Figure emblématique du Tour de France depuis plus de 20 ans, le personnage déguisé d’El Diablo est peu à peu rentré dans la légende de la grande boucle. Oui mais voilà, le 4 juillet prochain Didier alias Didi Senft, son costume de Lucifer et sa célèbre fourche ne seront pas au départ d’Utrecht. El Diablo tire sa révérence et c’est toute une page du vélo qui se tourne. Hommage.
“El diablo”, arrivé en 1993 sur les routes du Tour de France
Courir à côté des coureurs lors d’une course de vélo n’a jamais été vu d’un bon œil de la part des suiveurs ou des coureurs eux-mêmes (cf. le célèbre “je vous en prie, ne courez pas à côté des coureurs” lancés à l’antenne lors de la plupart des étapes de montagne). Alors courir à côté des coureurs lors du plus grand évènement sportif annuel du monde, le Tour de France cycliste n’échappe pas à la règle. Sauf que depuis quelques années et pour beaucoup de “supporters”, faire le zozo à côté de ses coureurs préférés lors dans les ascensions de la grande boucle est devenu une banalité, le tout dans des accoutrements souvent drôles, parfois ridicules, c’est selon, le tout dans une ambiance de folie douce universelle propre à la Grande boucle. Mais tous ces “coureurs” ne sont en fait que des enfants du diable, comprenez d’El Diablo. Car depuis une vingtaine d’années, un certain Didi Senft, un allemand né en 1952 de l’autre côté du Rhin s’y est autorisé et révélé, aux yeux du grand public grâce à son personnage d’El Diablo. Son personnage ? Si vous aimez un tant soit peu le vélo, il vous dit forcément quelque chose : un drôle de bonhomme, barbu, habillé d’un costume de Lucifer noir et rouge avec tout ce qu’il faut, de la queue fourchue à la grande fourche brandit en direction des coureurs, à côté desquels il saute, court et encourage de vociférant “allez allez allez !!!”. Son mode opératoire ? Peindre au milieu de la chaussée, quelques hectomètres du lieu où il se trouve sur le bitume, une série de tridents qui préviennent de son apparition imminente. Depuis sa 1ère apparition à l’écran lors du Tour 1993 – lors de la 15ème étape (de montagne, déjà) plus précisément dans le col d’Ornon en Andorre avec le colombien Oliveiro Rincon qui gagnera en solitaires quelques minutes plus tard -, ils ont été nombreux à vouloir l’imiter, sans jamais y parvenir jusqu’ici : El Diablo, souvent imité, jamais égalé !
Des images et des souvenirs impérissables
En 21 grandes boucles, El Diablo n’aura jamais vu un français triompher sur le Tour de France, et seulement trois sont montés sur le podium : Virenque en 1997, Péraud et Pinot en 2014. Il aura par contre eu le privilège de voir un allemand en jaune à Paris, en la personne de Jan Ullrich en 1998. Mais El Diablo avait réussi à rentrer dans le cœur de l’ensemble des coureurs du peloton, à “faire parti des leurs”, et ça pour Didi c’était le but d’une vie, et ça n’avait pas de prix. Aujourd’hui tout ceci est terminé, El Diablo ne fait plus parti de l’univers du Tour, et seuls les souvenirs resteront pour ce monsieur de 63 ans, et ça personne ne pourra les lui enlever. D’ailleurs, à défaut de le voir au bord des routes, les nouvelles générations pourront rendre visite à El Diablo, chez lui, dans la musée qu’il vient d’ouvrir, où ont pris place la centaine de vélos qu’il a déjà pu fabriquer, mais aussi tous les objets, souvenirs ou encore photos récoltées au cours des 21 grandes boucles passées dans son costume noir et rouge. El Diablo fait désormais parti de la légende du Tour, et ça aussi pour Didi ça n’a pas de prix…
A moins d’un mois du départ de ce qui aurait été sa 22ème Grande Boucle – qui ironie du sort marquera le grand retour de la télévision publique allemande sur le dispositif -, ce grand monsieur qui a marqué à sa façon l’histoire du Tour de France et du cyclisme méritait bien un dernier hommage. Aurevoir, El Diablo, vous allez nous manquer, et au détour d’une ascension alpestre, on se retournera quand même dans un lacet, dans l’espoir de voir apparaitre votre trident, prêt à nous piquer le derrière…
L’histoire d’un fou, amoureux de la petite reine
L’histoire de Didi Senft est celle d’un grand enfant qui n’a jamais voulu grandir, une sorte de Peter Pan des temps moderne, avec Wendy en moins. Ce grand passionné de la petite reine rêvait en secret de percer dans le monde du vélo, en tant que coureur professionnel. Malheureusement, n’est pas Alberto Contador qui veut, et Didi doit vite se rendre à l’évidence, s’il veut se faire un nom dans le milieu du cyclisme mondial, il lui faut trouver une autre issue C’est donc en tant que “suiveur” et non en tant que força de la route que l’allemand va trouver sa place, et faire comme il le dit lui même “une percée au niveau international”. Profitant de son look atypique – longue barbe grise, queue de cheval -, il s’invente ce personnage de Diable, présent sur les routes du plus grand évènement sportif du monde pour “piquer” les coureurs de son trident floqué de l’inscription “Tour de France”. Ce joyeux larron aux collants rouges intrigue tout d’abord, puis amuse très vite la galerie, à commencer par les coureurs eux-mêmes – Didi prend toujours ses distances de sécurité et prend garde à ne jamais gêner les coureurs – , les suiveurs, mais aussi et surtout les milliers d’enfants massés sur le bord des routes. Au cours des 21 Grandes Boucles auxquelles il aura participé, El Diablo aura parcouru à bord de sa camionnette-couchette la petite bagatelle de 60 000 km tous les ans (!). Pourquoi ? Car très vite, Didi ne se cantonna pas au Tour et parti promener sa fourche sur les plus grandes courses à travers le vieux continent (Giro d’Italia, Tour d’Allemagne chez lui, Jeux Olympiques à Athènes), mais aussi dans le monde entier : Tour Down Under en Australie ou Grand Prix de Québec au Canada ! Mais Didi, ce n’est pas que El Diablo, c’est aussi un génial inventeur passionné par les bicyclettes, de toutes les tailles et de toutes les formes possibles, jusqu’aux plus excentriques et bizarroïdes – normal me direz-vous au vu du personnage – : on lui attribue pas moins de 100 créations originales, dont certaines ont même trouvé leur place dans le Livre Guiness des records, comme la plus connue d’entre elles : quatre mètres de haut pour huit mètres de long. Et le pire, c’est qu’elle “roule” !
Le diable n’a plus les moyens de suivre “ses” coureurs
Oui mais voilà, toutes les belles histoires ont une fin, et sans le savoir celle entre Didi et le Tour de France s’est arrêté en juillet dernier lors de la 101ème édition. Pas de 102ème édition donc, “son” compteur à lui restera donc bloqué à 21. La raison ? Les raisons plutôt, sont au nombre de deux. Tout d’abord, Didi n’a plus vingt ans, et depuis une opération pour un caillot au cerveau subie en 2012 (qui lui avait d’ailleurs fait manquer ce millésime sur la Grande Boucle), il peine à retrouver toutes ses capacités physiques. Mais le plus gros problème du diable, c’est qu’il semble bien porter son nom et qu’il n’est pas épargné par le pêché : selon nos informations, Didi serait bel et bien ruiné, résultat d’une vie passée dans l’excès de ses douces folies au cours de ses dernières années. Le coup fatal porté au diable : un coup de fourche dans le dos de la part de ses sponsors qui le soutenaient jusqu’ici à hauteur de 10 000 € par an pour assouvir sa passion et enfiler son collant. Depuis la fin des années 2000, Didi est peu à peu laché par ses derniers – la plupart venant d’Allemagne, son pays d’origine, un pays “refroidit” par les affaires de dopage dans le monde du cyclisme, au point de ne plus retransmettre la course sur les chaînes publiques nationales – qui ne souhaitent plus (s’)aligner, et il ne peut réunir que 500 € : pas assez pour entretenir ses activités un peu folles El Diablo passe donc le Tour 2014 a puiser dans ses réserves dans un premier temps, puis à s’endetter, ne pouvant pas stopper son aventure, la faute à une passion trop dévorante. Résultat des courses, à l’orée de cette saison 2015, la fourche du diable est restée au garage chez lui, dans the “Devil House” du côté de Brendebourg car il ne peut donc plus assumer le coût financier de tous ses périples. Pour avoir une idée plus précise de la question, Didi dépensait chaque année près de 15 000 € pour son “activité” aux quatre coins du vieux continent (dont près de 5000 € d’essence !) sur les quelques 60000 km annuels avalés par sa vieille camionnette…
Crédits photo à la une: Heidas