Alors que l’épidémie de Covid-19 paralyse actuellement le football français, les polémiques se multiplient avec comme point d’ancrage: Jean-Michel Aulas. Le légendaire président de l’Olympique Lyonnais s’est notamment illustré sur Twitter. Génie des temps modernes ou fossoyeur de l’identité de son club, deux journalistes de la rédaction d’AuStade.fr se penchent sur la question.
NON. « Aulas ou la maîtrise de l’art du bad buzz », Bastien Caraud
Léon Zitrone a dit « que l’on parle de moi en bien ou en mal, peu importe. L’essentiel, c’est que l’on parle de moi ! ». Aujourd’hui, cette maxime est devenue une méthode de marketing à part entière: on parle du bad buzz. Et l’important est que, lorsque ce bad buzz est maîtrisé, il permet à son auteur d’être préparé aux réactions et de les utiliser ensuite pour arriver à ses fins. Cet art, Jean-Michel Aulas le manie à merveille.
Alors que l’actualité sportive est au point mort, Jean-Michel Aulas a réussi à faire parler de son club avec une interview explosive donnée au journal Le Monde dans laquelle il a proposé l’annulation de la saison en cours et la reprise du classement de l’année précédente pour définir les équipes qualifiées pour la prochaine Ligue des champions. Pratique lorsque l’on sait que l’OL est quasiment éliminé de la course à la qualification de la Ligue des champions. La suite ? Des critiques assez acerbes visant des dirigeants du football français, Jacques Henry Eyraud et Nathalie Boy de la Tour en tête. Par la suite, Jean-Michel Aulas n’a pas hésité à répondre aux invectives via son moyen de communication préféré, Twitter. Résultat ? Journalistes, acteurs et dirigeants du football ont largement commenté cette interview et les incidents qui ont suivi: on a ainsi entendu davantage parler de l’OL que de n’importe quel autre club français.
Jean-Michel Aulas le sait: chaque tweet à un impact médiatique. Or, gouverner, c’est prévoir. Et cette stratégie, en plus d’avoir fait parler de son club, a déjà porté ses fruits: si cette idée d’annuler la saison semblait parfaitement farfelue lorsqu’elle a été évoquée, celle-ci fait désormais partie des options sérieusement envisagées par de nombreux dirigeants de clubs et de fédérations européennes.
Jean-Michel Aulas utilise Twitter comme un exutoire. Et si sa communication est critiquée, il ne compte pas moins de 500 000 followers, preuve de l’attention accordée à ses tweets. Comme il l’a expliqué dans le journal L’Equipe, le réseau social à l’oiseau bleu est imparfait mais celui-ci permet de s’exprimer en dehors de toute censure. « Twitter, c’est ma parole« , explique-t-il: ce réseau social lui permet en effet d’intervenir extrêmement rapidement lorsque des informations erronées circulent sur son club. S’il ne l’évoque pas dans cette interview, Aulas sait également utiliser Twitter afin de détourner l’attention des mauvais résultats de son équipe et ainsi permettre à ses joueurs et son entraîneur d’évoluer avec moins de pression. Il l’a prouvé à de nombreuses reprises notamment récemment lorsqu’il a critiqué la gestion financière de l’Olympique de Marseille, son ennemi préféré, alors que son club venait d’enchaîner plusieurs résultats décevants.
Cette stratégie a évidemment ses limites, et Jean-Michel semble semble les accepter. Il a par exemple intériorisé le fait que ses déclarations acerbes, et parfois de mauvaise fois, puissent entacher l’image de la marque OL. Il a également accepté que sa communication puisse entraîner le rejet de son club par certains fans et commentateurs. Toutefois, dans le monde du football où tout va très vite, Jean-Michel Aulas sait également qu’à la suite de quelques résultats favorables, tout sera oublié.
OUI. « Jean-Michel Aulas abîme l’image de l’Olympique lyonnais », Sophiane Amazian
Jean-Michel Aulas n’a pas d’égal dans le football français actuellement. 30 ans qu’il gère d’une main de maître un des plus grands clubs français. Pour autant, sa communication doit être révisée. A 71 ans, Jean Michel Aulas n’est plus dans l’ère du temps.
Qui n’a pas une fois souri en lisant un tweet du président de l’OL ? Incisif et impertinent, sa popularité sur le réseau social n’a d’égale que sa répartie aiguisée. Après s’être récemment distingué en commentant l’arrêt du championnat dans un entretien paru dans le journal Le Monde, ses réactions sur Twitter sont indignes d’un grand dirigeant de football. Jean-Michel Aulas ne fait pas que se défendre, il veut marquer son territoire. Sa bisbille avec l’éditorialiste Daniel Riolo n’est qu’une énième répétition d’une guerre de mots par tweets interposés. Jean-Michel Aulas en a fait sa marque de fabrique. Sa posture n’est aujourd’hui plus acceptable depuis la montée en puissance de la parole des supporters. Sa communication est brouillonne et ne fédère plus unanimement. Son taux de réponse important pousse les plus réfractaires à pousser le président lyonnais hors de ses gongs, pour qu’il craque. En fait, Jean-Michel Aulas s’est fait absorber par la machine infernale de Twitter. A vouloir régner sur un autre terrain, il subit actuellement les conséquences de sa stratégie.
Le pari de Jean-Michel Aulas est de faire parler, coûte que coûte, de l’Olympique lyonnais, quitte à abreuver la communauté Twitter de saillies légendaires. Sauf que le buzz n’est pas éternel. A force de répondre à ses détracteurs, Jean-Michel Aulas implique l’identité de l’Olympique Lyonnais. S’efforçant à incarner personnellement le projet rhodanien, il engage la parole de l’institution dans des débats, pour la plupart, futiles. Jean-Michel Aulas agit comme bon lui semble, et c’est une chance dans le football français. Mais la radicalité dont il fait preuve, notamment sur Twitter, peut s’avérer dangereuse sur le long-court. Sa croisade pour le maintien de Bruno Génésio a laissé des traces.
Conscient de cette incompréhension, Jean-Michel Aulas s’est défendu dans le journal L’Équipe: « Sur certains réseaux sociaux, avec l’anonymat qui ne permet pas toujours de savoir à qui on s’adresse, il y a des points qui laissent à penser que, quelquefois, ma pensée n’est pas toujours pleinement comprise ». Pour autant, rien n’indique que le président de l’Olympique Lyonnais freinera son usage de la plateforme, bien au contraire: « il faut quelques fois se mettre en avant. Et vu que j’ai le cuir épais, je résiste peut-être mieux que si c’était un entraîneur ou un joueur ». Une parade qui dérange de plus en plus. Comment prendre au sérieux un dirigeant qui fonce tête baissée vers chaque nouvelle attaque ? Retirer Twitter à Jean-Michel Aulas soulagerait toutes les parties, ses fans comme ses détracteurs. Espérons que le confinement lui porte conseil.
Jean-Michel Aulas est probablement le plus grand dirigeant du football français. A ce titre, sa manie de vouloir surfer sur chaque polémique dessert sa position. Plus grave encore, il peut entraver l’action de son club. Twitter est donc une arme redoutable, à utiliser avec précaution.
Crédits photo à la Une: Xavoun