Alors qu’une génération dorée semble émerger du cyclisme tricolore, un problème récurrent fait tache: l’exercice du contre-la-montre voit les coureurs français échouer année après année, multipliant les déceptions et accentuant la sensation de gâchis. Dossier.
Vingt ans. Vingt ans qu’un coureur français n’a pas décroché un titre de champion du monde de contre-la-montre depuis le sacre de Laurent Jalabert, en 1997, sur les routes escarpées de San Sebastian en Espagne. Une éternité dans le monde de la Petite Reine. En deux décennies, des générations de cyclistes tricolores talentueux se sont succédé, sans qu’aucune ne vît en son sein un athlète pouvant performer dans cette épreuve. Un manque criant de résultats passé sous silence durant de nombreuses années, mais qui semble ressurgir depuis quelques saisons déjà. En cause: les échecs dans les Grands Tours de coureurs français brillants qui voient en l’exercice du contre-la-montre le recueil de toutes leurs peines. Retour sur ce problème franco-français.
Le chrono, là où se jouent les Grands Tours
Le 27 mars dernier, Thibaut Pinot (FDJ) se trouvait dans une position spéciale, à la croisée des chemins de sa jeune carrière. « Thibaut peut rentrer dans l’histoire en allant chercher un titre exceptionnel« , expliquait d’ailleurs Marc Madiot, son manager général. « C’est la première fois, en 20 ans, que l’équipe FDJ jouera la gagne d’un Grand Tour« , poursuivait-il à l’époque, non sans une pointe d’émotion. En effet, son poulain, vainqueur de la vingtième et avant-dernière étape du Giro, se plaçait troisième au classement général, à l’aube d’un contre-la-montre court (21 kilomètres) et plat comme la main, arpentant les rues de Milan. Le maillot rose, qui n’était autre que le Colombien Nairo Quintana, réputé mauvais rouleur mais excellent grimpeur, avait réussi à prendre quelques longueurs d’avance au général sur Vincenzo Nibali (deuxième à 39″), Thibaut Pinot (troisième à 43″) et enfin Tom Dumoulin (quatrième à 54″).
Sauf que voilà: le Néerlandais Tom Dumoulin (Sunweb) aura su mettre à profit ses prédispositions à l’épreuve chronométrée et empocher le classement général final. Thibaut Pinot, champion de France de la discipline à l’époque, passera lui à côté de l’étape, « pas les jambes » ce jour-là. Proche d’un sacre historique, le natif de Mélisey verra en juillet son compatriote Romain Bardet (AG2R-La Mondiale) voir la malédiction se répéter, relégué à 2’20″ de Chris Froome (Sky) au général à l’issue de l’avant-dernière étape du Tour de France, un contre-la-montre de 22 kilomètres dans les rues Marseille. Un résultat une nouvelle fois décevant, d’autant plus que l’Auvergnat était classé deuxième au général avant l’étape (à 23″ de Froome) et alors même qu’il a sauvé à Marseille sa place sur le podium pour une petite seconde devant Mikel Landa (Sky), quatrième au classement général final.
Un problème de formation évident
« Quand un jeune marche bien dans le chrono, on va vouloir en faire un bon coureur ailleurs aussi. Et on le fera courir des courses par étapes, du coup, le contre-la-montre, on le fera passer au second plan…« , avance Frédéric Moncassin, ancien sélectionneur de l’équipe de France (2004-2008). A la vue de ce constat sans appel, la Fédération française de cyclisme (FFC) semble dès lors responsable du manque cruel de réussite des coureurs français dans l’épreuve chronométrée. La tradition tricolore semble avoir quant à elle un certain impact: « On passe beaucoup trop de temps à penser au Tour ! On en oublie le reste, le chrono, les classiques…« , explique pour sa part Bernard Hinault, dernier vainqueur français du Tour de France (en 1985). En parallèle, chez les jeunes, une certaine barrière financière semble être un véritable obstacle à la pratique: le coût que représente l’achat d’un vélo de contre-la-montre est élevé, qui plus est dans la mesure où il vient s’ajouter à un équipement de base déjà couteux.
Un manque de talent incontestable
« Intrinsèquement, il faut trouver le champion. Certains s’en approchent, mais le niveau d’aujourd’hui est tellement exigeant que l’on retrouve toujours les mêmes. Le chrono, il faut l’avoir dans la peau« , acquiesce Christian Guiberteau, directeur sportif de l’équipe Cofidis. Si les politiques sportives mises en place au niveau national semblent avoir leur part de responsabilité, il n’est cependant incontestable que des pays brillants dans l’exercice du chrono comme le Royaume-Uni (Froome, Wiggins…), les Pays-Bas (Dumoulin…) ou encore certains pays de l’Est (Pologne, Slovénie…) ont en leurs effectifs des coureurs taillés pour rouler, issus de générations dorées. « Tu peux aisément faire progresser un rouleur en montagne par le biais d’exercices spécifiques, mais faire progresser un grimpeur sur l’exercice du contre-la-montre, c’est une autre histoire« , expliquait récemment Jérôme Pineau, actuel manager général de l’équipe Vital-Concept. « Tu pourras peut-être faire gagner une poignée de secondes au kilomètre à un coureur en l’entraînant sur l’exercice du chrono, mais pas plus. Cela doit être inné« , poursuivait-il.
Le risque d’une génération marquée par le gâchis
Alors que les vainqueurs de Grands Tours – voire même de courses par étapes d’une semaine – sont désormais des rouleurs hors pair, la jeune armada de cyclistes tricolores d’avenir, aussi talentueuse soit-elle, semble quelque peu vouée à l’échec pour la gagne sur un Grand Tour. Hormis peut-être Pierre Latour (AG2R-La Mondiale), champion de France en titre de la discipline, Corentin Ermenault (Vital-Concept), troisième du championnat du monde espoirs, et quelques autres (Rémi Cavagna…), l’avenir ne semble pas au beau fixe pour le cyclisme français quant à l’épreuve chronométrée. Plus inquiétant encore, des coureurs capables de briller sur le classement général d’une course à étapes de trois semaines – Warren Barguil (Fortuneo-Oscaro), Romain Bardet (AG2R-La Mondiale) ou Thibaut Pinot (FDJ) – ont d’ores et déjà montré leurs limites sur l’exercice…
Crédits photo à la Une: Ludovic Péron