Après une semaine de course, le Tour de France 2020 est encore loin d’avoir livré son verdict. Entre favoris prudents et petites surprises, le peloton a offert un visage mitigé, traumatisé par un début de Tour chaotique et attendant les grandes échéances pour entamer les manoeuvres importantes. Justement ce qu’il s’est passé ce week-end dans les Pyrénées.
Le traumatisme de la première étape
Ou plutôt les traumatismes. La première étape a réservé un traitement médiocre au peloton à cause d’une météo très capricieuse. La victoire d’Alexander Kristoff paraissait bien anecdotique au moment de compter les nombreuses blessures parmi les coureurs. Les chutes se sont succédées sur une route humide et la dernière survenue sous la flamme rouge a eu raison de Thibaut Pinot, du moins nous ne le saurons que quelques jours plus tard. Car après cette terrible journée autour de Nice, le peloton n’a voulu prendre aucun risque pour laisser un peu de répit et de souffle à l’ensemble de ses membres, si bien que personne ne semblait vraiment intéressé pour récupérer le maillot jaune et mettre son équipe au travail. Personne sauf Julian Alaphilippe bien évidemment.
Après ses 14 jours en jaune l’année dernière, le deuxième de Milan-San Remo au mois d’août voyait dans la deuxième étape l’occasion rêvée de récupérer une tunique si précieuse pour lui. Il a assumé jusqu’au bout. Dans le col des Quatre Chemins, dernière difficulté de la deuxième étape, Alaphilippe a attaqué après un relais appuyé de Bob Jungels, un démarrage que seul Marc Hirschi est parvenu à suivre, tandis qu’Adam Yates les a rejoints sans forcer un peu avant le sommet. À trois, ils sont allés au bout avec quelques hectomètres d’avance sur le peloton. Remportant l’étape et empochant les dix secondes de bonifications promises au vainqueur du jour, le Français s’est emparé du jaune, comme prédit d’avance.
Le défilé du peloton
Les quatre jours ayant suivi ce week-end inaugural dans la ville de Nice et sa région ont été assez étranges. Les organisateurs avaient prévu des arrivées en altitude assez tôt dans le tracé 2020. Le pari fut raté. On peut y voir la volonté pour les coureurs de se remettre des éventuelles blessures de la première étape. On peut également y voir un choix délibéré de ces mêmes coureurs, à la préparation tronquée, de ne pas se cramer avant une troisième semaine dantesque. ASO voulait de la montagne dès les premiers jours mais aussi de la très haute montagne en dernière semaine. Inutile de dire que lorsque l’on attend des arrivées au sommet du Grand Colombier et du col de la Loze ainsi qu’un contre-la-montre à la Planche des Belles Filles la veille des Champs, une série d’attaques dès la quatrième étape du Tour peut se payer très cher dans deux semaines.
C’est ainsi qu’après avoir admiré la très belle Sisteron, où Caleb Ewan a levé les bras, le groupe des favoris s’est disputé la victoire au sprint à Orcières-Merlette. Fort d’un travail particulièrement intense de ses coéquipiers, dont un relais époustouflant de Wout Van Aert, Primoz Roglic a envoyé un message à ses concurrents en s’imposant facilement au sprint devant Tadej Pogacar, l’étonnant Guillaume Martin, sur la poursuite de son Dauphiné, et Julian Alaphilippe, conservant le maillot jaune. Rien de bien méchant donc, rien d’alarmant non plus pour un Thibaut Pinot qui s’accrochait tant bien que mal à ce groupe des favoris.
RAS à Privas ou presque. Les jours se suivent et se ressemblent sur la route du Tour, si bien que la Deceuninck-Quick Step a décidé d’ajouter un peu de piment à une étape sans échappée remportée par Van Aert, intraitable depuis la reprise de la saison. Un inexplicable ravitaillement à 17 kilomètres de l’arrivée, un bidon sorti de nulle part et voilà Alaphilippe privé d’un nouveau jour en jaune à Privas à cause de vingt secondes de pénalité. Adam Yates, nouveau leader du classement général, en restera lui-même surpris.
C’est donc en jaune que le Britannique aborde une nouvelle étape de montagne avec une arrivée au sommet du Mont Aigoual jeudi dernier, après avoir franchi le col de la Lusette. Il n’a pas eu à s’employer puisque les favoris, à deux jours d’aborder les Pyrénées, ont décidé de se préserver, laissant l’occasion à une longue échappée de se disputer la victoire. À vrai dire, il n’y a pas vraiment eu de combat puisque Alexey Lutsenko a surclassé ses compagnons en partant seul dans la Lusette pour triompher en solitaire devant Jesus Herrada et Greg Van Avermaet. Derrière, le peloton a continué à défiler. Une dernière fois cependant.
La bordure qui change tout
Soudain, le peloton s’est réveillé. Un terrible désaveu pour ASO. L’organisateur de la Grande Boucle a dû se résigner à voir une première semaine s’emballer sur une étape de transition, en plaine, après avoir pourtant franchi Turini, Orcières-Merlette, la Lusette ou encore le Mont Aigoual. Profitant des difficultés placées en première partie d’étape entre Millau et Lavaur, la Bora-Hansgrohe de Peter Sagan a décidé de faire exploser le peloton pour se débarrasser des purs sprinters. Aidée par les Vital-Concept de Bryan Coquard, elle a rapidement creusé un écart rédhibitoire pour Ewan, Bennett ou encore Viviani. Mais cela ne représentait qu’une entrée avant un plat de résistance copieux à la sortie de Castres, que tous n’ont pas réussi à digérer. Impulsée par les Ineos-Grenadier, bientôt relayés par les Groupama-FDJ, les Astana ou encore Alaphilippe lui-même, la bordure a fait une victime principale en la personne de Tadej Pogacar. Avec 1’28 » de retard à Lavaur, où Van Aert a levé les bras une énième fois, le jeune prodige slovène a perdu gros. Pourtant, cette perte de temps va alors façonner une physionomie de course spectaculaire dans les Pyrénées.
Resplendissantes Pyrénées
Cette année, les Pyrénées n’ont pas la part belle. Deux étapes, pas d’ascensions mythiques comme le Tourmalet, l’Aspin ou l’Aubisque. Le seul hors-catégorie restait le Port de Balès qui, depuis son goudronnage en 2006, voit régulièrement passer le Tour sur son chemin. On pouvait craindre une prise de contrôle évidente de la Jumbo-Visma pour placer Roglic sur orbite. Quelque part, ce fut un peu le cas. Le seul détail que l’on avait oublié, tout comme le Slovène, résidait dans le fait qu’après avoir sacrifié tous ses hommes, ce dernier devait attaquer. Il le pouvait sûrement, répondant à chaque attaque avec une facilité déconcertante. Mais il ne prolongeait jamais son effort, si bien que tous les favoris ont réussi à répondre présent, ou presque.
Nous avions laissé Thibaut Pinot en bonne forme la veille, faisant rouler ses hommes encore dans le premier groupe pour augmenter l’avance sur le groupe Pogacar. Le lendemain, dès le col de Menté, il a essayé de s’accrocher, avant de craquer complètement dans le Port de Balès, une terrible défaillance qui résulte d’un dos douloureux suite à sa chute à Nice à l’arrivée de la première étape. Déjà, il parlait de son dos comme sa plus grande crainte, ressentant une douleur vive. Les Pyrénées ont cette fois-ci piégé les ambitions de Pinot, un an après que son genou l’a lâché dans les Alpes. La malchance poursuit le leader de la Groupama-FDJ dont le Tour de France reste le Graal. Pour les Français, le réconfort est (un peu) venu de Nans Peters, auteur d’une grande ascension du Port de Balès avant de résister à Zakarin dans Peyresourde pour aller chercher une étape sur son premier Tour de France à Loudenvielle. Du côté des favoris, marquage, jauge et prudence mais avec quelques signaux intéressants: Adam Yates s’accroche difficilement, les jambes de Guillaume Martin et Romain Bardet tournent bien, Egan Bernal devrait être au pic de sa forme dans les Alpes et surtout Tadej Pogacar a repris près de quarante secondes en plaçant une attaque au sommet de Peyresourde. Le jeune slovène d’UAE Emirates a montré que la bordure semblait déjà oubliée.
Le lendemain a réservé un scénario complètement fou. Entre Pau et Laruns, les difficultés restaient éparpillées, de quoi offrir un peu de suspense alors que d’éventuels échappés devaient affronter trente kilomètres de vallée entre le Soudet et Ichère. Finalement, il n’y a eu qu’un échappé puisque personne n’a réussi à prendre la roue d’un Hirschi déchaîné dans le col de la Hourcère, qui a décimé beaucoup d’équipiers de favoris. Seul contre tous, le Suisse a réalisé une étape grandiose, avec près de 90 kilomètres en solitaire, craquant seulement sur la fin. Derrière, en effet, personne ne s’est regardé dans le col de Marie Blanque. Encore une fois, Pogacar a dynamité la course au moment où les Jumbo-Visma commençaient à s’écarter les uns après les autres. L’absence de Kruijswijk se fait ressentir alors que Sepp Kuss ne possède pas le même état de forme que lors du Critérium du Dauphiné Libéré, tout comme Dumoulin, qui a du mal à suivre les meilleurs. Roglic doit gérer seul mais il le fait pour l’instant avec intelligence. Jusqu’à quand ? Seuls Bernal et Landa ont suivi les deux Slovènes pour basculer avec eux dans la descente. Derrière, Bardet a manqué de très peu le bon wagon, sortant de Marie Blanque dans un deuxième groupe royal avec Quintana, Martin, Uran, Porte et Mollema. Ce groupe a limité les dégâts à l’arrivée, ne concédant que onze secondes. Ce n’est pas le cas d’Adam Yates, qui a lâché son maillot jaune au profit de Roglic, et de Miguel Angel Lopez. Ils sont arrivés avec 54 secondes de retard sur le vainqueur du jour, Pogacar, victorieux au sprint devant Roglic et le malheureux Hirschi. Au soir du premier jour de repos, et avant de prendre le vent entre l’île d’Oléron et l’île de Ré, Primoz Roglic est en jaune. Mais il ne vole pas sur la course comme il volait au saut à ski. Son équipe ne parvient pas à l’accompagner assez longtemps en montagne, des coureurs se révèlent, Bernal reste en embuscade. La course est ouverte, tant mieux !
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