La saison 2018 a offert du spectacle avec des courses souvent animées mais également parfois décriées, en témoigne le Tour de France 2018 qui ne restera pas dans les annales. Et si la meilleure course de l’année fut l’épique Giro d’Italia, son vainqueur Christopher Froome est très loin de faire l’unanimité depuis la révélation de son contrôle anormal au salbutamol il y a un peu moins d’un an et les conditions de cette révélation. Cela n’a pas empêché le cyclisme britannique d’écraser les Grands Tours, laissant les Monuments aux nations plus historiques.
La Grande-Bretagne implacable
Depuis l’arrivée de la Sky en 2011 dans le peloton World Tour, la Grande-Bretagne avait, avant 2018, remporté six Grands Tours, tous conquis par l’équipe de Dave Braislford et par deux coureurs: Bradley Wiggins, premier britannique en jaune sur les Champs-Elysées, et Chris Froome, qui a remporté cinq Grands Tours dont quatre Tours de France. Cette année, les britanniques ont franchi un cap avec deux nouveaux membres du cercle restreint des vainqueurs de Grands Tours outre-Manche et surtout le premier coureur non-Sky à en gagner un: Simon Yates. Vous l’aurez compris, trois coureurs différents d’une même nationalité ont remporté les trois Grands Tours cette saison, du jamais vu dans l’histoire du cyclisme. On a bien eu un 100% français en 1964 et un 100% espagnol en 2008 mais Jacques Anquetil et Alberto Contador avaient remporté deux Grands Tours. Le cyclisme britannique a donc étoffé son palmarès sur le tard, non sans suspicion de la part de nombreux suiveurs. Ces derniers étaient plutôt mécontents de voir Chris Froome s’aligner sur le Giro d’Italia et réaliser une masterclass lors de la 19ème étape où, réalisant un raid solitaire de 80 kilomètres, il écrasait la concurrence et prenait le maillot rose à un Simon Yates en perdition ce jour-là. Malgré cet effort intense, il conservait sans difficulté la tunique rose le lendemain alors que Thibaut Pinot s’écroulait lui aussi si près du but, si près du podium. Froome, au moment de s’élancer sur le Tour, était tenant du titre des trois Grands Tours. Il aurait pu ne pas défendre son titre sur le Tour si l’UCI avait conforté ASO dans sa démarche d’exclure le britannique de sa course. Il en fut tout autre.
Mais même Froome ne fut pas capable de doubler le Giro et le Tour. Troisième du Tour, Froome ne fut cependant pas loin de réaliser cet exploit qui en aurait dégoûté plus d’un. Néanmoins, quand Froome montre ses limites, c’est un autre Sky qui sort de l’ombre, un ancien pistard, reconverti en classicman puis en prétendant au jaune. Curieux parcours pour le gallois Geraint Thomas qui triompha sur les Champs-Elysées, montrant à peu près la même expression faciale pendant trois semaines, une expression impassible, ne ressentant aucune joie ou souffrance avant d’enfin laisser éclater ses émotions après 21 étapes qu’il a contrôlées avec son équipe d’une main de fer, sans possibilité pour ses concurrents. On aura bien cru en Primoz Roglic, se révélant pour la première fois en véritable prétendant au classement général d’un Grand Tour, ou en Tom Dumoulin, le Raymond Poulidor de l’année: deuxième du Giro, deuxième du Tour, deuxième du contre-la-montre par équipes et du contre-la-montre individuel à Innsbruck et comme cela ne suffisait pas, quatrième et au pied du podium lors de la course en ligne de ces mêmes championnats du monde. Pas de chance pour le néerlandais qui a néanmoins eu le mérite d’être d’une régularité sans faille cette saison.
Alors que l’Espagne allait offrir un terrain de jeu favorable aux grimpeurs et puncheurs du peloton, les britanniques ont sorti une nouvelle arme plus adaptée aux terrains ibériques. Simon Yates, qui a explosé cette saison, avait connu une bien mauvaise aventure sur le Giro où la victoire lui tendait les bras. Survolant les deux premières semaines, levant les bras trois fois, il avait écœuré toute la concurrence avant de buter sur cette fameuse 19ème étape qui a construit le sacre de son compatriote Chris Froome. Apprenant de ses erreurs, il a offert à Mitchelton-Scott son premier sacre sur un Grand Tour après le rendez-vous manqué d’Esteban Chaves sur le Giro 2016. C’est un travail de longue haleine qui paye pour l’équipe australienne et pour le directeur sportif Matt White. Yates a su parfaitement gérer les trois semaines cette fois-ci, remportant une seule étape. La Vuelta 2018 a été marquée par l’incroyable jeunesse du podium, Yates étant finalement le plus vieux, à 26 ans, du trio de tête complété par Enric Mas, la surprise de cette édition et l’espoir de tout un pays espagnol dont le cyclisme vieillit, et Miguel Angel Lopez, qui confirme cette saison avec également une troisième place sur le Giro. Mais en 2018, à la fin des Grands Tours, ce sont les britanniques qui l’emportaient à chaque fois. Et il ne vous échappera pas que c’est un britannique qui remporte le classement individuel UCI World Tour de l’année: Simon Yates, encore lui.
Cinq nationalités différentes pour les Monuments
Ces dernières années, les Monuments offrent une étonnante diversité dans un cyclisme où les nations historiques se partagent les Monuments. Si 2018 n’échappera pas à la règle avec un italien, un hollandais, un luxembourgeois et un français notamment au palmarès, cette façon qu’ont les palmarès des Monuments à offrir un peu à chaque nationalité ces dernières années marquent l’essor d’un cyclisme qui s’internationalise et qui commence à offrir plus de chances à chaque pays. Alors oui, ce n’est pas demain qu’un coureur asiatique s’imposera sur la Doyenne ou l’Enfer du Nord, mais les belges ne remportent pas tout. Ils n’ont remporté aucun Monument cette saison et ont par ailleurs remporté seulement trois classiques en 2018 et pas forcément là où on les attend: Tiesj Benoot sur les Strade Bianche, Oliver Naesen sur la Bretagne Classics et Yves Lampaert sur A travers les Flandres. Sur les six dernières saisons, cinq saisons n’ont vu aucun belge remporter un Monument et quatorze nationalités sont représentées. Alors oui, on peut le dire, 2018 confirme cette diversification du cyclisme et ce n’est pas plus mal, la concurrence n’en est qu’augmentée, même si le spectacle tarde à se faire sentir, sans doute à cause de la technologie nouvelle. Mais bon, on ne va pas s’en plaindre, le 21ème siècle a quand même vu deux australiens remporter Paris-Roubaix. Tous les Monuments sauf un ont vu leur première marche du podium sortir des frontières européennes au 21ème siècle.
Le Tour des Flandres est actuellement le seul Monument n’ayant jamais vu un non-Européen lever les bras. Incontestablement, cela arrivera un jour. Ce ne fut pas le cas en 2018 qui a donc eu cinq nationalités différentes sur la plus haute marche du podium de chaque Monument. Vincenzo Nibali a remporté avec classe, élégance et maestria Milan-San Remo, Niki Terpstra a remporté en solitaire, bien évidemment, le Tour des Flandres, Peter Sagan a enfin vaincu l’Enfer du Nord et avec le maillot de champion du monde sur les épaules, Bob Jungels a pris la Doyenne tandis que Thibaut Pinot a remporté une intense édition 2018 du Tour de Lombardie. C’est également la première fois depuis 2013 qu’Alejandro Valverde ne remporte aucune classique World Tour, s’étant fait détrôner de « sa » Flèche Wallonne par son héritier français, Julian Alaphilippe. Mais alors que sa saison aurait pu être décevante, il a remporté le maillot arc-en-ciel à Innsbruck, enfin va-t-on dire, après six podiums infructueux qu’il avait commencés à collectionner depuis 2003.
Le meilleur pour la fin, les français
Naître dans les années 1990 et grandir avec le cyclisme du 21ème siècle n’a pas été simple pour les suiveurs français. Cela n’a pas non plus été simple pour tous ceux ayant connu les exploits d’illustres champions. Mais 2018 fut une année incroyable pour le cyclisme français. Il n’y a qu’à voir cette image incroyable dans le Gramartboden dans le final des championnats du monde pour comprendre à quel point le cyclisme français détient une génération brillante: Thibaut Pinot emmenant Romain Bardet, lui-même emmenant Julian Alaphilippe. Seuls Alejandro Valverde et Michael Woods pouvaient suivre ce trio français. Hélas, Alaphilippe ne tiendra pas et Romain Bardet échouera à la deuxième place derrière l’intouchable Valverde. Mais cette image est à retenir. Après plusieurs années où cette génération s’est cherchée, Thibaut Pinot mettant du temps à confirmer son podium de 2014 sur le Tour et Romain Bardet montant lui-même deux fois sur le podium du Tour sans décrocher de grande victoire à son palmarès, 2018 a confirmé toutes nos attentes.
Julian Alaphilippe a remporté haut la main la Flèche Wallonne et brillé sur le Tour (maillot à pois rouges et deux étapes), Romain Bardet a fait preuve d’une grande régularité (deuxième des Strade, troisième de Liège, troisième du Dauphiné, sixième du Tour, deuxième des Monde) et Thibaut Pinot fut le meilleur coureur de la fin de saison, enchaînant une Vuelta fantastique (sixième du général et deux victoires), une victoire sur Milan-Turin avant de triompher en solitaire et avec brio sur le Tour de Lombardie. Ce n’est que le deuxième français à remporter un Monument au 21ème siècle après Arnaud Démare sur Milan-San Remo en 2016. Les sprinters n’ont pas démérité cette année, Démare a remporté une étape du Tour devant Christophe Laporte, un doublé inédit pour un sprint massif sur la Grande Boucle, et Nacer Bouhanni a enlevé une étape de la Vuelta. Alors oui, plutôt que de vouloir comparer les coureurs français entre eux, peut-être pourrions-nous enfin savourer l’explosion de cette génération dorée et apprécier les résultats de chacun d’entre eux et indépendamment des autres. D’une part parce que ces coureurs le méritent et d’autre part parce que cela faisait longtemps que nous n’avions pas connu cela. Une seule chose à dire: vivement 2019 !
Crédits photo à la Une: Qatar Cycling Federation