Alors que le Tour de France s’est achevé il y a un mois, les suspicions ne se sont pas dissipées. Et pas seulement autour de son vainqueur intouchable, le Slovène Tadej Pogacar, mais aussi autour d’autres équipes. Le cyclisme semble une nouvelle fois à un tournant de son histoire. Reste à savoir s’il prendra cette fois-ci le bon virage face au dopage.
Comme en 2020, il était tout sourire sur les Champs-Élysées. Sans doute plus serein à la vue de la physionomie de la course, dominée sans aucun partage à partir des Alpes. On ne parle pas ici de Tadej Pogacar, désormais double vainqueur du Tour de France à l’âge de 22 ans seulement. Ici, on évoque bien évidemment son manager général chez UAE Emirates, José Rodriguez, plus connu sous le nom de « Matxin » dans le peloton.
Le Tour des France des doutes
Il faut dire que tricher n’a jamais rien de bon mais, dans le cyclisme, ce n’est pas forcément quelque chose de mal non plus. Après avoir accompagné un programme de dopage intensif chez la Saunier-Duval des Ricco et Piepoli, Matxin est toujours là. Il y a d’ailleurs, dans l’attaque de Pogacar à 30 kilomètres du Grand-Bornand, un air de déjà vu, celui d’un Ricardo Ricco attaquant dans l’Aspin à… 30 kilomètres de l’arrivée de la neuvième étape du Tour de France 2009 et s’imposant sans trop de difficulté au nez et à la barbe du groupe maillot jaune.
Pas de chance, quatre jours plus tard, son contrôle antidopage au contre-la-montre de Cholet, pas très loin de là où Pogacar a écrasé les meilleurs rouleurs du peloton, se révèle positif à l’EPO. Le passage de Ricco dans le monde du cyclisme aura été aussi rapide que son ascension dans le peloton, à la différence que la furtivité du passage était méritée et non son ascension.
Pogacar, début d’un règne ?
Quoiqu’il en soit, Matxin n’a pas aussi sombré que son « champion » italien. Loin de là, il est désormais à la tête d’une équipe qui possède un coureur qui marche sur le Tour de France et dans laquelle il retrouve son vieux compère de la Saunier-Duval, Mauro Gianetti. Inattendu l’année passée avec le choc de la Planche des Belles Filles, Pogacar a cette année contrôlé la course, écœurant la concurrence dès la première étape de haute montagne.
Petit pays d’un peu plus de deux millions d’âmes, la Slovénie est la nouvelle nation forte du cyclisme. Avec quelques doutes. L’affaire Aderlass est venue rappeler la présence toujours effective du dopage dans le monde du sport. Au milieu de cette affaire germano-autrichienne, quelques noms de coureurs slovènes, dont l’ancien sprinter Borut Bozic, sont venus se glisser. Le cyclisme slovène est particulièrement surveillé d’autant plus que le nom de Milan Erzen revient avec insistance. La coïncidence ? Bozic a été directeur sportif chez Bahraïn-Victorius et Erzen en est désormais le manager général.
Bahraïn-Victorius, l’énigme du Tour
Si le Team UAE Emirates est loin de faire l’unanimité avec ses deux têtes pensantes au passé englué dans le dopage, la Bahraïn-Victorius a décidé de ne pas prendre de pincettes sur ce Tour de France. Et encore, même si elle n’a pas pu s’empêcher de remporter le classement par équipes, notamment aidée par… son sprinter italien Sonny Colbrelli, à la lutte pour le maillot vert en première semaine et troisième à Tignes quelques jours plus tard. Disons que l’autre équipe des Emirats aurait pu encore plus nous « amuser » durant ce Tour de France.
Jack Haig, équipier chez Mitchelton-Scott mais leader de Grands Tours depuis qu’il porte le maillot de la Bahraïn-Victorius, a chuté et abandonné très tôt dans la course. Gino Mäder, seul coureur de l’équipe à adhérer au Mouvement Pour un Cyclisme Crédible (MPCC), était en forme sur le Tour de Suisse, après avoir remporté une étape du Giro et quitté la course lors de la onzième étape, mais il n’a pas été intégré. Pire encore, l’Ukrainien Mark Padun, qui volait sur les deux étapes de haute montagne du Dauphiné, remportées par lui-même bien évidemment, n’a pas été inclus non plus. Cela aurait fait sans doute trop. Et pourtant, cela a déjà été trop.
Perquisition et polémique
Wout Poels, qui vit une seconde jeunesse depuis son arrivée chez Bahraïn, s’est battu pour le maillot à pois rouges jusqu’au bout mais est tombé sur plus fort que lui, Tadej Pogacar. Dylan Teuns, réellement lancé à partir de sa venue dans l’équipe, a remporté une étape au Grand-Bornand. Et Matej Mohoric a remporté deux bouquets en solitaire, écrasant ses compagnons d’échappée sans grand soucis à chaque fois, se permettant même de dire aux détracteurs de garder leurs bouches fermées. Un geste tout droit inspiré des meilleurs, le bien nommé Lance Armstrong, qui imposait la loi du silence dans le peloton et se vantait de ne pas être contrôlé positif. Jusqu’à ce que bien sûr la pression soit un peu trop forte et qu’il se réfugie chez Oprah Winfrey pour tout avouer.
Soit Matej Mohoric n’a effectivement rien à se reprocher, soit il bluffe. Dans tous les cas, une enquête préliminaire a bien été ouverte par le parquet de Marseille à l’encontre de l’équipe, pour acquisition et détention de produits dopants, et une descente de police a eu lieu à son hôtel à Pau, lors de la dernière semaine de course. Une sorte de cerise sur le gâteau, mais personne n’a franchement été surpris à ce que ce soit chez Bahraïn-Victorius, tant les performances étonnent.
Sans oublier le vétéran Damiano Caruso, deuxième du Giro, bien aidé par Pello Bilbao, treizième du Tour d’Italie et qui n’a pas pu résister à l’idée de briller également sur le Tour de France dont il a pris la neuvième place. Depuis qu’il a quitté la Caja-Rural en 2017 pour Astana, l’Espagnol se découvre de surprenantes qualités pour les classements généraux de Grands Tours… En tous cas, comme pour UAE Emirates, Bahraïn-Victorious ne s’embête pas avec le passé de ses directeurs sportifs.
Il serait beaucoup trop long de s’embarrasser à tous les décrire alors concentrons-nous sur les deux qui ont accompagné l’équipe lors de son merveilleux et féérique Tour de France. L’Allemand Rolf Aldag tout d’abord. Il a avoué s’être dopé à l’EPO lorsqu’il était chez Telekom. Mais seulement en 2007, une fois que tout le monde se doutait qu’Ullrich, Zabel, Hondo ou encore Vinokourov ne marchaient pas tous à l’eau claire dans l’équipe allemande. Puis l’Espagnol Xavier Florencio Cabre qui n’avait pas pris le départ du Tour de France 2010 à cause d’un contrôle positif à l’éphédrine, substance qui permet notamment de réduire la sensation de fatigue. Bref, du très beau monde pour accompagner une équipe qui évoque de nombreux doutes.
Deceuninck-Quick Step et Jumbo-Visma, l’ombre d’un doute
Obnubilés par les performances d’UAE Emirates et de Bahraïn-Victorius, nous oublions presque d’évoquer la Quick-Step et la Jumbo. Elles font pourtant partie des 4 Fantastiques, ces quatre équipes qui ont marché sur le Tour de France 2021 avec des victoires dans tous les classements généraux et quinze victoires d’étape sur 21. Les autres n’ont eu que des miettes et Ineos passerait presque pour une équipe quelconque dans ce paysage.
La Deceuninck-Quick Step en premier lieu, nom célèbre du peloton qui égrène les victoires sur les Monuments et classiques, avait déjà connu un petit tremblement de terre en 2007 lorsqu’un journal belge avait révélé une affaire de dopage organisé au sein de l’équipe, sans pour autant parvenir à la coincer jusqu’au bout. Le journal avait finalement été condamné. Le médecin légendaire du Team, Yvan van Mol, lui, officie toujours malgré un passé très lourd à son actif. Sur ce Tour de France, elle a vu Julian Alaphilippe rouler sur la première étape pour l’emporter et prendre le jaune, puis elle a vu la résurrection de Mark Cavendish, vainqueur de quatre étapes et rejoignant Eddy Merckx au nombre de bouquets collectés sur la Grande Boucle.
La surprise Vingegaard
La Jumbo-Visma a, elle, connu une course particulière. La formation néerlandaise a terminé à quatre, perdant son leader principal et dauphin du dernier Tour, le Slovène Primoz Roglic, puis Steven Kruijswijk, deuxième dans la hiérarchie et le lieutenant Robert Gesink, ainsi que le capitaine de route Tony Martin. Mais alors que même l’Américain Sepp Kuss semblait en-dessous de ses capacités – tout de même vainqueur de l’étape d’Andorre – Jonas Vingegaard, quatrième dans la hiérarchie, s’est révélé au point d’être le meilleur coureur de ce Tour derrière Tadej Pogacar, une étonnante mutation et une arrivée à maturité sans doute plus tôt que prévue pour celui qui avait achevé la Vuelta 2020 à la 46e place.
Aucun de ses résultats cette saison ne laissait en tout cas présager un tel niveau, tant et si bien qu’il n’était qu’un lieutenant de Roglic au départ de cette Grande Boucle. Héritière de la Rabobank, la Jumbo a néanmoins depuis fait le ménage dans son organigramme, de quoi laisser planer de moindres doutes par rapport aux autres formations citées plus haut.
Ne pas commettre les erreurs du passé
Mais si ces quatre équipes apparaissent ici, c’est aussi parce qu’un article de Pierre Carey pour Le Temps a fait l’effet d’une bombe en fin de Tour. Le journaliste y relate le témoignage anonyme de trois coureurs qui ont décidé d’enquêter seuls suite à d’étranges bruits qu’ils auraient entendus, émanant de la roue arrière de certains vélos. Ces vélos seraient ceux des quatre équipes citées ici.
L’exaspération est donc présente dans le peloton même si nous ne savons pas à quel point. Une chose est sûre, l’écart entre ces équipes et le reste des prétendants est assez immense, peut-être trop. Et si le cyclisme était une nouvelle fois à un tournant de son histoire, un tournant qui demandait cette fois-ci de ne pas attendre quinze ans avant d’agir ? La première façon d’agir serait peut-être déjà de se débarrasser d’anciens dopés qui ont tout loisir d’exercer dans un milieu qu’ils ont mis à mal. Néanmoins, il semblerait que le milieu du cyclisme oublie parfois un peu trop vite.