Si d’année en année la panoplie du cycliste professionnel évolue et se modernise (oreillette, écart GPS, compteur avec capteur de puissance), il existe une constante qui ne change pas : avant chaque course, il doit épingler son dossard sur son maillot, sur lequel figure son numéro – toujours – et son nom – parfois -. Pour combien de temps encore ? Retour sur l’histoire de ce petit bout de tissu en voie de disparition et le plus célèbre d’entre eux dans l’histoire de la petite reine : le dossard n° 51.
La relation du coureur cycliste à son dossard
Le cycliste et son dossard, l’histoire d’amour dure depuis plus d’un siècle désormais – le vélo est avec l’athlétisme le premier sport a avoir adopté le système de numérotation des coureurs dès la fin du XXème siècle – et pourtant elle semble souvent laissée de côté dans la littérature sportive. Pourtant, la symbolique du dossard est encore aujourd’hui forte dans le peloton professionnel, et les expression “épingler son dossard” ou “retirer son dossard” sont des constantes qui reviennent toutes les semaines sur les courses aux quatre coins du monde, que ce soit dans le monde professionnel ou chez les amateurs. Alors les dossards des coureurs – dont l’impression est à la charge de l’organisateur de la course, reconnu ou pas – sont-ils tous les mêmes ? Et bien non ! Aujourd’hui encore, à l’heure de la “normalisation” et de la standardisation à outrance de notre société, le dossard résiste. En effet il en existe encore de différents types : dossard papier (fin ou épais c’est selon), dossard adhésif (qui ne colle jamais bien longtemps, à cause de la pluie, du vent ou de la transpiration et auquel il faut souvent rajouter une épingle de secours), dossard en tissu ou même en PVC : au vu de la multitude des modèles, aucun ne semble donner entière satisfaction, notamment au niveau des coureurs eux-mêmes. Pour les tailles, là aussi c’est la foire d’empoigne : alors que l’Union Cycliste Internationale (UCI) stipule dans son règlement une dimension type : 18×16 cm pour le “carré” et 10 cm de hauteur et 1,5 cm d’épaisseur pour les chiffres…
Pour autant, les dimensions ne sont souvent pas respectées et il n’est pas rare de trouver des dossards trop hauts et/ou larges par rapport aux poches des maillots, et les coureurs doivent alors se transformer en couturière du dimanche. Pour autant, pour un coureur, épingler ou raccrocher un dossard conserve aujourd’hui encore une signification toute particulière pour les coureurs du peloton, un peu comme les footballeurs ou les tennisman qui “raccrochent leurs crampons ou leur raquettes”. Cela fait même parti de la gestuelle quotidienne, et la plupart ont souvent même des superstitions, comme la plupart des sportifs professionnels. Chacun à sa technique, notamment sur les courses à étapes comme le Tour de France : certains le laisse collé tous les jours et attendent qu’il se décolle dans la machine de l’hôtel pour le changer, d’autres prennent le soin de l’enlever tous les soirs, pour le remettre uniquement le lendemain matin lors de la causerie d’équipe à l’arrière du bus. Certains allant même jusqu’à effectuer une sorte de cérémonial en laissant le dossard et le maillot étendus sur ou à côté du lit. La superstition du champion.
Si lors des étapes en ligne le dossard ne joue pas un rôle fondamental sur le scénario de la course, il peut en être autrement lors des épreuves Contre-la-Montre, notamment sur des distances très courtes comme les prologues (moins de 10km), où la victoire se joue souvent à la seconde, voire au dixième. Dans ce genre d’épreuve, le cycliste tend à rationaliser au maximum son efficacité et donc la pénétration dans l’air : tests en soufflerie au cours de l’hiver, vélos allégés, guidons de triathlète, poche dans le dos pour d’hydrater (pas de bidon), casque profilé, combinaison intégrale, etc.. Dans cette chasse aux micros gains, le dossard a toute sa place, car un dossard qui flotte aux vent peut faire perdre de précieux centièmes, et passablement énerver son porteur. Pour assurer, certains optent pour du scotch double face et compètent avec des épingles, mais attention tout de même à ne pas trop le tendre : s’il se déchire, c’est la cata….
Le dossard 51 : mythe ou réalité ?
Plus que sur n’importe quelle autre course cycliste au cours de l’année, sur le Tour de France, tout est amplifié, décortiqué, analysé à la loupe. L’histoire des dossards des coureurs n’échappe pas à la règle. Si vous suivez un peu le monde de la petite reine, vous savez certainement qu’en terme de numérotation, chaque leader porte un numéro de dossard se finissant pat le chiffre 1 (1, 11, 21, 31….201) et ses 8 coéquipiers les 8 chiffres qui suivent. Le vainqueur de l’édition précédente porte quant à lui le numéro 1 : sur le Tour 2015 ce sera donc Vicenzo Nibali de l’équipe Astana, vainqueur en 2014 – JC Péraud portera le 21 et Thibaut Pinot le 31 -. Outre le dossard numéro 1 qui reste le dossard qui a remporté le plus de victoire finale sur le Tour avec 24 victoires voici la liste des dossards vainqueurs de la grande boucle :
– Dossard n°11: 6 victoires
– Dossard n°2 : 5 victoires
– Dossards n°15, 21 et 51 : 4 victoires
– Dossard n°33 : 3 victoires
– Dossard n°4, 7, 12, 13, 14, 31, 36 et 141 : 2 victoires
– Dossards n°3, 5, 6, 8, 10, 19, 23, 25, 32, 35, 38, 41, 45, 48, 61, 68, 72, 78, 80, 81, 91, 94, 97, 101, 112, 123, 131 et 171 : 1 seule victoire
Parmi toute cette liste, il en est un qui qui est rentré dans la légende et qui est aujourd’hui considéré comme “LE” numéro mythique : le 51. Non pas du fait que l’apéritif anisé soit une boisson très en vogue dans les camping-cars qui attendent le passage des coureurs le long de la route, mais bien car il a pendant de longues années participé à l’écriture de grands chapitres de l’Histoire du Tour, principalement dans les années 70-80. Explications. L’histoire du dossard 51 commence lors du Tour de France 1969, lorsqu’un jeune belge de 24 ans remporte sa 1ère grande boucle : son nom Eddy Merckx. Celui qui sera surnommé quelques temps plus tard “le cannibale” est donc le précurseur du mythe du dossard 51. La légende s’accentue d’ailleurs lorqu’en 1973, l’espagnol Luis Ocana remporte à son tour le Tour pour la première fois de sa carrière – alors qu’il avait jusqu’ici souvent joué de malchance – avec ce même dossard 51, alors que Merckx restait sur 4 victoires consécutives (1969,70,71 et 72, dont les 3 dernières avec le dossard 1) ! En 1975, à l’apogée de la suprématie du cannibale belge, le français Bernard Thévenet, estampillé de son dossard 51 de l’équipe Peugeot, réussit l’incroyable exploit de battre Merckx et de remporter le premier de ses 2 Tours de France (1975 et 77). Seulement trois années plus tard, Tour 1978, Bernard Hinault, remporte à seulement 24 ans lui aussi, son 1er Tour de France avec le dossard….oui 51, vous l’aurez deviné. Ainsi, en une décennie seulement, le n°51 s’est construit sa légende, avec pas moins de 4 victoires finales sur le Tour de France, avec 4 vainqueurs différents, tous vainqueurs de leur premier Tour ! Bon depuis 1978, il faut avouer que le mythe à un peu de plomb dans l’aile – en même temps, n’est-ce pas ce qui fait la beauté d’une légende ? – car cela fait désormais 35 ans qu’aucun coureur n’a remporté la Grande Boucle avec ce numéro.
Pire même, certain n’ont pas hésité à un moment donné à lui donner un caractère maudit après que Pedro Delgado ait terminé 2ème derrière Stephen Roche en 1987, tout comme Gianni Bugno, dauphin de Miguel Indurain en 1991, tous les deux auréolés du dossard 51…Heureusement, au cours de cette dernière décennies, certains exemples sont venus redorer le blason du dossard mythique : notamment Laurent Jalabert en 2002, qui – s’il ne gagne pas le Tour – remporte le maillot à pois du meilleur grimpeur et le prix de la combativité après un Tour de France exceptionnel. Plus près de nous, en 2010 – certes pas sur le Tour de France – le suisse Fabian Cancellara remporte de manière magistrale en solitaire Paris-Roubaix avec le maillot de champion de Suisse sur les épaules : la dernière grande victoire du dossard 51.
Vers un dossard à l’année ?
Se pose aujourd’hui une question légitime : est-il encore légitime en 2015 de devoir épingler un dossard en papier ou adhésif sur un maillot, alors que dans la plupart des autres sports, le numéro et le nom sont attribués à l’année, et son floqués/imprimés directement sur le maillot ? Avec 26 possibilités de lettres agrémentées de 10 chiffres, les combinaisons possibles sont infinies ou presque. Cette question, dans le monde du cyclisme, peut déranger, dans la mesure où comme nous l’avons vu le dossard fait partie intégrante de son histoire. Cependant, nous sommes obligés de poser cette hypothèse, car le sport évolue et se modernise, et le cyclisme ne peut échapper à la règle, il en va de son avenir. Alors qu’entrainera une telle évolution ? Réponses en quelques points :
– Une évolution du règlement UCI : aujourd’hui, l’article 1.3.076 de l’UCI stipule que les coureurs “doivent veiller à ce que leur numéro d’identification soit toujours bien visible et lisible” : cela explique le fait que quand il pleut et que les coureurs enfilent k-way et autres vestes, il est courant que les amendes tombent pour non respect dudit article. Avec un numéro et nom imprimé sur le maillot, il n’est pas dit que cela facilite l’identification, notamment pour des problèmes de taille de typographie. Et oui, il faut bien que les commissaires aient un moyen d’identifier facilement les coureurs…
– La symbolique du dossard 1 et du vainqueur sortant sur une course. Il est clair que voir s’aligner le vainqueur sortant du Tour de France avec un dossard 6542 aura moins fière allure. De plus, entre eux les coureurs s’inspectent les uns des autres, et identifient facilement les leaders des autres équipes, portant tous un dossard se terminant par 1.
– Idem pour la symbolique des dossard distinctifs, notamment sur le Tour de France : le dossard rouge du plus combatif, ou les dossards jaunes de leader du classement par équipe. Autre exemple : le dossard noir de dernier du classement général sur le Giro d’Italia.
– Question économique : dans la plupart des courses, l’organisation vend des “encarts publicitaires” sur les maillots à ses différents sponsors – autorisés par l’UCI sur une bande de 6cm en bas des dossards – qui se voient proposer une belle opportunité d’exposition médiatique. Se priver de dossards obligerait les organisateurs à se priver d’une manne financière non-négligeable. Quand on connait le nombre de courses qui disparaissent pour raisons budgétaires…
Au final, qu’on se le dise, le dossard semble encore avoir de beaux jours devant lui dans le monde très conservateur de la petite reine, et au final, c’est tant mieux !
Crédits photo à la une: Rob Noble