préféré lancer un effort alors qu’Alaphilippe a pu compter sur le travail exceptionnel de Guillaume Martin pour ramener le peloton sur le quatuor de tête, relayé par Rudy Molard, impérial dans sa protection d’Alaphilippe.
Ce dernier n’a pas eu à se dévoiler contrairement à son principal concurrent. Au moment d’aborder la cima Gallisterna pour la dernière fois, Julian Alaphilippe sait ce qu’il lui reste à faire. Contenir les attaques au pied avec l’aide des dernières réserves de Martin et Molard, avant de se détacher avec les favoris puis de les enterrer sur une attaque surpuissante peu avant le sommet. Le récit de course est souvent déjà écrit avec lui et pourtant, cela marche toujours, preuve d’une grande force mentale mais aussi preuve d’un scénario rondement mené par une équipe de France au septième ciel.
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