Ce dimanche 12 avril, la 118e édition de Paris-Roubaix devait s’élancer de Compiègne aux alentours de 10h pour s’achever sur la piste du célèbre vélodrome de Roubaix sur les coups de 16h. Annulé pour cause de Covid-19, Paris-Roubaix 2020 n’aura finalement pas lieu. La rédaction d’Au Stade vous propose donc de retracer et d’interroger la « Reine des Classiques », au prisme de son histoire et du mythe qu’elle entretient.
Le Paris-Roubaix est parmi les cinq monuments cyclistes celui qui semble le moins sujet au changement au fil du temps, de quoi se hasarder à dire que cette course est la plus classique des classiques. En effet, un tracé et ses difficultés peuvent constituer l’essence d’une course, ce que les organisateurs ont bien compris avec la reine des classiques. Il faut dire que ses secteurs pavés mythiques, symboles de l’épreuve, provoquent passion et dévouement pour leur protection, ce qui est sans doute la clef de la stabilité de l’Enfer du Nord. Alors que le Paris-Roubaix devait se dérouler ce dimanche, nous allons nous livrer à quelques réflexions sur son parcours et la façon dont ses acteurs œuvrent en coulisse pour conserver l’identité de l’épreuve.
Des classiques pas si classiques
Dans l’idéal, les cinq monuments cyclistes (les cinq classiques les plus prestigieuses) devraient posséder un tracé relativement fixe, afin de conserver leur dimension historique et d’honorer leur statut de classique. Dans les faits, c’est loin d’être évident. En effet, autant pour des raisons sportives qu’économiques, des modifications sont parfois nécessaires sur les parcours, aussi mythiques fussent-ils. Par exemple, le public a été très ému par des modifications dans le Tour des Flandres: le Mur de Grammont et sa chapelle, emblématiques de la course, ont disparu en 2012 avant de réapparaître en 2017 à une place moins stratégique. L’arrivée se termine désormais à Audenarde avec un circuit dont les places pour les spectateurs se paient à prix d’or, une manne d’argent intéressante pour les organisateurs. Raison économique donc.
Raisons sportives également avec le Milan-San Remo dont les organisateurs ont modifié le profil d’arrivée en défavorisant le sprint (via l’ajout de quelques difficultés pour se débarrasser des sprinteurs et favoriser des coureurs plus complets), avant de revenir au type d’arrivée d’origine. Plus problématique encore est le Tour de Lombardie dont le tracé change énormément chaque année pour des raisons logistiques et politiques. Il faut bien comprendre que ces changements, s’ils ne diminuent pas forcément l’intérêt des courses, peuvent tout de même changer leur profil et donner des classiques pas si classiques, ce qui n’est pas anecdotique.
Le Paris-Roubaix, entre permanence et mutations
Or, le Paris-Roubaix est beaucoup plus stable. Il est vrai que l’épreuve ne s’élance plus de Paris comme ce fut le cas jusqu’à 1965, ni de Chantilly (de 1966 à 1976). Cependant, la dernière partie de l’épreuve a moins été sujette au changement et depuis 1977, la course est sensiblement la même avec un profil immuable: un départ de Compiègne et une première partie de course qui a fonction d’usure, avant l’arrivée dans le Nord où se déroule le cœur de la course rythmée par les secteurs pavés. Cependant l’épreuve n’a pas été épargnée par les problématiques auxquelles sont confrontées les autres classiques, et ne peut échapper à certains changements. Par exemple, l’urbanisation et la réfection des routes ont supprimé de noombreux secteurs pavés par le passé, chassant l’épreuve de son tracé habituel en obligeant les organisateurs à trouver d’autres chemins qui correspondent à l’esprit de la course. Et même sur les portions fixes il demeure des variantes, avec notamment une alternance des différents secteurs pavés disponibles.
Ces changements mineurs du parcours sont dictés par deux objectifs: premièrement, ne pas utiliser certains secteurs pavés afin de laisser le champ libre aux chantiers pour les rénover. Ensuite, rechercher d’autres secteurs dans un souci de renouvellement de la course, et ce dans le but de l’améliorer en trouvant de nouveaux passages pimentés. Au final, on ne peut pas dire que le Paris-Roubaix soit sanctuarisé, et ce n’est d’ailleurs pas l’objectif, mais il semble qu’il y ait tout même une volonté de conserver l’originalité du parcours. Ainsi les changements sont-ils relativement mineurs, et ne modifient pas le profil de la course. Un équilibre entre innovation et fidélité semble donc avoir été trouvé. Voyons à présent comment le Paris-Roubaix est protégé.
Un patrimoine à protéger
Rien n’est plus représentatif du Paris-Roubaix que ses secteurs pavés. Ces derniers ne sont en effet pas seulement la difficulté qui fait la spécificité de la classique, mais font aussi partie de son patrimoine, et même du patrimoine mondial du cyclisme. Aussi les pavés sont-ils chéris par les différents acteurs qui œuvrent en coulisses pour le Paris-Roubaix. Les mains qui travaillent dans l’ombre et qui sont en première ligne pour protéger le parcours sont avant tout des bénévoles, ceux de l’Association des amis de Paris-Roubaix. L’association, créée en 1972, compte environ 200 membres français et européens, et a pour mission la préservation des secteurs pavés sans qui le Paris-Roubaix ne serait plus le Paris-Roubaix. L’idée est venue de la prise de conscience de la menace qui pesait sur l’épreuve et qui obligeait à des changements de parcours incessants: pour fixer le parcours, on décida de le protéger.

Des membres de l’Association des Amis de Paris-Roubaix œuvrant à la préservation des célèbres pavés de l’épreuve. Crédits: Otto Von Viani
Soutenue par ASO, le conseil régional des Hauts-de-France, le conseil départemental du Nord et le Ministère de la Jeunesse et des Sports, l’association œuvre donc à la sensibilisation du public et des autorités pour protéger les secteurs pavés. Il faut prendre conscience en effet que même si les mentalités changent et que les pavés sont devenus la fierté de la région (alors qu’auparavant leur désuétude participait à l’image d’un Nord défavorisé), certains de leurs tronçons sont toujours menacés de disparition au profit de revêtements plus modernes. L’association travaille ainsi actuellement à la signature d’une convention de protection patrimoniale. Les derniers alliés du Paris-Roubaix sont les lycées horticoles de la région (Raismes, Douai, Lomme et Dunkerque) dont les élèves aident aux travaux sur le parcours. Une initiative intéressante pour les étudiants qui œuvrent sur le terrain plutôt qu’en simulation au lycée et justement, les travaux sont fondamentaux pour la bonne tenue de la course.
Pour certains, le Paris-Roubaix, c’est toute l’année
Une grande partie de l’œuvre de ces bénévoles se situe sur le terrain, avec l’entretien et la rénovation des secteurs pavés. Ces travaux, qui s’effectuent alors qu’aucun projecteur n’est braqué sur la course mythique, sont pourtant au cœur de la préservation du parcours. Le temps n’épargne pas les pavés: passages de poids lourds, accotements non entretenus, fossés remblayés, eau stagnante, macadam qui empêche l’évacuation de l’eau et qui menace la chaussée d’inondation…
Différentes opérations doivent donc être effectuées. Il peut s’agir de refaire les bordures ou encore les joints, mais parfois c’est un travail autrement plus difficile: les bénévoles doivent alors repaver entièrement un tronçon, sans parler de la reconstruction complète de secteurs disparus. Par exemple, cette année les bénévoles étaient en mars sur trois fronts: au Moulin de Vertain, à Bourghelles et à Mons-en-Pévèle. Cependant, il faut savoir que ces travaux se déroulent tout au long de l’année, et en dépit des intempéries qui peuvent réellement compliquer la tâche.
Et si le Paris-Roubaix était plus facile qu’avant ?
On peut se demander si cet entretien des secteurs pavés a une influence sur leur difficulté. Frédéric Guesdon, vainqueur de l’épreuve en 1997, a fait remarquer dans une interview pour Le Parisien que les pavés étaient moins durs à présent qu’à l’époque de Marc Madiot, en sous-entendant que ce devait être encore plus difficile auparavant. Alors, syndrome du « c’était mieux avant » ? Pas forcément, il vrai que l’entretien des pavés les rend sans doute plus praticables, mais leur état ne serait pas l’unique facteur.
Si le Paris-Roubaix est moins difficile, cela peut refléter une évolution du cyclisme en général, notamment avec l’évolution et l’amélioration du matériel qui facilite les choses aux coureurs. Les équipes s’ingénient aussi à fournir aux coureurs du matériel adapté pour leur donner un maximum de confort: pneus avec sections plus grosses de 28 à 30 mm, et pour certains, cadres dotés d’amortisseurs… un luxe dont n’ont pas profité les générations précédentes. Mais cela est un autre débat, et l’on peut se rassurer avec le fait que le Paris-Roubaix reste de toute façon une course sélective et difficile qui met les coureurs à rude épreuve, et qui porte bien son surnom d’Enfer du Nord.
Crédits photo à la Une: tetedelacourse