On connaît enfin le successeur de Yannick Noah. C’est l’ancien numéro 4 mondial Sébastien Grosjean qui a été nommé en remplacement d’Amélie Mauresmo, qui a préféré entraîner Lucas Pouille pour la saison à venir. Noah a donc achevé son mandat à la tête de l’équipe de France de Coupe Davis sur une défaite en finale face à la Croatie. Bilan de ses trois années à la tête des Bleus.
La défaite en finale de la Coupe Davis contre la Suisse à Lille en 2014 avait fait beaucoup de mal à cette équipe de France. Rappel des faits : la France s’était inclinée contre la Suisse de Federer et Wawrinka et dans la foulée Noah avait déclaré qu’il serait prêt à accepter le poste de capitaine si les cinq joueurs de l’équipe lui demandaient, taclant au passage Arnaud Clément, le titulaire du poste. S’en était suivi un clash dans les médias, mettant à mal l’unité de l’équipe. Finalement Arnaud Clément fut conforté à son poste, avec l’appui des joueurs. Mais un an plus tard, Clément se fera débarquer après une sortie de route en quart de finale de l’épreuve contre la Grande Bretagne de Murray. Il sera alors remplacé par Yannick Noah, plus grand palmarès du tennis français depuis de l’ère Open (depuis le début du tennis professionnel), pour ce qui constituera son troisième mandat à ce poste. Celui-ci a été vu comme le sauveur de la patrie, du fait de ses deux victoires de l’épreuve lors de ses deux premiers mandats (1990-1992 ; 1994-1998), et cherche d’emblée à montrer le contraste entre sa gestion du groupe et celle d’Arnaud Clément, jugée trop laxiste. Après sa dernière rencontre en tant que capitaine, la finale perdue contre la Croatie une nouvelle fois à Lille, il est temps de tirer le bilan de ses trois années de mandat -soit autant que son prédécesseur- et de répondre à la question suivante : a-t-il vraiment fait mieux qu’Arnaud Clément ?
Noah a-t-il obtenu de meilleurs résultats ?
La réponse paraît évidente. En trois ans Noah c’est une victoire finale, une finale perdue et une demi-finale aussi perdue. Clément une finale perdue et deux quarts de finale. La France a été d’une régularité impressionnante avec Noah à sa tête, et surtout elle a triomphé et enfin ramené le titre attendu si longtemps par cette génération dorée. En ce sens il n’y a clairement pas photo entre les deux, l’un a gagné, l’autre non, et cela creuse un fossé. Mais il est intéressant de regarder l’envers du décor derrière ces résultats purs et durs. On a suffisamment parlé de la « chatte à Noah », celle qui a fait que de manière quasi-systématique toutes les équipes que la France a affronté dans cette période se sont présentées sans leur meilleur joueur. La liste est trop longue pour être citée ici mais, entre le désintérêt pour la compétition et les blessures, elle est vraiment impressionnante. Cela fait donc au final très peu de performances majeures en simple. Les deux défaites ayant été concédées contre la Croatie de Cilic, et David Goffin ayant gagné ses deux simples de la finale 2017, il n’en reste que deux : les deux victoires de Lucas Pouille contre Fabio Fognini (quart de finale 2018) et contre Roberto Batista Agut (demi-finale 2018). Si ce sont des références au niveau mondial depuis plusieurs années, rien que le fait de souligner ces victoires illustre ce dont le mandat de Noah a manqué : de frissons.
On a que trop rarement vibré ces trois dernières années et il aura grandement manqué une performance majeure, un match dont on se souviendra encore dans dix ans, à son troisième capitanat. Surtout que c’est dans ce genre de match que l’on reconnaît les grands capitaines, ceux qui arrivent à faire sortir le meilleur de chaque joueur, à les transcender. Noah a déjà prouvé par le passé qu’il appartenait à cette caste, mais force est de constater que l’on ne l’aura cette fois pas vu. Si cette régularité et cette capacité à ne jamais décevoir face à une opposition à priori inférieure sont à souligner, son équipe n’a jamais renversé des montagnes et fut balayée sans ménagement par ses adversaires supérieurs sur le papier. En tout cas aucune des trois campagnes de l’ère Noah n’ont pu égaler le parcours jusqu’à la finale 2014 réalisé par la bande à Arnaud Clément. Entre le retournement de situation au premier tour contre l’Allemagne et la fantastique demi-finale gagnée contre la République Tchèque de Berdych, sans compter la victoire en 3 sets de Gaël Monfils contre Roger Federer (certes diminué), les supporters des Bleus ont été servis en grands matchs et en frissons. Le jeune capitaine y avait en tout cas démontré des grandes qualités dans la préparation des rencontres, dans la manière de les aborder et cette épopée fut véritablement marquée de son sceau. La redescente sur terre fut brutale avec la défaite en finale et les polémiques, et cela a injustement terni son bilan.
Quid de la gestion du groupe ?
Yannick Noah avait aussi été très critique sur la gestion du groupe d’Arnaud Clément, notamment avec le cas Tsonga lors de la finale 2014. La sienne, moins proche des joueurs et moins « laxiste », n’a finalement pas fait l’unanimité même si les premiers mois ont été prometteurs. L’affaire de la blessure de Monfils pendant la préparation de la demi-finale 2016 a été trainée comme un boulet pendant tout le reste du mandat. Et, si la posture presque autoritaire adoptée Noah lui a évité les contestations, son management sans concession a parfois montré ses limites. S’il a aussi souvent été blessé, Noah a pu se permettre de se passer de Monfils, certes irrégulier mais capable de se transcender dans les grandes occasions, parce que l’opposition le permettait. Et il était aussi très discutable de ne pas sélectionner Gilles Simon pour la finale 2018 même si Noah n’était pas en accord avec son mode de fonctionnement. Néanmoins, Simon restait le joueur français le plus en forme du moment (non négligeable au vu de l’état du vivier français à cette période), et présentait un bilan ultra favorable contre les joueurs croates. Par ailleurs, Noah a pu compter sur une paire de double stable, avec l’émergence du duo Mahut-Herbert, quand son prédécesseur devait constamment bricoler avec un seul spécialiste du double, ce qui ne facilitait pas vraiment son travail. Yannick Noah a de manière générale bénéficié de conditions plus favorables afin d’imposer son mode de management. Avec réussite ? Il est dur de l’affirmer. Ses trois années de mandat n’ont en tout cas pas montré que c’était le mode de management qui convenait le mieux à cette équipe bleue.
Le bilan: les résultats pour Noah, les frissons pour Clément
Fin 2015, Noah a été rappelé par la FFT pour apporter sa culture de la gagne à une équipe qui en manquait cruellement. Après trois ans de mandat, il a certes réussi à enfin soulever la dixième Coupe Davis de l’équipe de France, mais il lui aura manqué ce que Clément a su nous offrir : des émotions. Lui qui avait voulu se placer en rupture de son prédécesseur dans la gestion du groupe aura, au final, tout autant effectué de choix discutés et discutables (lors de la finale 2018) et l’union qu’il avait voulu créer autour de sa personne n’aura au final pas duré bien longtemps. Mais il a fait gagner la France et cela creuse une grande différence. On peut donc dire que la Fédération ne s’est pas trompée en le choisissant. Mais un petit supplément d’âme aura fait défaut pour que son troisième mandat soit au même niveau que ses deux premiers.
Crédits photo à la Une: FFT.FR