Ce Tour de France 2019 restera inédit à tout point de vue. Si la Team Ineos (ex-Team Sky) est encore parvenue à placer un coureur sur la plus haute marche du podium à l’arrivée, pour la septième fois en huit éditions, c’est cette fois-ci le très jeune Egan Bernal (22 ans) qui remporte le classement général après Bradley Wiggins (2012), Christopher Froome (2013, 2015, 2016, 2017) et Geraint Thomas (2018). Moins dominatrice qu’à l’accoutumée, l’équipe britannique n’a pas réussi à monopoliser les rennes de la course trois semaines durant. Nous retiendrons surtout que les Français Julian Alaphilippe et Thibaut Pinot ont chacun à leur manière marqué ce Tour à l’encre indélébile, sans pour autant réussir à ramener le maillot jaune à Paris. Enfin, notons que la météo a perturbé la fin de course, offrant un dénouement qui relève du jamais-vue à la Grande Boucle.
Egan Bernal, du rêve à la réalité
Et si les chutes à répétition au sein de la Team Ineos avant le départ de la Grande Boucle avaient joué un rôle-clé dans la victoire d’Egan Bernal ? Cette hypothèse peut paraître farfelue voire délirante, et pourtant. Privé du Giro en mai, où il devait prendre le leadership de son équipe, suite à une chute à l’entraînement, Egan Bernal a causé bien des maux de crâne à sa direction sportive, alors contrainte de revaloriser le rôle de son prodige colombien sur le Tour de France. C’est donc un inédit trio de leaders (Froome-Thomas-Bernal) qui devait s’élancer depuis Bruxelles pour conduire une nouvelle fois l’équipe Britannique vers la victoire. Le leadership définitif devant s’établir à la pédale durant la course. Mais les chutes successives de Froome et de Thomas durant le mois de juin, contraignant le premier cité à l’abandon, ont remis sur la table au moment du grand départ du Tour début juillet la question du leadership. Prédisposé à l’origine à jouer l’équipier pour le duo Froome-Thomas, Bernal s’est vu propulser leader de la Team Ineos en l’espace de trois mois. Si officiellement, rien n’était acté, la route devant livrer ses vérités, la dynamique et l’organisation du parcours (les Alpes arrivant en toute fin de course) avantageaient clairement Bernal dans la hiérarchie de la Team Ineos.
Pour sa seconde participation à la Grande Boucle, le prodige Colombien s’est d’abord montré discret, se contentant de suivre l’intraitable Thibaut Pinot dans les Pyrénées et de limiter la casse dans le contre-la-montre autour de Pau. Une discrétion surprenante mais qui aura permis au futur vainqueur de cette édition 2019 de limiter son exposition médiatique. C’est en troisième semaine, dans les Alpes, alors que les cols se rallongeaient et que l’altitude rendait la course irrespirable que Bernal est sorti de sa boîte. Lui, le Colombien, féru de montagne et d’altitude depuis sa plus tendre enfance, s’est alors porté à l’attaque dans les trois étapes alpestres en créant des différences importantes par rapport aux autres favoris dans les cols du Galibier et de l’Iseran. Si sa victoire ne souffre d’aucune contestation tant son aisance dans les difficultés alpestres a crevé l’écran, il manquera à sa campagne estivale victorieuse une victoire d’étape officielle (en tête après l’Iseran, Bernal se serait surement imposé à Tignes si l’étape n’avait pas été interrompue, voir par ailleurs). Reste à savoir si Bernal aurait été plus fort qu’un Thibaut Pinot à 100% dans les Alpes. Mais ne dévions pas de notre chemin, le Colombien reste un vainqueur magnifique et la nouvelle idole d’une grande nation du vélo dont l’absence dans le palmarès de la Grande Boucle relevait de l’anomalie. Une nouvelle ère de domination s’ouvre peut-être sur le Tour.
Julian Alaphilippe et Thibaut Pinot, du rêve fou à la frustration
Ce sont eux qui ont dynamité ce Tour. Eux qui ont fait se dresser les poils de tous les Français, ravivé des espoirs fous et leur attaque commune dans l’étape vers Saint-Étienne restera comme l’un des moments les plus géniaux ce Tour 2019. Mais ni Alaphilippe (Deceuninck-Quick Step) ni Pinot (Groupama-FDJ) ne ramèneront le maillot jaune sur les Champs-Élysées. Maillot jaune quatorze jours durant et vainqueur de deux étapes à Épernay et sur le chrono de Pau, Julian Alaphilippe aura plus que réussit son Tour. Sa cinquième place au classement général restait inespérée à Bruxelles et s’ajoute à la longue collection de réussites du numéro 1 mondial de la discipline cette année (victoire sur les Strade Binache, à la Flèche Wallonne et sur Milan-San Remo entre autres). Mais la physionomie de la course laissera forcément quelques regrets au Français. Encore leader du classement général à deux jours de l’arrivée sur les Champs, Alaphilippe aura du baisser les armes au sommet du col de l’Iseran sur une étape raccourcie. Bernal était bien le plus fort, et rappelons-le, Alaphilippe n’est pas un pur grimpeur. Mais que se serait-il passé si le peloton avait pu rallier Tignes comme cela était prévu ? Personne ne le sait vraiment. Même si Alaphilippe commençait à revenir dans la descente, n’aurait-il pas explosé dans la dernière ascension vers Tignes ? Exténué dans la montée vers Val Thorens la veille de l’arrivée, Alaphilippe n’aura pas été en mesure de conserver sa place sur le podium. Le Français finira donc ce Tour au cinquième rang, mais ne nous y trompons pas, le vainqueur officieux dans le cœur des Français, c’est bien lui.
Pour Thibaut Pinot, le dénouement est plus cruel. Son panache et sa domination dans les Pyrénées (victoire au Tourmalet, deuxième place devant tous les favoris au Prat d’Albis le lendemain) avaient fait de lui l’un des favoris de cette édition. Tout semblait aller dans le bon sens. Pinot avait réussi à limiter la casse dans les chronos en se montrant meilleur que bien d’autres favoris et en concédant moins d’une minute au tenant du titre et expert en la matière, Geraint Thomas. Les jambes répondaient présent et Alaphilippe captait la majeure partie de la lumière et donc de la pression médiatique. Les planètes semblaient alignées. Mais il y a une forme de sadisme à se le répéter, car la suite aura brisé ce fol espoir au marteau-piqueur. Après 2013 et 2016, le coureur de la Groupama-FDJ devait une nouvelle fois quitter prématurément la course à deux jours de l’arrivée. Le vieux contentieux qui existe entre Pinot et la Grande Boucle n’est donc pas résolu, et que dire des images de Thibaut Pinot en pleurs se résignant à poser pied-à-terre alors que la bagarre des Alpes n’avait pas vraiment débutée et que le dénouement de son duel avec Bernal restait plus qu’incertain. Le plus grand déchirement de ce Tour restera cet abandon, ce sentiment d’injustice au goût de pétard mouillé. Pinot reviendra en 2020, promis, mais peut-on y croire ? Une occasion aussi belle se représentera-t-elle pour lui ? Plus généralement, un coureur français remportera-t-il un jour de nouveau le Tour de France, alors que le dernier vainqueur tricolore reste Bernard Hinault en 1985 ?
Romain Bardet, les pois sans le panache
Le fait que le maillot à pois reste pour la troisième année consécutive attaché aux épaules d’un coureur Français reste une satisfaction. Mais si Warren Barguil et Julian Alaphilippe avaient ramené cette précieuse tunique à Paris en 2017 et 2018 en remportant chacun deux étapes et en faisant preuve de panache, la distinction de meilleur grimpeur obtenue cette année par Bardet fait presque figure d’anomalie. Largué dans les ascensions de la Planche-des-Belles-Filles, du Tourmalet et de Val Thorens, le coureur d’AG2R La Mondiale est loin d’avoir brillé en haute montagne. Sa cavalcade en compagnie de Nairo Quintana entre Embrun et Valloire sur les cols de l’Izoard et du Galibier lui aura donc permis de revêtir le maillot à pois et donc de sauver son Tour. Mais cette tunique n’a semble-t-il été la priorité de personne durant cette édition. Tim Wellens, qui l’a revêtue avant Bardet, n’a rien d’un grand grimpeur. Et si des coureurs comme Nairo Quintana ou Simon Yates auraient pu y prétendre dans la montée finale vers Val Thorens, l’ont-ils vraiment voulue ? N’en reste-t-il pas moins que Bardet monta sur le podium sur les Champs-Élysées. À des centaines d’années-lumières certes de son objectif originel, le classement général (Bardet s’est finalement classé 15e, à presque 30 minutes de Bernal).
Une fin de Tour chamboulée par des orages monstres
À deux jours de l’arrivée, alors que beaucoup de la dramaturgie de ce Tour de France 2019 restait à écrire, la météo a alors pris sa plus belle plume pour redistribuer les rôles ou décider des destins de certains coureurs. Les orages de grêle impressionnants vers Tignes, entraînant la formation de coulées de boue, ont d’abord contraint les organisateurs du Tour à abréger la 19e étape alors que les coureurs approchaient de l’arrivée. Les temps étaient alors figés en haut de l’ascension de l’Iseran trente kilomètres avant l’arrivée environ, rabattant de nombreuses cartes au général (Alaphilippe cédait ainsi son maillot jaune à Bernal alors que l’étape n’était donc pas allée à son terme). Mais cette météo apocalyptique aura égalemennt contraint cette même organisation à réduire de 130 à 59 kilomètres la 20e étape, entre Albertville et Val Thorens, cette étape décisive se résumant donc à une course de côte (33 kilomètres d’ascension vers Val Thorens), sans véritable intérêt pour le classement général au final, si ce n’est le décrochage attendu d’Alaphilippe qui reculait de la deuxième à la cinquième place. Les caprices des cieux auront donc donné un goût particulier et historique à cette fin d’édition 2019 de la Grande Boucle.
CLASSEMENTS
Général
1. Egan Bernal (COL/INE) en 82 h 57’00
2. Geraint Thomas (GBR/INE) à 1’11
3. Steven Kruijswijk (HOL/JUM) à 1’31
4. Emanuel Buchman (ALL/BOR) à 1’56
5. Julian Alaphilippe (FRA/DEC) à 4’05
Maillot vert
1. Peter Sagan (SVK/BOR) avec 316 pts
2. Caleb Ewan (AUS/LOT) avec 248 pts
3. Elia Viviani (ITA/DEC) avec 224 pts
Maillot à pois
1. Romain Bardet (FRA/ALM) avec 86 pts
2. Egan Bernal (COL/INE) avec 78 pts
3. Tim Wellens (BEL/LOT) avec 75 pts
Maillot blanc
1. Egan Bernal (COL/INE) en 82 h 57’00
2. David Gaudu (FRA/FDJ) à 24’03
3. Enric Mas (ESP/DEC) à 58’20
Classement par équipes
1. Movistar en 248 h 58’15
2. Trek à 47’54
3. Ineos à 57’52
Crédits photo à la Une: s.yuki